Taxes alimentaires et subventions

Impacts d’une taxe de 20% sur les boissons avec sucres ajoutés sur la prévalence du surpoids et de l’obésité au Royaume Uni

En 2013, nous avions publié, dans le British Medical Journal, une étude qui estimait qu’en instaurant une taxe de 20% sur les boissons sucrées au Royaume-Uni, on pourrait réduire de 180 000 le nombre d’adultes obèses et économiser environ 275 millions de livres sterling (soit 348 millions d’euros) chaque année.

Les taux élevés d’obésité et de diabète ont un impact important sur les systèmes de santé dans la majorité des pays développés ou en voie de développement. Une approche pour combattre ce problème est de taxer les boissons contenant des sucres ajoutés (BSA).

Les taxes doivent approcher les 20% du prix de vente

Des taxes sur les BSA ont déjà été introduites dans certains pays, comme la France et le Mexique ; elles sont en cours de discussion dans d’autres pays comme l’Afrique du Sud et l’Irlande. Des taxes à l’unité et selon le prix de vente ont été appliquées ou envisagées. On s’accorde sur le fait que pour avoir un impact significatif sur la consommation, et donc sur la santé, les taxes doivent être proches de 20% du prix de vente. Les décideurs et les professionnels de santé ciblent les BSA pour plusieurs raisons :

• De plus en plus de preuves montrent que les BSA sont mauvaises pour la santé (source à la fois d’obésité et de diabète);
• Les BSA n’ont aucune valeur nutritionnelle à part les calories ;
• Leurs alternatives sont probablement plus saines ;
• Les consommateurs n’ont pas tendance à remplacer les calories des BSA par celles issues d’autres sources ;
• Les BSA sont faciles à définir d’un point de vue législatif.

Au Royaume-Uni, de plus en plus d’organisations professionnelles, gouvernementales et non gouvernementales ont soutenu une taxe BSA au cours des deux dernières années. Parmi celles-ci, on retrouve la commission gouvernementale spéciale d’enquête sur la santé (Government’s Health Select Committee), le département de santé public anglais (Public Health England), l’Académie des Collèges Médicaux Royaux (Academy of Medical Royal Colleges) et le Fonds de recherche contre le Cancer du Royaume Uni (Cancer Research UK).

Une modélisation en deux étapes

Notre objectif était de contribuer au débat sur les taxes BSA au Royaume Uni, en modélisant l’impact probable d’une taxe de 20% sur le prix de vente sur les taux d’obésité chez des personnes de différents âges, sexes et niveaux de revenus.

Nous avons défini les BSA comme des boissons froides auxquelles du sucre a été ajouté, y compris les boissons énergétiques, en excluant les purs jus de fruits. Nous avons modélisé l’effet d’une taxe de 20% en deux étapes.

Réaction des consommateurs face aux changements de prix

Nous avons d’abord calculé la réaction des consommateurs au changement de prix des BSA ainsi que d’autres boissons de substitution. Ce calcul était basé sur une enquête nationale des dépenses ménagères (the Living Costs and Food Survey). Les données provenant des achats de plus de 5000 foyers ont permis de prévoir la réaction des consommateurs aux variations de prix de différents aliments et boissons. De plus, des calculs séparés pour des foyers de niveaux de revenus différents ont permis d’estimer les modifications des comportements d’achats selon le niveau de revenus. Ainsi nous avons obtenu le pourcentage de variation d’achats après taxes pour les BSA et d’autres boissons comme celles à calories réduites, le lait et les jus de fruits.

Modélisation des variations d’achats sur les taux d’obésité

Nous avons ensuite modélisé l’impact potentiel des variations de ces achats sur les taux d’obésité au Royaume-Uni. Nous avons utilisé les données des quantités consommées de BSA dans trois tranches d’âge (16-29, 30-49 et + de 50 ans) et trois niveaux de revenus différents, déterminés lors de l’enquête au Royaume Uni sur la consommation d’aliments et de boissons (the National Diet and Nutrition Survey). Les réponses à la taxe selon le niveau de revenus, déjà estimées au cours de la première étape, ont été utilisées pour prédire les changements de consommation des BSA au sein des trois tranches d’âge de chacun des trois niveaux de revenus. Les différences d’apports caloriques ont été utilisées pour estimer l’impact sur l’obésité dans l’ensemble de la population au Royaume-Uni et au sein de différentes tranches d’âge et de différents niveaux de revenus. Nous avons également calculé les revenus fiscaux potentiels et les différences entre chaque groupe de niveau de revenus.

Le nombre d’adultes obèses au Royaume-Uni diminuerait de 1,3%

Nous avons trouvé qu’une taxe de 20% réduirait d’environ 15% la consommation de BSA. En contrepartie, la consommation de boissons à faibles calories, de jus de fruits, de lait, de café ou de thé augmenterait d’environ 3 à 4%. Globalement cela réduirait la moyenne des apports caloriques journaliers de 4 kilocalories avec de fortes différences selon les âges. La diminution la plus importante se verrait chez les jeunes adultes (16-29 ans) avec une réduction de plus de 13 kcal ; aucun changement n’aurait lieu chez les adultes de plus de 50 ans.

Globalement, nous avons prédit que le nombre d’adultes obèses au Royaume- Uni diminuerait d’environ 1,3%, soit 180 000 personnes. L’impact le plus important se retrouverait chez les 16-29 ans où les taux d’obésité diminueraient de 7,6%. Il n’y aurait aucune diminution chez les adultes de + de 50 ans.

Un effet similaire entre les catégories de population

L’un des inconvénients majeurs de toute taxe de vente est son caractère régressif – les plus pauvres dépensant proportionnellement plus que les plus riches. On pourrait logiquement penser que les populations les plus pauvres en tireraient plus de bénéfices pour leur santé par rapport aux populations plus riches. Les comportements malsains et les facteurs de risque étant plus courants chez les personnes plus pauvres que les personnes plus aisées, on s’attendrait à retrouver un plus fort impact de l’augmentation de prix chez les moins aisés. A notre grande surprise, nos résultats ont révélé qu’il n’y aurait guère de différences d’impact sur l’obésité selon les différents niveaux de revenus.

Prochaines étapes : des évaluations rigoureuses

Enfin, nous avons estimé que cette taxe pourrait rapporter environ 275 millions de livres sterling (soit 348 millions d’euros). Chaque adulte dépenserait en moyenne 8 pennies (environ 10 centimes) de plus par semaine en boissons, soit 4,20 livres sterling par an (un peu plus de 5 euros). Ceci se ferait encore plus sentir au sein du groupe à faibles revenus où les adultes dépenseraient 9 pennies de plus par semaine (environ 11 centimes) comparé à 6 pennies (environ 8 centimes) pour le groupe aux revenus les plus élevés.

Nos travaux comportent certaines limites. Les gens sous-estiment souvent leur consommation d’aliments malsains et surestiment celle d’aliments sains dans les enquêtes nutritionnelles. Nous avions également supposé que toute boisson achetée serait consommée et que, quel que soit leur âge, toutes les personnes réagiraient de la même manière à une modification de prix. Notre étude offrait néanmoins, à l’époque, la meilleure estimation possible de l’impact d’une taxe BSA sur l’obésité au Royaume Uni.

Dans l’avenir, il est peu probable que des modèles plus élaborés soient d’une grande utilité pour les décideurs. Nous devrions, au contraire, évaluer de manière rigoureuse les réactions des individus et des industriels dans les pays qui ont instauré cette taxe BSA, à la fois au Royaume uni et ailleurs. Le Mexique en est le principal exemple. Les données recueillies durant l’année qui a suivi l’introduction d’une taxe d’un peso par litre (une augmentation d’environ 10% du prix de vente) ont montré une diminution de 6% des achats. Ce chiffre ne diverge pas énormément de notre estimation d’une réduction de 15% pour une taxe de 20% au Royaume-Uni.

Adam Briggs
Centre de la Fondation Britannique du Coeur pour une approche populationnelle de la prévention des Maladies Non Transmissibles; Département de Santé de la Population à Nuffield, Université d’Oxford, ROYAUME-UNI
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