Fruits et légumes : santé, comportement et dépenses publiques

Quand la « cuisine de rue » devient… gastronomique

La « cuisine de rue » est une des grandes tendances de la consommation alimentaire en ce début de 21ème siècle. Le chiffre d’affaires de ce secteur ne cesse d’augmenter, des chefs étoilés s’y intéressent, de même que des distributeurs « chics » comme Monoprix. De nouvelles chaînes de restaurants (Cojean, Exki…) sont apparues au début des années 2000 et commercialisent des produits nomades (salades, soupes, sandwiches) « frais, naturels et sains ».

Il n’existe pas de définition officielle de la cuisine de rue. Mais on qualifie souvent ainsi toute cuisine faite dans la rue et/ou pour la rue. En d’autres termes une cuisine simple, réalisée avec des équipements sommaires et/ou des aliments consommables sans couverts, voire tout en se déplaçant. Jusqu’à ces dernières années, les Français ne connaissaient la cuisine de rue que dans son acception de « nourriture pratique à manger dans la rue » (les traditionnelles sandwicheries et les crêperies au coin des cafés). Mais ils ignoraient presque tout de la version « cuisiné dans la rue » (seuls les camions à pizza ou les baraques à frites dans le nord de la France pouvaient être rangés dans cette seconde catégorie). En revanche, la « vraie » street food, comme la nomment les anglo-saxons, est pratiquée depuis bien longtemps dans les grandes villes asiatiques, nord-américaines, africaines ou latino-américaines.

Une activité qui remonte à l’Antiquité

Acheter de la nourriture cuisinée dans la rue est en réalité une activité qui remonte à l’Antiquité. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil… de Pompéi ! Les personnes qui ont eu l’occasion de visiter cette ville recouverte par les cendres du Vésuve il y a 2000 ans n’ont pu manquer les thermopolia. Ces cuisines ouvertes sur la rue permettaient aux Pompéiens pressés de grignoter debout un plat chaud ou froid, en une poignée de minutes. De même, dans la France du Moyen âge, les logements urbains des classes laborieuses étaient souvent très exigus et ne permettaient pas de cuisiner au domicile (le risque d’incendie, dans ces maisons en bois était en effet très élevé). Fort heureusement, les cuisiniers de rue étaient nombreux : pour un prix modique, les gens modestes pouvaient leur acheter, des plats chauds ou froids (pâtés, tourtes, beignets, etc.).

Une réponse à deux changements majeurs

En France et dans les autres pays industrialisés, l’émergence et l’essor de la nourriture de rue ont constitué une réponse à deux changements majeurs. Le premier est la mutation des modes de vie, en lien avec l’urbanisation croissante. Dans les villes, la part des femmes ayant une activité professionnelle et travaillant loin de leur domicile est élevée. Les longs temps de transport entre le logement et le lieu de travail réduisent le temps disponible (et l’envie) pour faire les courses et préparer les repas à la maison. Par ailleurs, la journée continue s’est généralisée : beaucoup de personnes déjeunent sur leur lieu de travail ou d’études et doivent, ou souhaitent, se restaurer rapidement. A cela, il convient d’ajouter l’augmentation des déplacements des personnes, que ces trajets soient professionnels ou privés. La nourriture de rue, achetée au pied de l’immeuble ou à la sortie du métro, et mangée à l’extérieur ou sur un coin de bureau permet de répondre à cette exigence de praticité et de rapidité… Le second facteur est celui de la crise économique et financière de 2008. La réduction du pouvoir d’achat (ou son anticipation) a conduit beaucoup de nos concitoyens à restreindre leurs dépenses de restauration hors domicile et à en privilégier les modalités les moins coûteuses.

Street food ? Pas nécessairement synonyme de junk food !

Si elle est à la fois pratique et économique, la nourriture de rue n’a pas, en revanche, une image positive. On l’assimile souvent à la malbouffe, aux étals proposant des crêpes au Nutella ou aux baraques des vendeurs de hot-dogs et de frites. Mais plusieurs chefs – y compris parmi les plus prestigieux – se sont intéressés à cette nouvelle façon de manger. A la fin de l’année 2009, Thierry Marx, une de nos actuelles stars des fourneaux a créé un « atelier de cuisine nomade » près de Bordeaux. Un projet du même type devrait voir le jour très prochainement à Paris. L’objectif est d’offrir à des jeunes sans diplômes ou à des demandeurs d’emploi de longue durée la possibilité de suivre une formation gratuite, de durée courte mais qualifiante au métier de « restaurateur nomade. » La demande semble en effet être au rendez-vous pour une cuisine de rue à la fois équilibrée et… gastronomique.

En effet, le citadin pressé ne se contente plus de manger vite et pas cher. Il veut en plus manger sain et bon, passer du fast food au fast good ! En témoigne l’essor des bars à soupes ou à smoothies, des saladeries, des sandwicheries offrant des produits à haute valeur gustative… Et ces envies ne se limitent pas à la pause-déjeuner des journées de bureau : les mangeurs urbains apprécient également de pouvoir se restaurer en soirée ou pendant le week-end de nourritures de rue savoureuses, fraîches, diététiquement correctes et « naturelles ».

La street-food gastronomique explose aux Etats-Unis !

Aux Etats-Unis, la cuisine de rue a connu un nouvel élan à partir de l’automne 2008, date du début de la crise financière. La traditionnelle street food d’outre-Atlantique a pris un virage « haut de gamme » pour répondre aux attentes d’une clientèle désireuse de manger des plats raffinés mais ne voulant pas (ou ne pouvant plus) payer le prix d’un repas dans un grand restaurant. Certains propriétaires de food trucks (les célèbres camions-restaurants américains) ont alors eu le flair de se reconvertir vers une nourriture de rue beaucoup plus sophistiquée que les traditionnels hot-dogs. Des « bustaurants » d’un nouveau type se sont mis à proposer des rouleaux de homards ou de crabe, des tajines d’agneau bio, des soupes aux fruits de mer ou des crèmes brûlées à la pistache. D’anciens banquiers d’affaires ou avocats se sont également reconvertis vers ce business rentable. En effet, ouvrir un restaurant à New York nécessite un capital compris entre 850 000 et 1,5 million de dollars, alors que l’investissement dans un food truck est dix fois moins dispendieux. Et le chiffre d’affaires annuel peut dépasser le million de dollars !

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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