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Quand les fruits et légumes éloignent… le psychiatre

La dépression est l’une des principales causes d’incapacité et on estime que 16% de la population en est atteint au cours de sa vie. Ses coûts directs (soins) et indirects (réduction de productivité) ont été estimés à plus de 77 milliards de dollars aux USA.

Diverses études ont suggéré une relation inverse entre la qualité de l’alimentation et la dépression chez les adultes et les adolescents. Ainsi, certains types alimentaires, plutôt que des nutriments isolés, ont été identifiés comme d’importants prédicteurs de dépression.

Par ailleurs, une récente étude canadienne a montré que des indicateurs alimentaires simples, comme la consommation de fruits et légumes (F&L), représentaient un reflet fidèle de la qualité globale de l’alimentation. D’autres enquêtes ont également montré que la consommation de F&L était le principal composant d’une alimentation saine.

300 000 sujets étudiés

A ce sujet, une équipe de psychiatres et d’épidémiologistes canadiens vient de publier une étude examinant la relation entre la consommation de fruits et légumes – marqueurs de qualité alimentaire – et la santé mentale. Ils ont exploité les cinq vagues d’une importante étude nationale de la population canadienne, l’Etude de Santé de la Communauté Canadienne (CCHS: Canadian Community Health Survey).

La CCHS constitue une vaste étude transversale sur la santé des Canadiens, menée en 5 vagues successives (entre 2000 et 2009). Elle a regroupé près de 300 000 sujets.

Leur consommation de F&L a été évaluée par des questionnaires de fréquence de consommation et répartie en quartiles.

Une réduction de 27% du risque de dépression

Leur santé mentale a été évaluée au moyen de divers outils. La survenue d’un épisode dépressif majeur (selon le DSM IV) au cours de l’année précédente a été estimée à l’aide de questionnaires validés de même que la détresse psychologique des sujets.

Les analyses statistiques ont été ajustées aux facteurs de confusion pouvant modifier la relation entre consommation de F&L et état mental (sexe, âge, revenu, niveau d’éducation, activité physique, tabagisme, maladie chronique). Les relations statistiques ont été soigneusement étudiées à l’aide de modèles de régression logistique.

D’après les données de la première vague de l’étude (2000-2001), le risque de dépression a été réduit de 15% chez les sujets qui avaient la plus forte consommation de F&L par rapport à ceux qui en consommaient le moins (O.R. 0.85).

Ces résultats ont été confirmés par l’analyse de cette relation sur les 5 cycles de l’étude : une plus grande consommation de F&L est associée à une réduction de 27% du risque de dépression. Cette relation persiste après analyse de la consommation de fruits et de légumes pris séparément.

Des implications de santé publique évidentes

Que nous montre cette grande étude de population ? Qu’une plus grande consommation de F&L est associée à de plus faibles risques de dépression, de détresse psychologique, de troubles anxieux et, globalement, de mauvaise santé mentale perçue. Elle confirme des études précédentes qui ont rapporté que les sujets qui consomment une alimentation de haute qualité, riche en F&L, sont moins exposés à la dépression ou aux symptômes dépressifs.

De tels résultats ont des implications de santé publique évidentes, quand on sait, qu’au Canada (et ailleurs) près de la moitié de la population ne consomme pas les 5 F&L par jour recommandés.

Il est intéressant de noter que l’on n’a pas observé d’effet « dose réponse » entre F&L et dépression. Cela suggère qu’atteindre un minimum de besoins en F&L peut suffire à apporter des effets bénéfiques sur la santé mentale. De même, l’analyse séparée des fruits et des légumes ne montre pas de différence, ce qui sous entend que ces deux familles de végétaux agissent ensemble pour une meilleure santé mentale.

Des mécanismes à clarifier

Les mécanismes potentiels de cet effet bénéfique doivent être clarifiés. Il est possible qu’ils passent par un effet antioxydant, protégeant le cerveau contre les effets du stress oxydatif, de même que par un effet anti inflammatoire. L’inflammation pourrait en effet contribuer au développement de la dépression et une alimentation pauvre en magnésium et riche en sucres d’index glycémique élevé est associée à une inflammation de bas grade (reflétée par l’augmentation de la CRP).

Cette étude comporte évidemment des limites: seule la fréquence de consommation – et non les quantités – a été évaluée; une étude transversale ne permet pas d’établir de relation de cause à effet; la dépression, en soi, pourrait conduire à une moindre consommation d’aliments de qualité… Cependant de récentes études prospectives ont montré que l’état de santé mentale de base ne semblait pas influencer la qualité de l’alimentation.

A l’opposé, cette étude à des qualités indéniables: c’est une étude de population, avec un fort taux de réponse, elle porte sur un vaste échantillon de sujets, son analyse a pris en compte un grand nombre de données qui rendent ses résultats très significatifs.

Le message qu’on peut en tirer est assez clair : consommer des fruits et légumes vous aidera à chasser vos idées noires.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
McMartin SE, Jacka FN, Colman I. The association between fruit and vegetable consumption and mental health disorders: evidence from five waves of a national survey of Canadians. Preventive Medicine 56 (2013) 225-230
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