Fruits & légumes et immigration

Rôle de l’environnement du lieu de résidence sur les comportements de santé et d’alimentation des populations étrangères et américaines

Etat des lieux et paradoxes

Aux Etats-Unis, les Latinos représentent la première des minorités en terme de taille de population et de rapidité de croissance. Selon les recensements les plus récents, 43% d’entre eux sont nés en dehors des Etats unis (Lollock, 2001).

Les études portant sur le « paradoxe de la santé chez les immigrés et les Latinos » indiquent que ces derniers sont en meilleure santé que les Caucasiens nés aux Etats-Unis, selon des critères comme : le poids à la naissance, la mortalité infantile et l’alimentation, même ajustés sur le statut socioéconomique ([Abrams et Guendelman 1995], [Dubowitz et al 2007], [Norman et al 2004], [Singh et Siahpush 2001] et [Sorlie et al 1993]).

A ce jour, encore peu d’études ont analysé le rôle de l’environnement du lieu de résidence sur les comportements de santé et d’alimentation parmi les populations d’origine étrangère et américaine. Nous avons donc étudié la relation entre l’environnement et l’alimentation, au delà des facteurs individuels, dans une population de femmes à faibles revenus, en majorité Latines, d’origine étrangère et américaine au Massachusetts (Etats-Unis).

Comprendre les influences liées à l’individu et au quartier sur l’alimentation

Nous avons analysé diverses données de base chez 641 femmes à faibles revenus, résidant dans 184 habitats recensés (quartiers), et participant à un essai d’intervention nutritionnelle pour des femmes en post-partum. Les facteurs individuels englobaient l’origine ethnique, le lieu de naissance, la durée de résidence aux Etats-Unis, l’apprentissage de la langue, le soutien émotionnel et matériel, et le statut socio-économique. Nous avons évalué les portions quotidiennes de fruits et légumes à l’aide d’un questionnaire alimentaire semi quantitatif.

Au niveau individuel, on retrouve une association significative entre le lieu de naissance (aux Etats-Unis ou ailleurs), la langue maternelle, l’origine ethnique ou le soutien communautaire et la consommation de fruits et légumes. Les femmes nées à l’étranger, vivant aux Etats-Unis depuis moins de 14 années, consomment significativement plus de fruits et légumes que celles nées aux Etats-Unis. En revanche, on ne retrouve plus de différence significative chez celles qui y résident depuis plus de 14 ans. Les femmes les plus âgées, les Latinas et les femmes ayant un niveau de soutien social plus élevé consomment plus de fruits et légumes.

Lorsque nous avons analysé les variables liées au quartier, nous avons trouvé que chaque augmentation de 10% de la population immigrée se traduisait par une augmentation de la consommation individuelle de fruits et légumes de 0,3 portions par jour. Nous avons noté une corrélation négative significative entre la taille recensée de la population Afro-Américaine et la consommation individuelle des fruits et légumes. Pour un accroissement de 10% de la population Afro-Américaine recensée dans le quartier, on note une diminution de la consommation individuelle de fruits et légumes d’environ 0,2 portions par jour.

Quelles caractéristiques des quartiers d’immigrés peuvent améliorer l’alimentation ?

Les femmes habitant des quartiers où résident des immigrés consomment plus de fruits et légumes, quelle que soit leur origine, étrangère ou non.

Notre travail pose une question importante : quelles sont les caractéristiques des quartiers d’immigrés qui peuvent améliorer l’alimentation ? Il se peut que cela soit lié à des différences de ressources matérielles comme, par exemple, un meilleur approvisionnement et une plus grande disponibilité en produits frais ou, à l’inverse, un moindre accès à des nourritures moins saines comme la restauration rapide, riche en sucres et en matières grasses.

Nous avons également observé que plus la proportion d’AfroAméricaines était élevée dans un quartier, plus la consommation moyenne de fruits et légumes baissait chez les femmes à faibles revenus. Aux Etats-Unis, les risques et les ressources varient d’un quartier à l’autre en fonction de l’origine ethnique, ce qui est souvent associé à une pauvreté accrue qui influence la santé ([Massey et Denton 1988], [Massey et Denton 1993], [Williams et Collins 2001], [Williams 1996], [Williams 1997] et [Williams 1998]). L’effet négatif sur l’alimentation dans les quartiers où résident des Afro Américains, peut être lié à l’accès à la restauration rapide ou à la présence réduite d’aliments sains. Par ailleurs, d’autres facteurs liés au quartier, comme des transports urbains plus ou moins développés, la proximité ou l’éloignement des magasins et l’accès plus ou moins difficile aux services, pousseraient les femmes à effectuer leurs achats à l’extérieur de leur quartier dans des lieux plus sains.

Nous avons retrouvé des liens entre l’alimentation individuelle, aussi bien au niveau personnel qu’au niveau du quartier.

Des conclusions inattendues ?

Nos résultats mettent en lumière des facteurs qui pourraient influencer l’alimentation, comme les réseaux sociaux et la langue dans des groupes ayant des origines ethniques ou des lieux de naissance différents. Nos résultats suggèrent également que vivre dans des quartiers où résident des immigrants serait bénéfique pour l’alimentation des femmes qui y habitent, qu‘elles soient nées ou non aux Etats-Unis.

Tamara Dubowitz
RAND Corporation - Pennsylvanie - USA

Lollock 2001 L. Lollock, Profile of the foreign-born Population in the United States 2000. In: L. Lollock, Editor, Current population reports, U.S. Department of Commerce Economics and Statistics Administration; US Census Bureau, Washington, DC (2001).

Abrams and Guendelman 1995 B. Abrams and S. Guendelman, Nutrient intake of MexicanAmerican and non-Hispanic white women by reproductive status: Results of two national studies, Journal of the American Dietetic Association 95 (8) (1995), pp. 916–918.

Norman et al 2004 S. Norman, C. Castro, C. Albright and A. King, Comparing acculturation models in evaluating dietary habits among low-income Hispanic women, Ethnicity & Disease 14 (2004), pp. 399–404.

Singh and Siahpush 2001 G.K. Singh and M. Siahpush, All-cause and cause-specific mortality of immigrants and native-born in the United States, American Journal of Public Health 91 (2001), pp. 392–399.

Sorlie et al 1993 P.D. Sorlie, E. Backlund, N.J. Johnson and E. Rogot, Mortality by Hispanic status in the United States, Journal of the American Medical Association 270 (1993), pp. 2464–2468.

Massey and Denton 1988 D.S. Massey and N. Denton, The dimensions of residential segregation, Social Forces 67 (1988), pp. 281–315.

Massey and Denton 1993 D.S. Massey and N.A. Denton, American apartheid: Segregation and the making of the underclass, Harvard University Press, Cambridge, MA (1993). Williams and Collins 2001 D.R. Williams and C. Collins, Racial residential segregation: a fundamental cause of racial disparities in health, Public Health Reports 116 (2001), pp. 404–416.

Williams 1996 In: D.R. Williams, Editor, Racism and health: A research agenda Ethnicity & Disease 6 (1996), pp. 1–8.

Williams 1997 D.R. Williams, Race and health: Basic questions, emerging direction, Annals of Epidemiology 7 (1997), pp. 322–333.

Williams 1998 D.R. Williams, African-American health: The role of the social environment, Journal of Urban Health 75 (1998), pp. 300–321.

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