Les barrières à la consommation de fruits et de légumes

Alimentation et bien-être des bénéficiaires d’aides sociales de 50 à 65 ans

Les jeunes seniors bénéficiaires d’aides sociales de 50 à 65 ans, peu enquêtés en France, sont au coeur d’inégalités de santé1 du fait de leur vulnérabilité sociale 1,2. L’objectif de cette étude pilote multirégionale d‘observation est de caractériser la population bénéficiaire d’aides sociales (BAS) et celle non bénéficiaire (témoin). Les habitudes de vie saines et les aspects de bien-être entre les deux populations sont également comparés.

Le projet Nutriaccess

Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet Nutriaccess (de janvier à décembre 2016). Cette enquête transversale a été réalisée auprès d’un échantillon de population constitué de 188 sujets, réparti en 2 groupes (BAS : 80 et témoins : 108). Ceux-ci ont été recrutés par les associations d’aides alimentaires pour les BAS et sur le Salon de l’Agriculture pour les témoins. Les données sur le niveau de précarité, les habitudes alimentaires et la qualité de vie ont été recueillies grâce à un questionnaire approfondi (de 110 questions), basé sur le questionnaire validé de Bien-être et ALImentation 3. Les répondants ont été accompagnés pendant toute la durée du questionnaire. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel SPSS.

Les caractéristiques des jeunes seniors de 50 à 65 ans BAS

Les BAS sont davantage représentés par la catégorie socio-professionnelle des ouvriers que des cadres (16,4 % et 3,0% vs 10,5% et 43,2% pour les témoins). Ils sont à 61,2% sans emploi (20,7% pour les témoins), ont à 93,8% un niveau de diplôme inférieur au bac + 3 (51,1% pour les témoins) et sont plus isolés (55,4% vs 22,1%).

Concernant les habitudes de vie, le tabagisme est beaucoup plus élevé chez les BAS, à 42,9% contre 9,6% pour les témoins. La proportion d’individus obèses est plus élevée chez les BAS (29,9% vs 16,7%) alors que celle d’individus en surpoids est plus faible (22,4% vs 34,4%).

Des habitudes de vie moins saines

Pour les habitudes de consommation, 70,5% de l’échantillon BAS sautent des repas de temps en temps contre 24,9% pour l’échantillon témoin. 55% de l’échantillon BAS consomment des légumes au moins 5 ou 6 fois par semaine contre 74% pour l’échantillon témoin. Les pourcentages sont respectivement de 43,6% et 71,9% pour une consommation de fruits d’au moins 5 ou 6 fois par semaine. Pour faciliter l’interprétation, un score « habitudes de vie saines »(SVS) a été calculé selon 3 catégories (faible, moyen, élevé). Il regroupe 5 items dont le tabagisme et l’activité physique, pour un score maximum de 8 (correspondant aux habitudes de vie les plus saines).

Le SVS moyen (exprimé en moyenne ±écart type) est significativement plus faible pour les BAS, 4,1± 1,6 contre 5,9 ± 1,6 pour l’échantillon témoin. A l’inverse des témoins, la catégorie score faible est plus représentée que la catégorie score élevée chez les BAS (36,4% ont un score faible et 6,1% un score élevé alors que 9,3% des témoins ont un score faible et 40,7% un score élevé).

Un état inférieur de bien être

Concernant le bien-être, deux scores ont été calculés en 3 catégories (faible, moyen, élevé). Le premier est un score de bien-être de comportement alimentaire (SBCA) calculé à partir de 14 items (dont le fait de prendre son temps pour manger et de manger en compagnie), avec un score maximum de 56. Le SBCA moyen (±écart type) est significativement plus faible au seuil de 5%, pour les BAS, 39,2 ± 7,1 contre 41,5 ± 6,3 pour l’échantillon témoin. De nouveau, la catégorie score faible est plus représentée que la catégorie score élevée chez les BAS (31,8% ont un score faible et 16,7% un score élevé alors que 17,6% des témoins ont un score faible et 20,9% un score élevé).

Le second est un score de bien-être de qualité alimentaire (SBQA) calculé à partir de 5 items dont les aliments enrichis (par exemple en oméga 3, en calcium etc.) et les plats tous prêts, avec un score maximum de 20. Le SBQA moyen (±écart type) est significativement plus faible au seuil de 5%, pour les BAS, 9,1 ± 3,3 contre 11,5 ± 2,6 pour l’échantillon témoin. La catégorie score faible est également plus représentée que la catégorie score élevée chez les BAS (39,4% ont un score faible et 13,6% un score élevé alors que 12,1% des témoins ont un score faible et 31,9% un score élevé).

Un manque d’études dans le domaine

Aucune étude n’a actuellement travaillé sur le lien entre bien-être, alimentation et situation de précarité. Cependant, nos résultats rejoignent les travaux de Cavaillet et coll.1 qui par leur méta-analyse ont permis de définir le comportement alimentaire des personnes en situation de précarité (fréquences de consommation de fruits et légumes, choix de la quantité plutôt que la qualité, etc.) et de mettre en avant les restrictions alimentaires de cette population. De même, on retrouve dans nos résultats, les causes et conséquences de la précarité, qui ont pu être identifiées dans leur étude, comme le phénomène d’isolement ou les habitudes de vie néfastes qui peuvent engendrer l’apparition de maladies chroniques comme l’obésité.

En conclusion, cette étude montre qu’il existe des différences significatives entre les jeunes seniors de 50 à 65 ans BAS et témoins. Les BAS possèdent des habitudes de vie moins saines et un état de bien-être plus bas. Ces résultats préliminaires permettent d’entrevoir de nouvelles perspectives d’interventions (ateliers d’éducation nutritionnelle au sein des banques alimentaires, études cliniques etc.) pour cette population encore peu étudiée et dans une période décisive. Les résultats de l’étude sont à nuancer par le fait que le recrutement de l’échantillon témoin peut s’avérer non représentatif de la population générale. De même, le choix des items inclus dans les scores de bien-être est subjectif et le questionnaire reste complexe pour la population précaire. La validation du questionnaire (avec modifications de celui-ci) ainsi que le recrutement de plus de témoins et de bénéficiaires serait une voie d’amélioration.

Méthodologie des scores SVS, SBCA, SBQA : En suivant la méthodologie utilisée pour le questionnaire Well-BFq3, des dimensions ont été définies, regroupant un ou plusieurs items correspondant à des questions (tabagisme, consommation de fruits, IMC etc.). Ces items ont été codés de la même manière afin que la somme permette de calculer le score (le codage a été inversé pour les items « négatifs » comme la consommation de tabac).

Marine Morfaux
UNILASALLE, Beauvais, France
Anne-Kathrin Illner
UNILASALLE, Beauvais, France & Pôle d’activité en Nutrition, Alimentation et Santé Humaine (PANASH).
Camille Evrard
UNILASALLE, Beauvais, France
Marion Le Gal
UNILASALLE, Beauvais, France
Gaëlle Potier
UNILASALLE, Beauvais, France
Hélène Prud’homme
UNILASALLE, Beauvais, France
Marie Aguesse
UNILASALLE, Beauvais, France
Sophie Parent
UNILASALLE, Beauvais, France
Marie-Hélène Degrave
Association ALIM 50+ & M&H Match & Heather.
Brigitte Le Révérend
Association ALIM 50+
François Guillon
UNILASALLE, Beauvais, France & Association ALIM 50+
Hassan Younes
UNILASALLE, Beauvais, France & Pôle d’activité en Nutrition, Alimentation et Santé Humaine (PANASH).
  1. Cavaillet F., Darmon N., Lhuissier A., Regnier F., 2006. L’alimentation des populations défavorisées en France – Synthèse des travaux dans les domaines économique, sociologique et nutritionnel. IN : Les Travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2005-2006. Paris : La Documentation Française. p. 279-322.
  2. Drewnowski A., Kawachi I., 2015. Diets and health: how food decisions are shaped by biology, economics, geography, and social interactions. Big Data, volume 3, n° 3, p. 193-197.
  3. Guillemin I., Marrel A., Arnould B., Capuron L., Dupuy A., Ginon E., Laye S., Lecerf JM., Prost M., Rogeaux M., Urdapilleta I. et Allaert FA. 2016. How French subjects describe well-being from food and eating habits? Development, item reduction and scoring definition of the Well-Being related to Food Questionnaire (Well-BFQ©). Appetite, volume 96, p. 333-346
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