Fruits et légumes & santé mentale

La fraise : toute une histoire…

La fraise que consommaient nos ancêtres de l’Antiquité et du Moyen Âge était la petite fraise des bois. Une espèce différente de celle qui, au fil des croisements réalisés par les horticulteurs, a donné les grosses fraises que nous dégustons aujourd’hui. L’origine de ces dernières se situe en effet à des milliers de kilomètres du continent européen, en Amérique du Nord et dans une région du Chili central.

Au Moyen Âge, la fraise était dédaignée par les nobles

Si la fraise est aujourd’hui un des fruits les plus appréciés par les consommateurs français, cela n’a pas toujours été le cas… Ainsi, du début à la fin du Moyen Âge, les nobles ne tiennent pas ce fruit en grande estime. A leurs yeux, la fraise présente le grave défaut de croître au ras du sol*. Or, dans la vision du monde de l’époque, la terre est, parmi les quatre éléments constitutifs de l’univers (le feu, l’air, l’eau et la terre) celui qui est perçu comme le moins noble. Les végétaux qui poussent sous la terre ou à sa surface pâtissent de cette image négative. C’est pourquoi les fraises (de même que les melons et l’ensemble des légumes) sont considérées comme des aliments non « adaptés » aux membres de la noblesse. Cette perception symbolique est confirmée par la diététique médiévale : les médecins déconseillent les fraises à leurs riches patients. Etant de rang social élevé, ces derniers doivent se nourrir d’aliments… « élevés » tels que les fruits poussant en hauteur, les grains de céréales ou encore les grands oiseaux.

La culture de la fraise des bois, dans les jardins, ne commence vraiment qu’aux alentours du XV° siècle. Les mentalités évoluant, ce fruit voit peu à peu son statut s’améliorer (comme celui des légumes d’ailleurs). Fascinés par l’Italie de la Renaissance, les nobles français veulent en effet imiter leurs voisins de la Péninsule dans tous les domaines, y compris dans l’alimentation. Or, les Italiens mangent beaucoup de légumes et raffolent des fruits, y compris des fraises. Du coup, ces dernières deviennent très prisées par les élites sociales du royaume de France : aux fraises on attribue le statut d’aliment particulièrement raffiné, ainsi que des vertus aphrodisiaques.

Les premiers fraisiers furent probablement introduits en France à la fin du XVI° siècle, par le navigateur Jacques Cartier puis par d’autres explorateurs. Les botanistes leur donnèrent le nom de fraisiers de Virginie.

Au siècle suivant, la culture de la fraise s’étend, cette expansion bénéficiant du goût immodéré de Louis XIV pour les fruits (et les légumes). Le Roi-Soleil aimant beaucoup les fraises, Jean-Baptise de la Quintinie, le créateur du célèbre « potager du roi » à Versailles, leur consacre une surface importante. Passé maître dans l’art d’allonger la période de récolte de ses productions, le jardinier en chef parvient à produire des fraises dès la fin mars, pour le plus grand plaisir de son souverain. Mais dans les dernières années de sa longue existence, le roi, très malade, ne peut plus se régaler de ces fraises tant aimées : pour une raison demeurée inconnue, son médecin décide de lui en interdire la consommation.

La grosse fraise chilienne débarque en France

Quelques mois avant la mort du Roi-Soleil (en 1714), un officier du Génie maritime rapporte du Chili cinq plants de fraisier dont la grosseur des fruits a retenu son attention. Le navigateur porte un patronyme prédestiné : il se nomme Amédée-François… Frézier ! Revenu en France, il remet un de ces plants à Antoine de Jussieu, le célèbre botaniste responsable du Jardin Royal à Paris. D’autres plants aboutissent au jardin botanique de Brest où ils trouvent des conditions idéales à leur croissance : le climat océanique de la pointe de la Bretagne est très proche de celui de la région chilienne d’où sont originaires les fraisiers rapportés. Des croisements sont alors opérés avec des espèces locales et donnent naissance à des hybrides qui sont les ancêtres de nos variétés actuelles. Ces nouvelles espèces vont trouver un terroir et un savoir-faire appropriés à quelques kilomètres de Brest, dans la petite ville de Plougastel… où existe déjà une production de fraises des bois. La culture de la nouvelle arrivante fera la renommée et la prospérité des locaux : au début du XX° siècle, Plougastel produit une fraise française sur quatre ! Par la suite, d’autres villes et régions – comme Carpentras en Provence ou le département du Lot-et-Garonne – se spécialisent eux aussi dans la culture de la fraise.

Aujourd’hui, les Etats-Unis sont les premiers producteurs de fraises (28% de la production mondiale en 2008), devant l’Espagne (6%). La contribution de la France représente quant à elle environ 1 % de la production totale de la planète.


* Cette particularité de la fraise se retrouve dans le nom que les Anglais lui ont donné : straw-berry, ce qui signifie baie de paille. Du point de vue botanique, la fraise est en effet une baie qui, chez nos voisins d’Outre-Manche, pousse au contact d’un sol souvent humide (voire détrempé !).

D’où l’utilisation de paille pour isoler les fraises du sol.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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