Consommation de légumes crucifères : quels bénéfices ?

Alimentation et santé : une seule priorité, l’action !

Année après année, le constat est, hélas, toujours le même… C’est celui d’une urgence sanitaire croissante, fruit (en grande partie) d’un système alimentaire dont la durabilité paraît de moins en moins assurée. C’est aussi, et surtout, celui d’une mobilisation qui, pour être réelle, demeure très insuffisante au regard de l’ampleur des défis. Pourtant, le diagnostic fait consensus (l’extension épidémique de l’obésité, la forte prévalence des décès prématurés…) de même que les remèdes (une alimentation saine, une activité physique adaptée, etc). Leur pertinence est sans cesse renforcée par les preuves scientifiques qui, mois après mois, s’accumulent. Mais vis-à-vis de la santé et de l’alimentation des populations, les pouvoirs publics se comportent souvent comme ils le font face au dérèglement climatique : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ¹.»

Dans sa « Déclaration » ², la conférence internationale EGEA 2018, qui s’est tenue à Lyon en novembre dernier, souligne l’impérieuse nécessité de transformer en profondeur les modèles agricoles et alimentaires, afin d’assurer à tous une meilleure nutrition – et, par voie de conséquence, une meilleure santé – tout en respectant le plus possible la nature. Elle rappelle qu’au premier rang des « solutions » figure la consommation quotidienne et élevée de fruits et de légumes. EGEA 2018 dresse une fois de plus la liste des nombreux bénéfices que la communauté scientifique attribue, de façon unanime, à ces deux familles d’aliments : réduction significative du risque d’infarctus, d’hypertension artérielle et d’AVC, action préventive sur le diabète et de nombreux cancers, etc.

Un diagnostic alarmant… partagé par tous les experts

Depuis la tenue de la Conférence EGEA, plusieurs rapports internationaux ont été publiés : Global Burden Disease, Global Nutrition Report, Independant Accountability Panel, rapports FAO… Tous dressent les mêmes constats et proposent les mêmes types de remèdes en faisant de la consommation de fruits et légumes une de leurs priorités. Les auteurs soulignent que les maladies chroniques non transmissibles sont devenues la première cause de mortalité
dans le monde, et qu’elles ne cessent de croître.

Parmi elles, l’essor des pathologies liées à l’alimentation est particulièrement préoccupant : selon le Global Nutrition Report ³, elles seraient responsables, avec l’obésité, d’1 décès sur 5 dans le monde. Le rapport précise qu’en 2016, l’obésité concernait 15,1 % des 18 ans et plus, contre seulement 10,6 % en 2000. En Europe, cette pathologie touche déjà près d’1 adulte sur 4 (23,3 % en 2016) et ce taux dépasse 1 personne sur 3 dans certains grands pays comme les Etats-Unis et le Mexique. Avec 15 % de sa population adulte présentant un IMC supérieur ou égal à 30, la France est relativement épargnée, mais le pourcentage d’enfants en surpoids ou obèses s’est accru en dix ans, passant de 15,8 % en 2007 à 19,8 % en 2016 4.

Parallèlement à cette « malbouffe » facteur d’obésité (680 millions d’adultes touchés en 2016), de diabète (420 millions), d’hypertension (1,13 milliard) et de maladies cardio-vasculaires, le scandale de la faim persiste. Après plusieurs décennies d’amélioration globale de la situation, la prévalence de la sous-nutrition a recommencé à augmenter. Dans son dernier rapport sur la sécurité alimentaire dans le monde 5, la FAO fait état, pour la troisième année consécutive, d’une hausse du nombre de personnes souffrant de la faim de manière chronique (821 millions en 2017). A ces affamés, il convient d’ajouter plus de 2 milliards d’individus souffrant de carences en micro-nutriments. Alors qu’ils constituent précisément une source précieuse de ces micro-nutriments, les fruits et légumes souffrent, dans les pays les plus pauvres, de lourds handicaps en termes de conditions de production (sécheresses renforcées par le changement climatique) et d’une insuffisance de dispositifs de stockage, de systèmes de préservation par le froid et d’infrastructures de transport.

Face à ces données alarmantes, il est désormais acquis qu’un mode de vie fondé sur une activité physique appropriée et une alimentation saine, riche en fruits et en légumes, permet de prolonger l’espérance de vie totale ainsi que l’espérance de vie en bonne santé. Outre l’impact positif sur la santé, d’autres travaux récents ont également conclu qu’une des manières les plus efficaces de lutter contre le dérèglement climatique résidait dans l’adoption de régimes alimentaires riches en végétaux.

Un « régime de santé planétaire »… qui prône de manger deux fois plus fruits et de légumes

En janvier 2019, l’ONG Fondation EAT a publié dans The Lancet 6 une étude réalisée en collaboration avec la célèbre revue médicale britannique. 37 experts issus de 16 pays, spécialistes des questions de nutrition, de santé publique, d’agriculture et d’environnement ont réfléchi pendant trois années à un « régime planétaire sain et durable » qui permettrait d’atteindre trois objectifs clés : nourrir correctement les 10 milliards d’humains qui pourraient peupler la terre en 2050 ; prévenir les 11 millions de décès prématurés causés par des régimes alimentaires inadaptés ; limiter les impacts négatifs pour la planète de la production agricole et alimentaire (pollutions, perte de biodiversité, prélèvements d’énergies fossiles et d’eau douce, émissions de gaz à effet de serre, etc). Ce régime, précisent les auteurs, devrait bien entendu être adapté aux conditions locales, à la démographie, aux disponibilités alimentaires et à la culture spécifiques de chaque pays. Le « modèle » alimentaire établi par les chercheurs fournit un apport quotidien de 2500 kilocalories (alors qu’il est aujourd’hui de 3700 kilocalories en moyenne dans les pays riches et de seulement 2200 kilocalories dans les pays pauvres). Ce « régime de santé planétaire » exigerait un doublement de la consommation mondiale actuelle de fruits et de légumes, ainsi que de légumineuses et de fruits oléagineux. Et une réduction de moitié des apports de viande rouge et de sucre.

Plus précisément, la ration « idéale » quotidienne devrait s’établir à 300 g de légumes (entre 200 et 600 g selon les situations) et 200 g de fruits (entre 100 et 300 g). Elle devrait également comporter 232 g de produits céréaliers complets, 75 g de légumineuses et 50 g de noix et autres fruits à coque. Le régime préconisé passe également par une réduction forte de la consommation de produits animaux : 250 g de lait et seulement 28 g de poisson, 29 g de volaille et 14 g de viande rouge (en France, selon le CREDOC, la consommation moyenne de produits carnés s’élevait en 2016 à 135 g par jour). Les experts insistent également sur la nécessité de limiter fortement la consommation de sucres ajoutés, graisses saturées et aliments ultra-transformés, de réduire de moitié les pertes et gaspillages alimentaires, et de modifier en profondeur les modes de production agricole ou de pêche (par exemple en diversifiant les espèces cultivées et en ne pratiquant plus la surpêche).

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
  1. Cette phrase a été prononcée en 2002 par Jacques Chirac, Président de la République française, lors du 4e Sommet de la Terre à Johannesburg en Afrique du Sud.
  2. Déclaration EGEA 2018 : « Nutrition et Santé : de la science à la pratique »
  3. 2018 Global Nutrition Report. https://globalnutritionreport.org/ CREDOC, enquêtes CCAF 2007 et 2017
  4. L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, édition 2018. FAO
  5. Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. The Lancet. January 16, 2019.
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