Evolution des tendances de consommation alimentaire dans différents pays

Artichauts, asperges et choux-fleurs : la mode italienne.

Ces légumes ont un point commun : tous trois sont parvenus à séduire les papilles des aristocrates français au XVI° siècle… une prouesse encore inimaginable quelques décennies plus tôt !

En effet, tout au long du Moyen Âge, les nobles avaient méprisé les légumes. Ces aliments « de paysans » leur apparaissaient totalement inappropriés à leur statut social de dominants. De surcroît, les légumes poussaient dans (voire sous) la terre, laquelle était considérée comme le moins noble des quatre éléments de la Création (feu, air, eau et terre). Enfin, les médecins médiévaux avaient développé tout un arsenal d’arguments diététiques qui renforçaient ce dédain des élites sociales à l’encontre des légumes.

A partir du XVI° siècle, l’alimentation des « puissants » du royaume de France commence à évoluer, et la réhabilitation des légumes est l’un des principaux changements. Aux sources de ce total renversement d’image, il y a la fascination pour l’Italie de la Renaissance, pour ses artistes, architectes et hommes de lettres, pour le mode de vie de ses cours princières et, entre autres, pour leur manière de se nourrir. Or, sur ce dernier plan, les nobles de la Péninsule manifestaient depuis longtemps un goût prononcé pour les légumes. A Rome comme à Florence, à Venise comme à Gènes, artichauts, asperges, choux-fleurs, concombres… étaient à l’honneur. Y compris dans les portraits allégoriques du peintre Arcimboldo où la juxtaposition luxuriante de légumes mais aussi de fruits et de céréales symbolise telle ou telle saison. A l’origine de ce goût italien pour les aliments végétaux, l’historien Allen Grieco voit l’influence de la cour pontificale du Vatican : ses dignitaires ne pouvant pas consommer de viande (les conciles successifs les ont contraints à l’abstinence), ils ont cherché à diversifier leurs nourritures végétales et se sont montrés friands de nouvelles manières de les préparer et de les cuisiner.

En France, la réhabilitation se réalise selon deux voies. Tout d’abord, de nouveaux légumes, cultivés en Italie mais pas (ou plus) en France apparaissent sur les tables. C’est notamment le cas des artichauts, des cardons et des asperges, qui sont particulièrement appréciés ; à la fin du XVI° siècle, les chouxfleurs sont à leur tout réintroduits en France par les Génois.

Parallèlement, des légumes connus de longue date dans le royaume et largement consommés par les petites gens, font leur grand retour sur les tables aristocratiques : carottes, panais, salsifis, raves, épinards, laitues, blettes, etc.

Les artichauts ont failli tuer Catherine de Médicis, reine de France !

En Italie du Nord, la culture de l’artichaut – dont l’ancêtre sauvage est le vulgaire chardon – est mentionnée à partir du 15e siècle. C’est à Catherine de Médicis (qui vint en France en 1533 épouser le fils de François Ier, le futur Henri II) que l’on attribue – à tort – son introduction sur le sol français. Mais le goût immodéré de la princesse florentine pour ce légume en assura, il est vrai, la promotion sur notre territoire. Le chroniqueur Pierre de L’Estoile l’évoque à propos d’un repas de mariage auquel participa, le 19 juin 1576, la reine : « La reine mère mangea tant qu’elle cuida [crut] crever et fut malade (…). On disoit que c’étoit d’avoir trop mangé de culs d’artichauts et de crêtes et de rognons de coq dont elle étoit fort friande ». Fait intéressant, au XVIe siècle les artichauts étaient considérés comme des fruits et, pour cette raison, étaient consommés au dessert. Dans son énumération des mets composant le festin des Gastrolâtres, Rabelais les mentionne après les « pêches de corbeille » et avant les « gâteaux feuilletés ». Puis, les artichauts ont migré lentement de la catégorie des fruits à celle des légumes…

Le cardon : une histoire qui ne manque pas de… piquant

Proche parent de l’artichaut, le cardon aux longues feuilles épineuses était un des légumes emblématiques des premiers adeptes de la Réforme prônée par Luther et Calvin. Son caractère rustique convenait bien à la frugalité et à l’austérité que recherchaient les Protestants. Cultivé par les Romains dans l’Antiquité, le cardon était présent dans les terroirs bordant la Méditerranée. La plante fut introduite dans le canton de Genève au 17e siècle : une plaine agricole avait été mise à la disposition des paysans huguenots du midi de la France qui, fuyant les persécutions, s’étaient réfugiés en Suisse. Le cardon y trouva un terrain favorable : le sol, profond, permit à ses longues racines de s’y implanter solidement. La tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui : une douzaine d’horticulteurs y produisent encore du cardon épineux. Dans la région lyonnaise et en Savoie, le cardon est toujours un mets apprécié.

De prétendues vertus aphrodisiaques

Dans la seconde moitié du XVII° siècle, le Potager du Roi à Versailles comportait des carrés d’artichauts « tant verts que violets ou rouges » destinés à satisfaire le goût affirmé de Louis XIV pour les légumes (mais ses préférés étaient sans conteste les petits pois). Louis XV, son arrière petit-fils, s’en vit proposer régulièrement par sa dernière favorite, Madame du Barry. Comme ses contemporains, celle-ci croyait fermement aux vertus aphrodisiaques des artichauts. Une réputation que ces derniers partageaient avec les asperges, cet autre légume qui, à partir de la Renaissance, deviendra un plat de fête (et qui, plus tard, s’imposera au menu des dîners bourgeois). Là encore, le Potager du Roi dût fournir la table de Louis XIV en asperges. Et cela dès le mois de décembre, selon les volontés d’un souverain qui voulait en manger aussi souvent que possible.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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