Ghana : les effets de la transition nutritionnelle analysés en temps réel

17 mars 2022
Transition nutritionnelle au Ghana

Ces dernières décennies, le continent Africain connait des transformations rapides et majeures des modes de vies notamment liées à l’urbanisation rapide de ses populations. Des travaux de recherche réalisées sur des populations urbaines, rurales et émigrées d’Afrique sub-saharienne (Ghana) permettent de documenter quasiment en temps réel les effets de la transition alimentaire sur la santé des populations. Ces travaux soulignent le poids croissant et problématique des maladies chroniques (obésité, diabète de type 2) sur les populations, y compris en zone rurales. Ces études montrent également des modifications importantes des habitudes alimentaires et appellent à mettre en œuvre des actions de prévention spécifiques que ce soit sur le continent Africain ou dans les pays d’accueil.

En 40 ans, la part de personnes souffrant d’obésité dans le monde a été multipliée par trois (voir encadré). Touchant traditionnellement les pays à revenu élevé, en particulier anglophones (USA, Canada, Royaume-Uni), l’obésité concerne également de plus en plus des pays à revenu faible ou intermédiaire. Chine, Mexique, Inde, Egypte, Brésil, mais aussi Turquie font désormais partie des 10 pays les plus touchés par l’obésité (NCD Risk Factor Collaboration, 2016). De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire voient, ainsi, une évolution rapide des problématiques de santé concernant leurs populations. Le poids des maladies infectieuses et infantiles se réduit, tandis que celui des maladies chroniques se fait de plus en plus fort.
C’est notamment le cas en Afrique subsaharienne où les maladies chroniques constituent à présent près du tiers des causes de maladies et incapacités. L’urbanisation rapide des populations et l’évolution associée des modes de vies font partie des causes avancées pour expliquer ce phénomène (Gouda HN et al. , 2019).

La population urbaine en Afrique a augmenté de 2000% entre 1950 et 2015
OCDE, 2020

Suivre l’effet de l’urbanisation et des migrations sur la santé des populations

L’Afrique présente, en effet, la plus forte croissance urbaine au monde. En 2015, 567 millions de personnes habitaient en ville et dans les 30 années à venir, 950 millions de personnes supplémentaires sont attendues dans les zones urbaines. (OCDE, 2020)
Au-delà de l’enjeu que représente ce phénomène en termes d’urbanisme, d’infrastructures ou d’économie, ce phénomène s’accompagne de transformations majeures pour les populations que ce soit en termes d’environnement, de modes de vie et d’alimentation.
Des études sont en cours afin de documenter et comparer l’état de santé des personnes en zones urbaine et rurale, mais aussi celui des personnes ayant migré en Europe. Par ce biais, il s’agit d’identifier des facteurs de risque spécifiques en vue de mettre en place des actions de prévention. Ces travaux permettent de décrire « en temps réel » les effets de la transition nutritionnelle (voir encadré).

Les populations urbaines et migrantes davantage touchées par l’obésité et le diabète de type 2

Une étude récente a, ainsi, comparé la prévalence du diabète de type 2 et de l’obésité chez plus de 6000 Ghanéens habitant en zone rurale, urbaine ou ayant migré dans les capitales européennes (Londres, Amsterdam et Berlin) (Agyemang, 2016).
Ce travail montre une prévalence croissante de l’obésité des zones rurales aux zones urbaines du Ghana, puis aux migrants en Europe.
Les personnes vivant en ville ont un risque 4 à 5 fois plus élevé d’être obèses que leurs homologues vivant en milieu rural (respectivement chez les femmes et chez les hommes). L’écart pour les populations installées à l’étranger est encore plus grand.
Chez les hommes, la prévalence de l’obésité varie de 1%, en milieu rural, à 21,4 %, à Londres. Chez les femmes, la différence est encore plus marquée. En zone rurale, 8,3 % des femmes souffrent d’obésité contre 54 % chez celles qui se sont installées à Londres.

De manière similaire, la prévalence du diabète de type 2 est faible chez les habitants du Ghana rural (3,6 % des hommes et 5,5 % des femmes). Elle est plus élevée en zone urbaine (10,3 % des hommes, 9,2 % des femmes) et chez les populations ayant émigré en Europe (à Berlin 15,3 % des hommes, 10,2 % et femmes).

Un phénomène qui ne se limite plus aux zones urbaines

Au regard de ces résultats, les auteurs pointent l’état de santé alarmant des populations émigrées. En effet, les populations ghanéennes installées en Europe sont très largement plus touchées par l’obésité que les populations des pays qui les accueillent.
D’autre part, ce travail met en lumière l’ampleur prise par les maladies chroniques sur le territoire ghanéen. La prévalence du diabète de type 2 en zones urbaines est du même ordre de grandeur que celle des populations émigrées. De plus, une part importante de la population souffre de surpoids et d’obésité, y compris en zone rurale, (près de 30% des femmes). Face à ces constats, les auteurs soulignent le rôle de changements de mode de vie (moindre activité et consommation d’aliments transformés à forte densité énergétique) et soulignent la nécessité de clarifier les facteurs en jeu, afin d’élaborer des programmes d’intervention et de prévention ciblés.

Identifier l’effet des migrations et de l’acculturation sur les consommations alimentaires

Dans ce but, une seconde étude Osei-Kwasi, 2020 a examiné les habitudes alimentaires de populations ghanéennes vivant au Ghana et installées en Europe (Londres, Amsterdam, et Berlin). Les consommations alimentaires de 4 534 adultes ont été recueillies, comparées et analysées au regard de critères d’acculturation ethnique, culturelle et sociale.
Ce travail montre des consommations alimentaires différentes entre les deux groupes de population. Les populations installées en Europe mangent comparativement plus de pain et de pâtes, de volaille et autres sources de protéines, et de gâteaux et produits sucrés que leurs homologues résidant au Ghana. Au contraire, ils mangent moins de poissons, fruits et légumes racines/ tubercules et plantain.
L’analyse de ces consommations au regard des critères d’acculturation ne montrent pas d’association forte hormis pour l’identité ethnique, qui est systématiquement associée à la consommation d’aliments de base traditionnels.
Les auteurs de ce travail concluent ainsi que la migration est associée à des changements de consommation alimentaire qui ne peuvent pas être entièrement expliqués par l’acculturation ethnique, culturelle et sociale. Dans une optique de prévention, ils recommandent que les conseils et interventions en matière de nutrition se concentrent sur le maintien d’aliments traditionnels sains dans le cadre d’une alimentation saine, car la population émigrée pourrait être plus réceptive aux messages qui mettent l’accent sur l’identité culturelle.

La transition nutritionnelle : définition et effets

La modernisation, l’urbanisation, le développement économique et une augmentation du revenu entraînent un changement dans les comportements alimentaires appelé « transition nutritionnelle ». Cinq modèles définissent cette transition (Harvard, 2020) :

  • Modèle 1 : Chasse et cueillette – Les individus mènent un mode de vie très actif, chassant et cherchant leur nourriture. Les régimes alimentaires « typiques » sont riches en fibres d’origine végétale et en protéines d’origine animale (viande).
  • Modèle 2 : Début de l’agriculture – La famine est courante, ralentissant la croissance des individus et diminuant leur masse graisseuse.
  • Modèle 3 : Fin de la famine – La famine recule à mesure que les revenus augmentent et que la nutrition s’améliore.
  • Modèle 4 : Suralimentation, et maladies liées à l’obésité. Comme les revenus continuent d’augmenter, les individus ont accès à une abondance d’aliments riches en calories et deviennent moins actifs, ce qui entraîne une augmentation de l’obésité et des maladies chroniques liées à l’obésité, comme le diabète de type 2 et les maladies cardiaques.
  • Modèle 5 : Changement de comportement. En réponse à l’augmentation des taux d’obésité et de maladies chroniques liées à l’obésité, les individus modifient leur comportement avec le soutien des communautés pour prévenir ces conditions.

Actuellement, la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire passent rapidement du modèle 3 (fin de la famine) au modèle 4 (surconsommation et aliments très caloriques). Ce passage d’une alimentation traditionnelle à une alimentation de type occidental a été un facteur clé de l’épidémie d’obésité dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Obésité : une épidémie mondiale (NCD Risk Factor Collaboration, 2016)

  • Entre 1975 et 2014, la prévalence de l’obésité dans le monde est passée de 3,2 % à 10,8 % chez les hommes et de 6,4 % à 14,9 % chez les femmes.
  • En 2014, environ 266 millions d’hommes et 375 millions de femmes étaient obèses dans le monde.
  • 18,4% des adultes obèses dans le monde vivent dans des pays anglophones à revenu élevé.
  • Au cours des deux dernières décennies, la prévalence de l’obésité a augmenté dans les pays de l’Union européenne. Parmi les 18 pays inclus, le taux moyen d’obésité est passé de 11 % en 2000 à 17 % en 2010 (OCDE, 2020).
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