Réseaux sociaux, quels impacts sur les comportements alimentaires ?

15 février 2023

En quelques années, les réseaux sociaux sont devenus des médias d’information à part entière, notamment chez les plus jeunes. Instagram, Tiktok ou encore Youtube sont utilisés pour rechercher des informations que ce soit sur la santé, l’actualité ou encore l’alimentation. En parallèle de cette tendance et face à la progression de l’obésité, de nombreux messages liés à l’alimentation sont diffusés sur ces plateformes, notamment en lien avec le « manger sain ». Lors de la Journée annuelle Benjamin Delessert 2023, Pascale Ezan – Professeure des universités – Université de Rouen- a dressé un état des lieux des impacts – tant positifs que négatifs- de ce phénomène sur les comportements alimentaires.

En l’espace d’une vingtaine d’années, les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien. A titre d’exemple, les jeunes de 18-24 ans y ainsi passent plusieurs heures par jour. Ils suivent principalement des influenceurs – des individus avec un nombre élevé d’abonnés qui sont aujourd’hui devenus des figures d’autorité pour parler de l’alimentation. Mettant en scène leur quotidien, les influenceurs ont investi les plateformes en ligne avec des comptes articulés autour de l’activité physique, du fitness, de l’alimentation équilibrée et du bien-être de façon plus globale.

4,76 milliards

d’utilisateurs des réseaux sociaux en 2023 (Datareportal, 2023).

150 000

influenceurs en France tous sujets confondus.

106 millions

de posts « #Healthy » répertoriés sur Instagram.

Les réseaux sociaux, moyen de sensibilisation à l’alimentation et à la cuisine pour les plus jeunes

Dans le cadre du projet ALIMNUM (voir encadré), Pascale Ezan et ses partenaires étudient les relations entre alimentation et numérique, et cherchent à déterminer comment les réseaux sociaux façonnent- le rapport à l’alimentation des publics jeunes Les résultats de ce projet montrent que les informations liées à l’alimentation et à l’activité physique sont largement diffusées sur les réseaux sociaux. Les informations véhiculées concernent les recommandations de santé publique (manger 5 fruits et légumes par jour, réduire sa consommation de produits ultra transformés etc.) mais aussi des astuces pour cuisiner rapidement, facilement et à petit budget tout en tenant compte de la notion d’alimentation saine. De nombreuses idées de recettes et réalisations pas à pas circulent, notamment sur Instagram, fournissant ainsi un large choix d’inspiration pour cuisiner.

Des influenceurs accessibles et vecteurs de liens sociaux

A l’inverse des professionnels de santé, les influenceurs ont une communication horizontale, c’est-à-dire qui instaure un rapport d’égalité entre eux et leurs followers. Les entretiens réalisés dans le cadre du projet ALIMNUM montrent que, de ce fait, les influenceurs sont perçus comme accessibles, ce qui favorise une proximité entre le créateur de contenu et sa communauté.

Les contenus des influenceurs sont, par ailleurs, centrés sur des préoccupations partagées avec leurs abonnés. Outre l’alimentation, il peut s’agir de sport, de mode, de décoration, de jardinage et bien d’autres thématiques. Ce partage d’intérêts communs renforce d’autant plus la proximité et l’authenticité des échanges.

Les réseaux sociaux, des supports de motivation, avec des mises en scène ciblées

Le ton des influenceurs, décalé, humoristique et non moralisateur est également un point qui permet à leur communauté de plus facilement s’identifier et écouter les messages qu’ils véhiculent. La richesse du contenu proposé par les influenceurs réside dans le fait que les pratiques sont ancrées dans des expériences personnelles avec parfois des essais et des échecs. En partageant leurs repas et leurs routines, les influenceurs montrent l’exemple et démontrent comment une alimentation saine et la pratique d’une activité physique sont importantes pour la santé.

Leurs contenus constituent de véritables sources de motivation invitant les internautes à faire de même par effet de mimétisme. Comme l’a souligné Mme Ezan, l’accompagnement des influenceurs et leur soutien, à l’image des coachs, encourage les individus à poursuivre leurs efforts dans leurs nouvelles routines.

Youtube : une faible part de contenus respectant les recommandations nutritionnelles

Pour autant, les influenceurs n’ont pas tout bon. Ainsi que l’a indiqué Mme Ezan, l’analyse de 86 vidéos Youtube « Une journée dans mon assiette » a révélé que dans la majorité, les recommandations nutritionnelles ne sont pas atteintes dans ces vidéos.

« 87% de ces vidéos ne respectaient pas les apports énergétiques totaux recommandés pour une femme. »

Le constat est le même pour les apports en protéines, lipides, glucides mais aussi pour les micronutriments. Ce premier constat parait alarmant car les influenceuses auteures de ces vidéos sont pourtant considérées comme des expertes sur le sujet et bénéficient donc d’une forte influence sur leurs communautés (Maxime David, 2021). D’après le corpus de vidéos analysées, la vision d’une alimentation « healthy » parait faussée et s’éloigne des recommandations nutritionnelles : mauvaise répartition des protéines-glucides-lipides, régimes « trop » végétariens entrainant des carences, promotion de compléments alimentaires pour la plupart inutiles et primauté accordée à l’esthétisme des visuels au détriment de repas équilibrés.

Un désir de minceur sous-jacent et le besoin de contrôle

Comme l’a également souligné Mme Ezan lors de son intervention, dans ces contenus, le fait de manger sainement s’accompagne souvent de la volonté de mincir, qui n’est pourtant pas explicitée. Les différentes vidéos Youtube analysées montrent en effet plusieurs points communs : astuces « coupe faim » pour atteindre la satiété (graines de chia, grand verre d’eau lorsque la faim se fait ressentir…), utilisation d’aliments peu caloriques (courgettes, salade, konjac…), le tout pour manger des plats peu caloriques qui permettront tout de même de remplir l’estomac. Ce désir de minceur s’ancre avant tout dans la recherche du corps idéal sculpté par la société.

Le besoin de contrôle alimentaire semble également être une notion prédominante au regard des différentes vidéos YouTube étudiées. La notion de manger sain est opposée aux écarts et au plaisir qui ont plutôt lieu le week-end, effaçant totalement de ce fait la dimension hédonique. Les Youtubeuses disent ainsi « s’écarter du droit chemin » et culpabilisent de casser la dynamique de la semaine (Maxime David, 2021). Ce sur-contrôle (qui peut aussi être restrictif) est pourtant dangereux et peut être à l’origine de TCA.

Ainsi, sur les réseaux sociaux, la multitude des messages liés à l’alimentation, véhiculés pour la plupart par des influenceurs (qui sont rarement des professionnels de santé), peut donner lieu à des pratiques alimentaires risquées qui s’éloignent des recommandations nutritionnelles de santé publique. La quête silencieuse d’une silhouette façonnée selon les normes corporelles peut avoir des impacts psychologiques importants (baisse de confiance en soi, insatisfaction corporelle) qui peut entrainer des TCA.

Associer professionnels de santé et influenceurs pour capitaliser sur les savoir-faire et réguler les discours

Pour réguler les discours présents sur les réseaux sociaux, Mme Ezan a ainsi pointé deux axes de développement importants :

  • D’une part que les experts scientifiques investissent les différents réseaux sociaux ;
  • D’autre part, que les professionnels de santé et les influenceurs s’associent.

Capitaliser sur les influenceurs permet de toucher un public jeune, large qui peine à être atteint en dehors des réseaux sociaux par les actions de promotion de la santé. Appréciés par leurs communautés et incarnant des « modèles », leurs abonnés seraient probablement plus enclins à les écouter et à reproduire leurs comportements. Le partenariat entre Squeezie et la campagne nationale « Manger Bouger » est d’ailleurs un exemple encourageant puisqu’à la suite des vidéos réalisées, 30% des 18-25 ans ont déclaré avoir testé une ou plusieurs recettes saines.

L’intervention de Pascale Ezan lors de la Journée Benjamin Delessert 2023 se base sur les résultats de plusieurs travaux (Gâté 2021, David, 2021), menés dans le cadre du projet ALIMNUM (voir encadré).

L’étude ALIMNUM

Projet pluri disciplinaire, ALIMNUM est coordonné par Pascale Ezan) et fédère 20 chercheurs issus de 5 laboratoires : marketing, santé publique, psychologie, sociologie de l’alimentation et sociologie du numérique. Il a été retenu par l’Agence Nationale de la Recherche pour un financement de 2022 à 2026. Ce projet vise à apporter une analyse approfondie de la contribution des communautés virtuelles sur les pratiques alimentaires des étudiants (18-25 ans) et de leur impact sur les risques d’entrée en TCA, cette population y étant particulièrement exposée. Son objectif est de mesurer l’impact de la sociabilité numérique sur les pratiques nutritionnelles et les risques d’entrée en TCA. In fine, il s’agit de proposer une gestion anticipée de ce risque grâce à un outil de dépistage.

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