Alimentation durable : une matinée pour faire le point

17 mars 2023
Matinée conseil conso - SIA 2023 - alimentation durable

A l’invitation de son conseil consommateurs, Aprifel a organisé, le 2 mars dernier, la conférence « Alimentation durable : Où en sont les Français ? Quelles sont les clés de la réussite ? ». Animée par la directrice d’Aprifel, Delphine Tailliez, cette matinée à donné la parole à des experts d’horizon variés – chercheurs en nutrition, agronomie, économistes, spécialistes de la consommation – et réunit près de 80 personnes. Cet évènement a permis d’identifier des leviers et conditions tout au long de la chaîne du producteur au consommateur pour rendre la transition alimentaire accessible au plus grand nombre. Retour sur cette matinée.

Delphine Tailliez  - conseil conso - SIA 2023

En ouverture de la conférence, Maud Faipoux, Directrice générale de l’alimentation et Remi de Kahane, président du conseil consommateurs d’Aprifel ont rappelé les enjeux associés aux transitions vers une alimentation et un système alimentaire plus durables.

Maud Faipoux - matinée conseil conso - SIA 2023

Les régimes alimentaires durables englobent quatre dimensions. Ils sont à la fois « nutritionnellement sûrs et sains, contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines » (FAO, 2020).

Alors que les systèmes alimentaires actuels, sont responsables de 20 à 35% des émissions de GES et un moteur majeur de conversion des terres, de déforestation et de perte de biodiversité, l’urgence d’aller vers plus de durabilité fait largement consensus. Le « comment » reste cependant à inventer.

« L’enjeu des transitions alimentaires est un enjeu transfrontalier et chaque pays, chaque territoire et chaque acteur devra y trouver ses propres solutions »

Rémi Kahane, président du Conseil Consommateurs d’Aprifel.
Rémy Kahane - matinée conseil consol - SIA 2023

Au regard des données scientifiques actuelles, l’un des leviers pour y parvenir réside dans le contenu de nos assiettes et notamment l’augmentation de la part du végétal et des fruits et légumes. En France, bien qu’une majorité affirme vouloir consommer davantage de produits végétaux, cette aspiration ne se vérifie pas totalement dans les faits. Ainsi, seule une minorité de Français atteignent les 5 portions quotidiennes de fruits et légumes recommandées par le PNNS – 42% selon l’étude INCA 3 (Anses, 2016) ; 32% selon le Crédoc (Crédoc, 2019).

Les deux premières interventions de la matinée se sont ainsi attachées à dresser un état des lieux des consommations alimentaires en France et à identifier certains de leurs déterminants.

Achats alimentaires : des changements de pratiques, notamment liés au contexte sanitaire et économique

Catherine Baros - matinée conseil conso- SIA 2023

En premier lieu, Catherine Baros, Responsable études consommateur et RHD au CTFIL, a fait le point sur les tendances de consommation alimentaires en France. Ces dernières années, et particulièrement depuis 2020, de nouvelles habitudes émergent :

  • Achats alimentaires plus fréquents et lieux d’achats plus nombreux que dans le passé,
  • Réduction des achats de viande et poisson,
  • Essor de l’offre anti-gaspi,
  • Aspiration à manger moins mais mieux, chez ceux qui le peuvent
  • Demande de produits locaux, bons et respectueux de l’environnement

Ces évolutions résultent notamment du contexte particulier : pandémie de Covid, émergence du télétravail et évolution des modes de déplacement ; inflation et hausse des prix de l’énergie ; crise climatique et économique …

Concernant spécifiquement les fruits et légumes, les volumes achetés sont en légère baisse depuis 2016 et les populations les plus âgées restent les plus forts consommateurs. L’évolution des repas pris à domicile – déstructuration et simplification des repas – entraine une baisse des consommations d’entrées et de crudités. A l’inverse, de nouveaux moments de consommation se développent et constituent des opportunités pour faire augmenter les consommations : fruits au petit déjeuner et au gouter ou encore crudités à l’apéritif. En conclusion de son intervention, Catherine Baros a insisté sur les leviers pour encourager une consommation durable :

  • Confiance et transparence vis à vis des produits
  • Plaisir en aidant à s’approprier les produits ;
  • Fin des injonctions.

Dans l’assiette des Français, des inégalités sociales et alimentaires à prendre en compte

Nicome Darmon - matinée conseil conso - SIA 2023

En préambule de son intervention, Nicole Darmon, directrice de recherche à l’Inrae a rappelé les inégalités sociales de santé et les inégalités alimentaires existant en France.

« Il y a deux fois plus d’adultes en situation d’obésité chez les personnes touchées par une insécurité alimentaire sévère que chez celles en situation de sécurité alimentaire ».

Nicole Darmon

Les consommations de fruits et légumes sont particulièrement différenciées selon le niveau de revenu avec un accroissement selon le niveau de revenus. Cependant, si on examine les structures de dépenses alimentaires par niveau de revenus, la répartition reste sensiblement la même avec en 1ère position la viande et le poisson.

Afin de parvenir à aller vers une alimentation plus durable en respectant son budget, le projet de recherche « Opticourse » fournit des enseignements intéressants. Réalisé avec des personnes en situation de précarité alimentaire, cette expérimentation a permis de montrer qu’il est possible d’aller vers une alimentation saine et durable à budget constant en s’appuyant sur la hiérarchie du coût des calories et de l’impact carbone des catégories d’aliments. Cela amène notamment à limiter :

  • les dépenses pour la viande en les reportant sur les fruits & légumes
  • les plats préparés et les snacks en les reportant sur produits laitiers frais
  • les achats de produits gras/sucrés/salés en les reportant sur les féculents « complets » (céréales complètes, légumes secs)
Slide alimentation équilibrée et petit budget - alimentation durable - matinée conseil conso - SIA 2023

Ce nouvel équilibre est bénéfique tant pour la santé que pour l’environnement et le budget, mais nécessite d’être accompagné pour que chacun se l’approprie et l’adapte à ses habitudes et préférences.

Bien que le consommateur soit, par ses choix, un acteur central de la transition alimentaire, les secteurs agricoles et économiques doivent également se mettre en mouvement afin de proposer, à tous, une offre alimentaire durable, adaptée et accessible. Ainsi, les deux interventions suivantes se sont attachées à replacer l’évolution des régimes alimentaires dans une dynamique plus globale intégrant les systèmes agricoles et les enjeux économiques associés.

Les transitions alimentaires, sources de tensions économiques à résoudre

Louis-georges Soler - matinée conseil conso - SIA 2023

Comme l’a rappelé Louis-Georges Soler – Directeur Scientifique Adjoint à l’Inrae au début de son intervention, pour aller vers un système durable, trois leviers sont identifiés (Pacte Vert Européen) :

  • L’évolution des modes de production vers l’agroécologie ;
  • La réduction des pertes et du gaspillage alimentaire ;
  • L’adoption de régimes alimentaires durables.

Une analyse récente de l’ambition politique du Green Deal/Pacte vert européen montre que la transition alimentaire pourrait s’accompagner de tensions économiques entre différents acteurs (Guyomard, Detang-Dessendre, Réquillart & Soler, 2023), une situation illustrée à travers l’exemple des protéines végétales. Dans cette modélisation, l’évolution des pratiques agricoles, bénéfique pour l’environnement, entraine des baisses de production avec pour conséquence un coût plus élevé de l’alimentation. Cela se traduirait notamment par des dépenses plus importantes pour le consommateur ainsi qu’une augmentation des imports. Par ailleurs,

Ainsi, pour réussir la transition alimentaire, il faut que l’offre et la demande évoluent en même temps pour se répondre et se compenser ce qui nécessite de :

  • Proposer une agroécologie efficace répondant aux enjeux environnementaux sans trop de perte de quantité produite ;
  • Garantir le revenu des producteurs pour encourager le changement de pratiques ;
  • Tenir compte des inégalités pour que chacun puisse accéder à une alimentation durable.

Production agricole : la nécessité d’une approche globale et d’une coordination des parties prenantes

Antoine Messéan - matinée conseil conso - SIA 2023

En complément de cette vision économique, Antoine Messean, agronome à l’Inrae et président de l’Association Française d’Agronomie, a présenté plusieurs exemples d’innovations dans les systèmes agricoles nécessaire pour accompagner les transitions alimentaires. Depuis l’après-guerre, les systèmes agricoles et alimentaires sont spécialisés autour de cultures majoritaires. Or, la rediversification des cultures est un levier majeur de durabilité qui peut amener une meilleure gestion des ravageurs, améliorer les paramètres environnementaux (biodiversité, santé des sols, …, mais également améliorer les rendements.

Pour autant, toute diversification n’est pas bonne en soi, il y a donc un besoin important de recherche et d’innovation pour une diversification efficace des productions. En outre, la diversification est limitée par des verrous techniques, organisationnels et institutionnels interconnectés tout au long de la chaine alimentaire. Ainsi, les acteurs du système actuel – politiques publiques, scientifiques–… – permettent difficilement à ces innovations d’être valorisées et installées durablement (Messéan et al, 2021).

Limite de la diversification - matinée conseil conso  SIA 2023

De ce fait et comme le montrent les conclusions du projet européen DiverImpcat une approche systémique et coordonnée des différents acteurs de la agricoles et alimentaires est nécessaire pour lever les verrous de l’évolution de l’offre alimentaire. La production agricole et l’offre alimentaire associée devront s’appuyer sur de nouveaux systèmes de production, diversifiés, adaptables et flexibles pour répondre à ces enjeux.

Transition alimentaire : 5 pistes pour embarquer les consommateurs

Stéphane brunerie - matinée conseil conso - SIA 2023

Dernier intervenant de la matinée, Stéphane Brunerie, dirigeant de StripFood revient sur les données de l’Observatoire du rapport à la qualité et aux éthiques dans l’alimentation (Obsoco, 2021). Actuellement, seuls 45% des Français se disent engagés dans la transition alimentaire, 36% restent indifférents, et donc à convaincre et 18% sont en rejet ou à l’écart.

Pour embarquer les consommateurs dans la transition alimentaire, il propose 5 pistes de réflexion:

  • Travailler sur l’accessibilité prix, a fortiori dans le contexte économique actuel,
  • Nourrir le socle de connaissances : pour palier la perte de lien avec l’amont agricole et la rupture de transmission intergénérationnelle en cuisine, mais également pour expliquer l’importance de la transition et ses bénéfices pour les personnes,
  • S’adapter à l’évolution des modes de vie : accélération des rythmes de vie, demande de praticité et de rapidité,
  • Redonner envie :par l’accompagnement et par l’émotion, le plaisir étant un levier clé des transitions.
  • Bouger soi-même et sortir du cercle de l’inaction.

En conclusion de cette matinée, Christel Teyssedre, présidente d’Aprifel a rappelé le rôle joué par l’association depuis sa création pour la promotion d’une alimentation saine et durable, accessible à tous. Pour poursuivre les échanges de cette matinée, la présidente d’Aprifel a invité les participants à assister à la conférence EGEA 2023 « Alimentation, fruits et légumes et santé globale » qui se tiendra du 20 au 22 septembre 2023 à Barcelone.

Christel Teyssèdre - matinée conseil conso - SIA 2023
Retour