« Conseils nutritionnels et stratégies pour les praticiens »

Origines de l’obésité : Quand les convictions des médecins déterminent les conseils aux patients

En dépit des recommandations nationales qui incitent les médecins généralistes (MG) à conseiller à leurs patients de perdre du poids, la majorité d’entre eux ne bénéficie pas d’une bonne prise en charge de l’obésité 1-2. Raisons invoqués par les médecins: le manque de temps, des attitudes négatives face aux patients obèses et la croyance générale que les obèses ne peuvent pas perdre de poids 3-8.

Le modèle des Convictions sur la Santé (The Health Belief Model) suggère que les convictions et les attitudes d’un individu concernant sa santé influencent ses choix et ses comportements 9. Cependant, on s’est peu focalisé sur l’impact des convictions des médecins concernant l’obésité sur la prise en charge de leurs patients. Dans d’autres pathologies, comme le diabète ou l’hypertension, il a été démontré que les convictions des médecins sur les causes de ces maladies seraient aussi déterminantes que leurs connaissances médicales sur leurs pratiques 10-12. Ainsi, on pourrait améliorer la prise en charge de l’obésité si l’on pouvait faire concorder les recommandations basées sur les preuves, les convictions des médecins et les recommandations pratiques.

Une enquête nationale sur les convictions des médecins concernant l’obésité

Dans cette étude, nous avons évalué l’impact des convictions des MG sur les causes de l’obésité sur leurs recommandations aux patients. Nous avons émis l’hypothèse que les convictions des médecins concernant l’obésité seraient associées au type et à la fréquence des conseils nutritionnels donnés. Ainsi, lorsque des facteurs modifiables liés à la nutrition sont évoqués comme cause d’obésité, ils seraient associés à des conseils diététiques, alors que la conviction que l’obésité serait associée à des facteurs biologiques immuables ne le serait pas.

Nous avons mené une enquête nationale transversale rémunérée auprès de 500 MG Américains (ils recevaient 25$ pour leur participation) entre février et mars 2011. Au total, 2010 invitations ont été envoyées aux membres du groupe « Epocrates Honors » (un ensemble de 145 000 généralistes volontaires). Le taux de réponse a été de 25,6%.

Nous avons d’abord proposé une liste de 5 causes possibles d’obésité puis nous avons demandé aux participants d’évaluer l’importance de chacune : très importante, moyennement, peu ou pas du tout importante. Nous avons ensuite évalué leurs pratiques des conseils diététiques en leur demandant la fréquence à laquelle ils proposaient 5 types de recommandations : très fréquemment, moyennement, peu fréquemment ou pas du tout.

Des convictions associées à des conseils nutritionnels spécifiques

Les MG considérant la consommation trop importante de nourriture comme cause très importante d’obésité avaient plus de probabilité de recommander aux patients de réduire leurs portions alimentaires (OR 3,40; IC 95% : 1,73–6,68) et d’éviter les ingrédients trop caloriques en cuisinant (OR 2,16 ; IC 95%: 1,07–4,33).

Ceux qui considéraient que les restaurants et la restauration rapide représentaient une cause très importante d’obésité avaient plus de probabilité de recommander aux patients d’éviter les plats hautement caloriques en dehors du domicile (OR 1,93; IC 95% : 1,20–3,11).

Les médecins ayant répondu que les boissons sucrées étaient une cause très importante d’obésité avaient plus de probabilité de recommander aux patients d’en réduire la consommation (OR 5,99; IdC 95% : 3,53–10,17).

Enfin, lorsque les médecins pensaient que des facteurs biologiques immuables étaient les causes les plus importantes d’obésité, aucune association avec des conseils diététiques n’a pu être démontrée.

Nous avons tiré deux conclusions majeures de ces résultats :

  1. Les convictions des généralistes concernant les causes d’obésité liées à l’alimentation peuvent se traduire par des recommandations spécifiques aux patients.
  2. Une campagne de formation portant sur les facteurs nutritionnels majeurs contribuant à l’obésité pourrait faciliter les conseils des médecins à leurs patients, à l’aide de messages diététiques brefs et répétés.

Certes, notre étude comporte certaines limites car il s’agissait d’une étude transversale qui ne nous permet pas d’inférer des causes et nous avons fait confiance aux auto-évaluations des médecins. Cependant, c’est la première étude qui explore les liens entre les convictions des médecins et les recommandations délivrées à leurs patients obèses. D’autres études devront donc être menées pour approfondir les observations dans ce domaine.

Sara N. Bleich
Département de Politique et de Gestion de la Santé, Ecole Bloomberg de Santé Publique, Université Johns Hopkins, Baltimore, ETATS-UNIS
Kimberly A. Gudzune
Département de Politique et Gestion Médicale, Ecole Bloomberg de Santé Publique à John Hopkins, Baltimore, Etats-Unis
Wendy L. Bennett
Département de Politique et Gestion Médicale, Ecole Bloomberg de Santé Publique à John Hopkins, Baltimore, Etats-Unis
Lisa A. Cooper
Département de Politique et Gestion Médicale, Ecole Bloomberg de Santé Publique à John Hopkins, Baltimore, Etats-Unis
Sara N. Bleich, Kimberly A. Gudzune, Wendy L. Bennett and Lisa A. Cooper. Do physician beliefs about causes of obesity translate into actionable issues on which physicians counsel their patients? Prev Med. 2013 May; 56(5): 326–328.
  1. North American Association for the Study of Obesity (NAASO) and the National Heart Lung and Blood Institute. Clinical guidelines on the identification, evaluation, and treatment of overweight and obesity in adults — The Evidence Report. National Institutes of Health. Obes. Res., 6 (Suppl. 2) (1998), pp. 51S–209S
  2. Healthy People 2010: Understanding and Improving Health. (2nd ed.)U.S. Government Printing Office, Washington, DC (2000) (November)
  3. V. Forman-Hoffman et al. Barriers to obesity management: a pilot study of primary care clinicians. BMC Fam. Pract., 7 (2006), p. 35
  4. M.M. Huizinga et al. Physician respect for patients with obesity. J. Gen. Intern. Med., 24 (11) (2009), pp. 1236–1239
  5. J.L. Kristeller, R.A. Hoerr. Physician attitudes toward managing obesity: differences among six specialty groups. Prev. Med., 26 (4) (1997), pp. 542–549
  6. J.H. Price et al. Family practice physicians’ beliefs, attitudes, and practices regarding obesity. Am. J. Prev. Med., 3 (6) (1987), pp. 339–345
  7. R.F. Kushner. Barriers to providing nutrition counseling by physicians: a survey of primary care practitioners. Prev. Med., 24 (6) (1995), pp. 546–552
  8. R.A. Laws et al. Explaining the variation in the management of lifestyle risk factors in primary health care: a multilevel cross sectional study. BMC Publ. Health, 9 (2009), p. 165
  9. N.K. Janz et al. The Health Belief Model. Jossey-Bass, San Francisco (2002)
  10. D.M. Huse et al. Physicians’ knowledge, attitudes, and practice of pharmacologic treatment of hypertension. Ann. Pharmacother., 35 (10) (2001), pp. 1173–1179
  11. A.C. Larme, J.A. Pugh. Attitudes of primary care providers toward diabetes: barriers to guideline implementation. Diabetes Care, 21 (9) (1998), pp. 1391–1396
  12. J. Yarzebski et al. A community-wide survey of physician practices and attitudes toward cholesterol management in patients with recent acute myocardial infarction. Arch. Intern. Med., 162 (7) (2002), pp. 797–804
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