« Conseils nutritionnels et stratégies pour les praticiens »

Des légumes sur les toits

Produire au coeur des villes, en grande quantité et en hauteur, tomates, laitues, choux, concombres et fraises ! Telle est l’ambition de plusieurs projets qui ont vu le jour au cours des dix dernières années. Selon ses promoteurs, cette production alimentaire, au plus près des citadins consommateurs, présente de multiples avantages : nourrir avec des produits locaux et ultra-frais une population urbaine en forte croissance, limiter les besoins en terres cultivables, réduire la consommation d’énergies fossiles ainsi que les émissions de CO² liées au transport des aliments de la campagne vers la ville.

Fermes « verticales » pour légumes high-tech

Au Japon, des unités de production de légumes ont déjà été installées dans de nombreuses villes. Imaginé par un universitaire, le Pr Toyoki Kozaï, le système CPPS (Closed Plant Production System) compte parmi ses clients des restaurants, des centres commerciaux et des particuliers. A Vancouver (Canada), la société VertiCrop a installé sur le toit d’un parking une serre abritant des bacs de culture empilés verticalement par lots de 24. La terre est remplacée par un substrat en fibre de coco (culture hydroponique) et les bacs sont mobiles de façon à ce que les plantes captent toujours le maximum de lumière. Le dispositif permet de multiplier par 20 la production de salades au m² tout en ne nécessitant qu’une quantité limitée d’énergie et d’espace. A Singapour, deuxième pays le plus densément peuplé du monde, une autre ferme « verticale » commercialise des légumes depuis fin 2012. Ceux-ci poussent dans des sortes d’étagères superposées formant des tours de 9 mètres de hauteur. La surface au sol de chaque tour n’est que de 6 m² mais elle fournit une production équivalente à celle d’une parcelle de… 72 m², avec des besoins en eau et en main-d’oeuvre proportionnellement plus faibles. Une tonne de légumes sort chaque jour de cette « ferme-usine » à destination des supermarchés locaux. Mais leur prix demeure élevé : ces légumes frais coûtent encore 50% plus cher que lorsqu’ils proviennent d’une ferme traditionnelle.

Coloniser les toits des immeubles

Un autre modèle d’agriculture urbaine, moins futuriste et plus modeste, consiste à coloniser les toits des immeubles pour y faire pousser, de façon traditionnelle, des fruits et des légumes à l’air libre ou sous serre. A New York, la ferme Brooklyn Grange produit chaque année, sur une surface d’un hectare, 18 tonnes de légumes bio « made in New York City » ainsi que du miel. A Paris, à deux pas du célèbre marché Mouffetard dans le V° arrondissement, les toits de l’Ecole d’ingénieurs AgroParisTech accueillent depuis 2011 un potager expérimental. Objectif : tester des solutions innovantes pour produire fruits, légumes et herbes aromatiques de façon durable en milieu urbain, en utilisant terreau, compost, déchets de bois et marc de café.

Paysans des villes

Si l’agriculture urbaine ne se réduit pas à l’agriculture « verticale » high tech, elle ne se contente pas non plus d’investir les toits des immeubles. De tout temps, les citadins des pays pauvres – mais aussi, dans une moindre mesure, ceux des nations riches – ont cultivé des jardins au ras du sol, dans le but de produire eux-mêmes une partie de leur nourriture. Devenus « familiaux », les « jardins ouvriers » du XIX° siècle n’ont jamais vraiment disparu du paysage, même s’ils ont fortement décliné du fait de l’industrialisation et de l’urbanisation. Les crises économiques récentes ont redonné de l’importance à ces productions d’auto-subsistance, comme le montrent les exemples Grecs et Espagnols, ainsi que l’initiative britannique des « incroyables comestibles ». Cette idée a germé en 2008 dans la tête de deux mères de famille de Todmorden, une petite ville sinistrée du nord de l’Angleterre (15 000 habitants) où chômage, misère et criminalité prospéraient. Des citoyens ont semé dans des bacs placés devant leur porte ou dans les espaces publics des légumes et des petits fruits qu’ils ont arrosé et entretenu jusqu’à maturité. Chaque passant était invité à récolter, de façon totalement libre et gratuite, cette « nourriture à partager ». Ce mouvement citoyen a été une formidable réussite et a déjà essaimé dans plus de 250 villes françaises.

Cultiver le lien social grâce aux nouveaux potagers des villes

En France, de nouveaux potagers de ville, qualifiés de « collectifs », de « partagés » ou de « solidaires » sont récemment apparus. De plus en plus de cours d’école, de trottoirs, de pieds d’immeubles, de friches urbaines, de terrasses et de toits accueillent des jardins. Architectes-paysagistes, urbanistes et designers ne manquent pas d’idées : des jardinières nomades – sacs de toile contenant de la terre – sont accrochées aux grilles ou aux poteaux qui jalonnent les rues ; dans un arrondissement parisien, le marc de café des bistrots est récupéré pour y faire pousser des champignons.

Si, in fine, sa contribution à l’alimentation reste très marginale, ce type d’agriculture urbaine est porteuse de nombreux autres atouts : création de lien social et de solidarités, renforcement de la relation entre le mangeur et ses aliments, éducation des enfants et des adultes à l’environnement, réappropriation de l’espace public par le citoyen…

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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