Fruits & légumes et immigration

Le “paradoxe des immigrés Méditerranéens”

Immigrés Tunisiens versus Français et Tunisiens sédentaires

L’étude de l’état de santé des immigrés, au delà de l’intérêt pour la santé publique, permet d’échafauder des hypothèses sur les rôles respectifs des facteurs environnementaux et biologiques dans le développement des maladies chroniques. Immigrer influence probablement la consommation alimentaire et le style de vie, modifiant ainsi le risque de maladies chroniques qui y sont associées. Plusieurs études ont mis en évidence une mortalité et une morbidité liées aux maladies non transmissibles d’origine nutritionnelle, plus élevées chez les immigrés versus la population du pays d’accueil et celle du pays d’origine.

Ce n’est cependant pas le cas des immigrés d’origine Méditerranéenne vivant en Europe, une exception appelée “le paradoxe des immigrés Méditerranéens”. Le maintien d’une alimentation traditionnelle saine en serait une des raisons. Nous avons donc comparé la qualité de l’alimentation, et son influence sur les maladies nutritionnelles non transmissibles, chez des immigrés Tunisiens vivant dans le Sud de la France, à celles de deux autres groupes : des Français originaires de la région et des Tunisiens n’ayant pas quitté la Tunisie. Chaque groupe comptait 150 hommes, divisés par âge et lieu de résidence.

Les Français étaient appariés pour l’âge et la catégorie socioprofessionnelle. Les Tunisiens restés en Tunisie étaient appariés pour l’âge et l’origine géographique.

Evaluer les effets de l’immigration sur l’état de santé

A l’aide des modèles de régression appropriés, nous avons pu tester les composants de l’Index International de Qualité de l’Alimentation (DQI-I) pour étudier les effets potentiels de l’immigration sur le surpoids, l’hypertension, l’hypercholestérolémie, le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Le score DQI-I total a montré une alimentation globale satisfaisante dans tous les groupes. Comparés aux Français, les immigrés avaient des scores plus élevés pour la diversité (nombre de groupes alimentaires et variété des sources de protéines), le niveau (respect des différentes recommandations dans la prévention des maladies chroniques) et la modération (taux moyen de lipides, d’acides gras saturés, cholestérol, sel et calories vides) mais plus bas que les Tunisiens pour l’équilibre (proportion de macronutriments et d’acides gras).

Les immigrés avaient une moindre prévalence de surpoids que les Français, une moindre prévalence de diabète et de maladies cardiovasculaires que les Tunisiens et une moindre prévalence d’hypertension et d’hypercholestérolémie que les 2 autres groupes.

Une moindre consommation d’alcool serait la principale différence entre les immigrés et les Français. Une alimentation adéquate, une forte consommation de fruits et légumes et un plus fort taux de vitamine C, seraient les facteurs différentiels pour l’hypercholestérolémie, alors qu’une alimentation saine et la consommation de fibres agiraient sur l’hypertension. Par rapport aux Tunisiens, l’impact de l’immigration sur l’hypercholestérolémie serait lié aux matières grasses saturées. Les soins médicaux, le tabagisme et l’activité physique seraient les facteurs qui influencent l’impact de l’immigration sur le diabète. L’effet de l’immigration sur les maladies cardiovasculaires serait lié à l’utilisation des services médicaux et à la consommation calorique. Aucun effet n’a été trouvé pour l’hypertension et l’hypercholestérolémie.

Malgré une prévalence grandissante de surpoids, d’obésité et de diverses maladies nutritionnelles non transmissibles, en France comme en Tunisie, due à la modification rapide des comportements alimentaires, les immigrés semblent avoir conservé certaines habitudes alimentaires saines. Ceci expliquerait en partie la différence par rapport aux Français nés dans la région, bien que d’autres facteurs liés au style de vie contribueraient à l’effet bénéfique de l’immigration.

De petites différences en lipides saturés, sel, fibres, vitamine C et sucre

Bien que de prime abord l’alimentation ne semblait pas très différente dans les trois groupes, (reflétant des régimes de type méditerranéen), quelques petites différences auraient un impact significatif sur la santé.

Les immigrés Tunisiens consomment plus de légumes secs et moins de viande et de produits laitiers que les Français. Il mangent également plus de fruits et légumes et donc, plus de fibres et de vitamine C. Ils auraient également gardé l’habitude de consommer régulièrement de l’huile d’olive, ce qui donnerait un ratio plus favorable de lipides insaturés/lipides saturés, bien que leur consommation lipidique totale soit élevée. Par contre, ils évitent de consommer trop de sucres (comme dans les sodas) contrairement aux Tunisiens en Tunisie.

Ainsi, cette étude indiquerait que de petites différences en lipides saturés, sel, fibres, vitamine C et sucre dans un régime de type Méditerranéen, basé en grande partie sur les fruits et légumes, associées à un niveau d’activité un peu plus élevé, auraient un effet significatif et durable sur de nombreux aspects de la santé. Ces observations pourraient être utilisées dans la conception de programmes nutritionnels basés sur des petites modifications du régime alimentaire et de l’activité physique.
Health

Caroline Méjean
UR 106, IRD, Montpellier, France
Bernard Maire
UR 106, IRD, Montpellier, France
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