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La tomate la lente conquête de l’ancien monde

Nous est-il possible, aujourd’hui, de concevoir une salade estivale sans tomates ? Imaginez la cuisine du Midi de la France sans la présence de ce légume-fruit ! Pourtant, à l’échelle de notre histoire humaine, la tomate n’est entrée que récemment dans le quotidien alimentaire des Français.

Comme pour beaucoup d’autres denrées aujourd’hui courantes (pommes de terre, haricots, maïs, poivrons, piments, cacao, etc), il fallut attendre le début du XVIe siècle pour que les Espagnols, traversant l’Atlantique et débarquant sur les rives du Nouveau Monde, découvrent les tomates.

Des ‘tomatl’ des Aztèques aux Pommes d’Or et aux Pommes d’Amour !

A l’origine, celles-ci poussaient spontanément dans les vallées côtières proches de la cordillère des Andes, dans des territoires faisant aujourd’hui partie du Pérou, de l’Equateur, de la Colombie et du nord du Chili. Mais ces ancêtres sauvages de nos tomates contemporaines n’étaient pas plus grosses qu’une petite cerise (leur nom scientifique – Lycopersicum cerasi-forme – atteste de cette ressemblance avec les fruits du cerisier).

Lorsque les Conquistadores mirent le pied sur le continent américain, ils découvrirent les tomates que cultivaient les Aztèques du Mexique, qui lui avaient donné le nom de ‘tomatl’. Ces indiens en faisaient une sauce à laquelle ils incorporaient des piments (un autre légume originaire du continent sud-américain). Au début du XVI° siècle, les Espagnols ramenèrent dans leur pays natal des graines de tomates… Comme toutes les richesses dont regorgeaient les cales des caravelles, ces pépins débarquèrent à Séville. Mais c’est dans le royaume de Naples (alors possession de la couronne espagnole) que fut mentionnée pour la première fois la culture et la consommation de ce légume-fruit. Vers 1550, un botaniste italien le baptisa ‘pomo d’oro’ (pomme d’or), nom qu’il a conservé dans la péninsule jusqu’à nos jours. Quand ils découvrirent la tomate, les habitants de la Provence la nommèrent quant à eux pomme d’amour (il est en effet courant de prêter des vertus aphrodisiaques à tout aliment nouveau). Et ce n’est qu’en 1835 que le mot « tomate » entra dans le dictionnaire de l’Académie française.

Une prétendue dangerosité

Si les Italiens adoptèrent rapidement la tomate, celle-ci mettra en revanche plus de deux cent cinquante ans avant d’être reconnue comme comestible dans le reste de l’Europe, dont la France. Comme la plupart des plantes originaires d’Amérique, la tomate suscita d’emblée de fortes craintes : on la considérait en effet comme toxique. Vers la fin du XVI° siècle, un botaniste Flamand écrivait, à propos des fruits de la tomate, que « leur odeur forte et nauséabonde nous signale suffisamment combien il est dangereux d’en consommer. »

Sous le règne d’Henri IV, le grand agronome Olivier de Serres notait lui aussi que « ses fruicts ne sont bons à manger : seulement sont-ils utiles en la médecine, et plaisans à manier et à flairer. » La tomate ne trouvait grâce à ses yeux que comme plante ornementale, pour couvrir les tonnelles des jardins.

Cette mauvaise réputation tenait au fait que les tomates ressemblaient aux baies mortelles de la belladone. Comme elle, la tomate appartient à la famille botanique des Solanacées, dans laquelle on trouve d’autres plantes toxiques comme la mandragore, la jusquiame ou encore le datura, une plante fortement hallucinogène dont l’ingestion d’une petite poignée de graines suffit à entraîner la mort. On notera à ce propos que le nom de baptême que donnèrent les botanistes à la tomate – Lycopersicum – signifie littéralement « pêche de loup »… ce qui indique sa prétendue dangerosité. Pour certains médecins de l’époque, sa consommation excessive fut même rendue responsable d’une terrible maladie : la « cardiopathie tomatienne » (sic), caractérisée par des crises d’angoisse et des troubles nerveux ! En revanche, un médecin suisse lui trouva des vertus exactement contraires : confronté à un individu surexcité, le praticien réussit à apaiser son patient en l’invitant à tenir une tomate dans chacune de ses mains !

Une révolution : l’entrée au potager

Ce n’est qu’à la veille de la Révolution française, soit deux siècles et demi après avoir débarqué sur le continent européen que la tomate fut définitivement réhabilitée. En 1778, le catalogue de graines vendues par la maison Vilmorin la sort (enfin !) de la catégorie « plantes ornementales » pour la classer parmi les plantes potagères, c’est-à-dire consommables par l’homme. La montée à Paris, en 1793, des soldats fédérés venus de Provence aurait beaucoup contribué à changer l’image de la tomate : ces militaires à l’accent marseillais auraient, paraît-il, réclamé aux aubergistes de la capitale ces légumes devenus si populaires dans leurs contrées ensoleillées. Plus sérieuse est l’hypothèse selon laquelle ce sont des Provençaux venus à Paris pour ouvrir des restaurants qui auraient popularisé la tomate.

A partir de la fin du XVIII° siècle, les parisiens, puis l’ensemble des Français, commencèrent à admettre l’absolue innocuité de la tomate. La révolution des transports et l’invention de la conserve apportèrent, aux six coins de l’hexagone, des cargaisons toujours plus importantes du savoureux légume.

Aujourd’hui, en France comme dans le monde, la tomate est le légume le plus cultivé, derrière la pomme de terre. Le premier producteur mondial est la Chine qui, à elle seule, produit plus d’une tomate sur quatre.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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