Sciences humaines et sociales : des outils pour comprendre et objectiver les choix alimentaires des consommateurs

4 avril 2024
Compréhension choix alimentaires avec des fruits et légumes - Aprifel

A l’invitation de son conseil consommateurs, Aprifel a organisé, le 29 février dernier, la conférence “Sciences humaines et sociales : source de leviers innovants pour augmenter la consommation de fruits et légumes”. Animée par Delphine Tailliez, directrice d’Aprifel, cette matinée a réuni plus de 60 personnes. Trois éclairages complémentaires – issus de la psychologie, des sciences cognitives et de l’économie comportementale – ont permis d’illustrer les apports de ces disciplines pour mieux comprendre et influer sur les comportements alimentaires. La présentation des travaux de jeunes chercheurs a également permis d’illustrer concrètement les travaux en cours sur ces questions.

En ouverture de la conférence, Erwan de Gavelle, chef du bureau de la politique de l’alimentation au ministère chargé de l’Agriculture, a insisté sur l’importance de l’évolution des comportements alimentaires et la place qu’occupe ce sujet dans la future Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) .
Christel Teyssedre, présidente d’Aprifel a, quant à elle, rappelé les enjeux associés à l’augmentation de la part de végétal – notamment de fruits et légumes – dans les assiettes : une meilleure santé de la population et une amélioration de la durabilité de notre alimentation. En effet, en France, les habitudes alimentaires et notamment la consommation de fruits et légumes restent perfectibles :

374 g / jour

Consommation moyenne de fruits et légumes (Anses, 2016).

4 adultes sur 10

respectent les recommandations du PNNS

2 enfants sur 10

respectent les recommandations du PNNS

Ces moyennes recouvrent, en outre, de fortes disparités, les populations les plus jeunes et les moins diplômées étant particulièrement sous-consommatrices de fruits et légumes.

 » Sans action urgente et concrète, face à la progression de l’obésité et des maladies chroniques, l’OCDE prévoit une diminution de de l’espérance de vie en France de 2,3 ans d’ici 2050.  »
Christel Teyssedre (OCDE, 2019)., Présidente d’Aprifel

Faire évoluer les habitudes alimentaires de la population est ainsi essentiel. Dans ce but, divers leviers et initiatives ont été activées depuis les années 2000. Afin de les prolonger et de les compléter, les sciences humaines et sociales sont une source d’éclairage pour mieux comprendre les choix des consommateurs et espérer les influencer via des approches innovantes de changements des habitudes. Afin d’explorer ce sujet, trois éclairages complémentaires issus de la psychologie, des sciences cognitives et l’économie comportementale ont été proposés au cours de cette matinée.

Public présent à la matinée d'information Sciences humaines et sociales : des outils pour comprendre et objectiver les choix alimentaires des consommateurs - Aprifel

Choix alimentaires : comprendre les processus de décisions pour concevoir des interventions efficaces

En premier lieu, Jérémie Lafraire, chercheur en sciences cognitives à l’Institut Lyfe, a présenté quelques concepts issus de la psychologie qui permettent d’expliquer les processus de prise de décision.
Ainsi, nos choix en matière d’alimentation ne sont pas totalement rationnels et conscients – à l’exception des personnes souffrant de troubles alimentaires tels que l’anorexie. De ce constat est né le principe de rationalité limitée qui est l’idée selon laquelle la capacité de décision d’un individu est altérée par un ensemble de contraintes telles que le manque d’information et de temps.
Les choix alimentaires sont notamment médiés par des processus de décisions automatiques appelés « heuristiques ». Issus de l’évolution, ces raccourcis cognitifs permettent de gagner un temps considérable dans la prise de décision, en fournissant des solutions rapides et pratiques dans des situations parfois complexes. Pour autant, ces processus de décision ne sont pas pleinement adaptés aux évolutions récentes de l’environnement alimentaire et peuvent aboutir à des choix néfastes à terme.
Du fait de ces mécanismes, les aliments déjà connus sont, par exemple, spontanément préférés aux aliments nouveaux ou non reconnus (heuristique de reconnaissance). Ce mécanisme est notamment impliqué dans le phénomène de néophobie alimentaire chez l’enfant. Pour y pallier et faciliter l’acceptation de nouveaux aliments, l’un des leviers est ainsi de travailler la connaissance et la reconnaissance des fruits et légumes au-delà de l’assiette (l’aliment brut et ses différentes déclinaisons préparées).
Plus largement, pour composer avec ces heuristiques diverses voies sont à travailler dont l’information, un levier clé.

Des préférences alimentaires liées à l’évolution et nourries par les représentations individuelles et collectives

Suite à cette première intervention, Nicolas Spatola, chercheur en sciences cognitives à Artimon Perspectives est revenu sur les mécanismes régissant les préférences alimentaires.
Les connaissances actuelles montrent notamment que la valeur que nous attribuons aux aliments n’est pas rationnelle. Il existe, par exemple, une préférence innée pour les aliments énergétiques – gras et sucrés, pour lesquels les consommateurs sont prêts à dépenser plus.
Par ailleurs, l’imaginaire et les représentations liées aux aliments influencent nos préférences. Cet imaginaire est modulé par l’environnement alimentaire au sens large, notre appartenance sociale et par notre propre histoire personnelle, l’affect et les sensations associées aux aliments. Agir sur cet imaginaire est nécessaire pour espérer faire évoluer les consommations. Mais installer de nouvelles représentations est complexe et nécessite un effort proportionnel à la force des représentations déjà en place.
En conclusion de son intervention, Nicolas Spatola a invité les futures interventions à cibler les écoles, lieu où les normes sociales et les représentations s’établissent.

Laurent Muller à la matinée d'information Sciences humaines et sociales : des outils pour comprendre et objectiver les choix alimentaires des consommateurs - Aprifel

Combiner plusieurs leviers économiques pour changer efficacement les comportements

Dernier intervenant de cette matinée, Laurent Muller, directeur de recherche à l’INRAe, a présenté les différentes stratégies d’économie comportementale déployées pour changer les comportements alimentaires. Afin de réduire les défaillances du marché, 3 voies économiques peuvent être mises en œuvre via des politiques publiques :

  • Mieux informer le consommateur : exemple du règlement INCO pour la liste des ingrédients figurant sur les denrées alimentaires) ;
  • Taxer/subventionner les produits selon leurs avantages/ inconvénients : exemple de la taxe SODA).
  • Interdire certains produits ou la publicité les concernant dans des contextes particuliers ou vis-à-vis de certaines populations : c’est l’exemple de l’encadrement des publicités pour le tabac et l’alcool ou encore de l’interdiction des distributeurs automatiques dans les écoles…

Les nudges pourraient être un moyen de corriger/profiter des biais comportementaux évoqués plus tôt dans la matinée. Concernant l’étiquetage, Laurent Muller a notamment montré dans ses travaux que les informations prescriptives agrégées (comme le Nutriscore) sont plus efficaces pour modifier positivement les comportements d’achats de denrées alimentaires que les informations prescriptives analytiques (tableau de déclaration nutritionnelle par exemple) qui se limitent à l’information brute.
Toutefois, il souligne également que l’efficacité de ces stratégies seules restent limitée et invite à combiner les approches pour plus d’efficacité.

Passer de la recherche à l’action terrain

Suite à ces interventions, cinq jeunes chercheurs ont présenté leurs travaux dans ces champs disciplinaires (voir encadré). De l’utilisation de robots conversationnels (chatbots) à l’évaluation de l’efficacité de chèques alimentaires à destination des populations précaires, leurs interventions ont permis d’illustrer la variété et la richesse des recherches en cours sur ces questions.

En conclusion de cette matinée, Stéphan Marette, membre du Conseil Scientifique d’Aprifel, a salué les efforts de recherche pour proposer de nouveaux outils destinés à mieux comprendre et faire évoluer les comportements alimentaires. Il a également souligné l’importance de la pluridisciplinarité pour ce type de travaux et appelé à un partage régulier des résultats de la recherche avec l’ensemble des parties prenantes pour que les interventions efficaces soit transposées à plus grande échelle sur le terrain.

5 jeunes chercheurs présentent leurs travaux

En complément de ces interventions, cette matinée d’information a donné la parole à de jeunes chercheurs au travers de présentations orales de travaux de recherche récents.

Laura Arrazat (CSGA, INRAE)

  • Objectif : évaluer l’effet d’une intervention visant à augmenter la disponibilité des plats végétariens sur les choix des étudiants et le niveau d’acceptabilité (intervention au « Le Resto U’ Montmuzard, Dijon)
  • Résultats : doubler la disponibilité de l’offre végétarienne proposée en restauration universitaire induit une augmentation forte du taux de prise du plat végétarien, et est acceptable par la population étudiante.

Adoracion Guzman (Intitut Lyfe, EPHE, CHArt):

  • Objectif : explorer si le biais d’inhérence joue un rôle dans les stéréotypes de genre relatifs à l’alimentation (masculinité= viande et féminité=légumes), et si c’est le cas, voir quelles raisons intrinsèques sont les plus exprimées (par exemple que les hommes ont davantage besoin de protéines) afin de pouvoir les remettre en question (par exemple, expliquer que c’est le poids et non pas le genre qui détermine le besoin de protéines) et implémenter une intervention en exprimant des causes externes qui causent cette association, surtout des raisons historiques et culturelles.
  • Résultats attendus (hypothèses) :
    – H1 : Les associations atypiques (ex. les chinois vont dans des bars) auraient des scores descriptifs et prescriptifs inférieurs à ceux des associations typiques (ex. les hommes mangent de la viande)
    – H2 : les personnes ayant adopté une explication inhérente seraient plus susceptibles d’avoir un score de jugement prescriptif plus élevé que les personnes ayant appliqué des raisons extrinsèques lorsqu’il s’agit d’associations typiques de genre.

Thomas Dheilly (INRAe, PNCA & GAEL et Université Paris-Saclay)

  • Objectif : évaluer l’effet d’un chatbot scénarisé classique incitant à la réduction de consommation de viande rouge et d’une interface type « Question/réponse » sur les attitudes et intentions en faveur d’une réduction de la consommation de viande rouge.
  • Résultats : les participants qui ont interagi avec les interfaces ont des attitudes plus défavorables envers la viande rouge. Des résultats similaires sont obtenus pour les intentions, les participants souhaitent réduire leur consommation. Le chatbot n’a pas eu plus d’effet sur les attitudes et intentions que l’interface Q&R.

Daniela Lima Rente (Université Paris Nanterre, CNRS, EconomiX) :

  • Objectif : analyse de l’effet de deux types d’incitations financières (immédiate : chèque fruits et légumes ; différée : remboursement post-achat) sur les achats de fruits et légumes des ménages à faibles revenus. Reconstitution physique d’un rayon fruits et légumes. Les expérimentations ont lieu avec des fruits et légumes frais et un panel de consommateurs représentatif de la population française/Ile-de-France.

Basile Verdeau (CSGA, INRAE) :

  • Objectif : évaluer l’impact des chèques ciblés sur des fruits et légumes (38€/adulte/mois) et des légumineuses (4€/adulte/mois) sur les comportements d’achats et motivations des utilisateurs.
  • Intervention sur 3 mois sur 110 foyers dans la métropole de Dijon
    Résultats : augmentation des achats de fruits et légumes, et accroissement de la diversité des achats.
  • Conclusion : les chèques constituent un coup de pouce qui permet d’assurer l’achat de fruits et légumes sans bouleverser les habitudes d’achat. De futures expérimentations sur une période plus longue et un accompagnement plus clair sont nécessaires pour confirmer les effets.
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