Aliments ultra-transformés : une audition et des travaux à venir de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques

7 octobre 2022

Alors qu’un nombre croissant de travaux de recherche pointent des effets néfastes des aliments ultra-transformés sur la santé et que de récents travaux parlementaires s’emparent de cette notion, l’OPECST a organisé, le 22 septembre, une audition sur ce sujet. Points clés de cette matinée.

Comme rappelé en préambule par la sénatrice Angèle Préville – organisatrice de l’audition sur les aliments ultra-transformés :

« L’alimentation est l’un des déterminants majeurs de la survenue des maladies chroniques dont le coût humain, social et économique est devenu considérable. Pour prévenir ces maladies, la promotion d’un régime alimentaire sain est un véritable impératif de santé publique. En matière de nutrition, l’approche classique considère les aliments au regard de leur composition en nutriments. Mais le développement de l’alimentation industrielle a vu émerger une nouvelle vision basée sur le degré de transformation subi par les aliments, les plus transformés d’entre eux dit ultra transformés. »

Cette matinée d’échange, organisée le 22 septembre, s’inscrit dans le cadre de l’élaboration d’une note scientifique par l’OPECST destinée à informer le Parlement et éclairer ses décisions sur la question des aliments ultra-transformés. Grâce à l’intervention de scientifiques et d’acteurs du domaine, il s’agissait de :

  • Questionner scientifiquement la classification des aliments sur la base de leur degré de transformation ;
  • Faire un tour d’horizon des connaissances relatives à l’impact des aliments ultra-transformés sur la santé et des conséquences du développement de l’alimentation industrielle sur les comportements alimentaires ;
  • Réfléchir à la place de la classification basée sur la transformation dans les recommandations de politiques publiques.

Une absence de méthodologie officiellement reconnue

Une première table ronde a réuni Véronique BRAESCO, directrice de VAB-nutrition et membre correspondant de l’Académie d’agriculture de France, Anthony FARDET, chargé de recherche à l’INRAE et Mathilde TOUVIER, Directrice de recherche à l’INSERM (Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle – EREN).

Bien qu’il n’existe actuellement pas de méthodologie officiellement reconnue pour classer les aliments selon leur degré de transformation, la plupart des travaux de recherche sur cette question utilisent la classification NOVA (voir encadré).

Comme le souligne Mathilde Touvier, depuis les années 2010, de très nombreuses études ont examiné les liens entre consommation d’aliments ultra-transformés et santé. Plus d’une centaine d’études épidémiologiques, dont les résultats issus de la cohorte Nutrinet-Santé montrent des risques accrus de maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, obésité, syndromes dépressifs), mais également de mortalité.

Des effets néfastes qui seraient liés à la matrice des aliments

Les mécanismes en jeu restent à déterminer, mais l’hypothèse centrale, relayée par Anthony Fardet, pointe les particularités nutritionnelles de ces aliments (teneur élevée en sucre, sel et graisses saturées, indice glycémique élevé, présence de multiples additifs et ingrédients particuliers etc) et le fait que leurs structures soient profondément altérées, comparés à des aliments de moins haut degré de transformation. C’est cet effet matrice dégradée et artificialisée qui expliquerait les effets observés.

Ainsi, au regard de ces éléments, Mathilde Touvier et Anthony Fardet estiment qu’il y a suffisamment de preuves et de convergences d’indices pour appliquer le principe de précaution vis-à-vis des aliments ultra-transformés. Au contraire, Véronique Braesco met en exergue l’absence de méthode validée et reconnue de classification. De ce fait elle souligne les difficultés d’interprétation des études existantes, de construction de nouvelles recherches et le frein pour la mise en place d’actions réglementaires ou de santé publique.

Des aliments qui agissent sur les préférences individuelles

La seconde table-ronde s’est penchée sur les effets de l’industrialisation de l’alimentation sur les habitudes et comportements alimentaires. Elle a réuni Sophie NICKLAUS, directrice de recherche à l’INRAE, Jean-Pierre POULAIN, professeur de sociologie à l’université Toulouse et membre de l’Académie d’agriculture de France et Thierry MARX, chef-cuisinier. Selon l’étude ENNS 2006 (Andrade, 2021), en France les aliments ultra-transformés fournissent 30 à 35% des apports énergétiques moyens des adultes et 46% de ceux des enfants. A titre de comparaison, aux Etats-Unis ils représentent 57% des apports énergétiques des adultes.

Cette table-ronde a permis de souligner que les caractéristiques intrinsèques des aliments-ultra-transformés viennent perturber différentes dimensions du plaisir alimentaire et influent donc sur les consommations.

D’un point de vue sensoriel, les aliments ultra-transformés sont conçus pour être appréciés des consommateurs. En outre, ils contiennent des additifs (colorants, émulsifiants, arômes) qui renforcent les propriétés organoleptiques et une forte densité énergétique, accroissant toutes deux leur appréciation, comparés aux aliments bruts. Ils sont par ailleurs plus faciles et rapides à consommer. Du point de vue de la commensalité (partage avec d’autres), les aliments ultra-transformés et les possibilités d’emballage associés (à la portion) permettent de nouveaux usages alimentaires. A l’inverse des plats et repas partagés, ces aliments peuvent induire une individualisation de l’alimentation et un isolement. Il y a ainsi, une perte des mécanismes sociaux liés à l’alimentation, ce qui peut entrainer une évolution des comportements, mais également une perte de culture et compétences culinaires. Enfin, concernant le plaisir cognitif (dimensions liées à l’imaginaire), la publicité associée aux aliments ultra-transformés aide à imposer ces aliments dans l’imaginaire collectif et à les rendre plus désirables que les aliments bruts.

Face à cette situation, l’importance de l’éducation alimentaire et la promotion des comportements favorables à la santé dès le plus jeune âge mais aussi la nécessité d’assurer un environnement alimentaire de qualité, accessible à tous ont été soulignées.

Transformation des aliments et aliments ultra-transformés

    La transformation des aliments correspond à l’ensemble des procédés mis en œuvre pour passer de matières premières à des aliments. Elle poursuit deux buts principaux :

  • produire des aliments comestibles c’est-à-dire consommables sans risques et agréables à manger, à partir d’ingrédients bruts ;
  • permettre la conservation des ingrédients ou des aliments au-delà de leurs périodes de récolte dans des conditions optimales de sécurité.
  • Mis en œuvre par l’espèce humaine avant même l’invention de l’agriculture, les procédés de transformation ont connu depuis les années 50 de profondes transformations et accélérations, en parallèle du développement de l’industrie agro-alimentaire (Renard, 2022). A partir de la fin des années 2000, le concept d’ultra-transformation est apparu au sein de la communauté scientifique, sous l’impulsion des travaux de Carlos Monteiro (Monteiro, 2009). Ces travaux sont à l’origine de la classification NOVA, qui distingue les aliments selon leur degré de transformation en 4 groupes (Gigney 2019).

    Les aliments ultra-transformés correspondent au groupe NOVA 4. Ils ont subi de nombreuses transformations physiques ou chimiques et peuvent contenir diverses substances non nutritionnelles comme des additifs. Cependant, tous les produits industriels ne sont pas ultra-transformés, certains peuvent présenter une composition similaire à des aliments traditionnels. La liste des ingrédients permet alors de les différencier.

Groupe Type d’aliments But technologique Exemple d’aliments
1 Aliments non transformés ou transformés minimalement Augmenter la praticité et la conservation Fruits, légumes, œuf, lait, céréales complètes
2 Ingrédients culinaires transformés Extraction des denrées agricoles Miel, sucre, huile, vinaigre, sel
3 Aliments transformés Augmenter la conservation à petite échelle et à la palatabilité Légumes en conserves, fromage, pain
4 Produits alimentaires et boissons ultra-transformés Imiter, restaurer ou exacerber les propriétés sensorielles et augmenter la durée de conservation à grande échelle Yaourts aux fruits, biscuits, charcuteries, céréales du petit déjeuner
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