Consommation des fruits et légumes & tabagisme

Consommation de fruits et légumes : quelle influence sur l’arrêt du tabac ?

La consommation de fruits et légumes est toujours moindre chez les fumeurs

Les études transversales montrent de manière constante que les personnes qui fument (« fumeurs actuels ») ont une alimentation moins saine que les fumeurs qui ont arrêté « anciens fumeurs ») et les personnes qui n’ont jamais fumé 1,2. En particulier, la consommation de fruits et légumes (CFL) est toujours moindre chez les fumeurs actuels que chez les anciens fumeurs ou les personnes n’ayant jamais fumé. Cela pourrait simplement refléter que les non fumeurs ont des comportements plus sains que les fumeurs. Le lien pourrait également être biologique. Les données des études transversales ne nous permettent pas de déterminer la nature de la relation entre la CFL et le tabagisme. Par exemple, les fumeurs qui arrêtent pourraient choisir de consommer, après l’arrêt du tabac, plus de fruits et légumes que ceux qui continuent à fumer… Ou bien, les fumeurs qui consomment plus de fruits et légumes seraient peut être plus enclins à arrêter. Nous avons donc mené une étude longitudinale afin de mieux comprendre la nature de cette relation et de déterminer si la CFL était prédictive de l’arrêt du tabac dans une cohorte de 751 fumeurs actuels 2.

Une étude longitudinale sur 1000 fumeurs américains

Nous avons mené une enquête téléphonique auprès de 1000 fumeurs actuels, âgés de plus de 25 ans, habitant partout aux Etats- Unis. Ils ont été interrogés sur leurs habitudes tabagiques, leur niveaux de dépendance à la nicotine, la fréquence de leur CFL (en utilisant le questionnaire du système de surveillance des facteurs de risques comportementaux de 2003 – « 2003 Behavioral Risk Factor Surveillance System ») ainsi que sur d’autres comportements importants pour la santé (niveau d’activité physique, consommation excessive d’alcool, usage de drogues illicites…).

Nous avons également recueilli des données socio démographiques concernant l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le niveau d’éducation et les revenus. Nous avons analysé les consommations de fruits, de légumes et les CFL totales et nous les avons ensuite regroupées par quartile. Quatorze mois plus tard, nous avons recontacté 751 des 1000 participants initiaux (taux de réponse à 75,1%) afin de savoir s’ils avaient cessé de consommer des cigarettes ou tout autre produit dérivé du tabac durant au moins 30 jours.

Fruits et légumes et dépendance à la nicotine : quelles relations ?

Les indicateurs de dépendance à la nicotine regroupaient la consommation d’au moins 20 cigarettes par jour, la prise de la première au cours des 30 minutes qui suivent le réveil et un score de 9 au moins sur l’Echelle Modifiée du Syndrome de Dépendance à la Nicotine (Nicotine Dependence Syndrome Scale). Les fumeurs appartenant aux trois quartiles supérieurs pour la consommation de fruits avaient une moindre probabilité d’avoir trois critères de dépendance à la nicotine que ceux du quartile le plus bas. Ceux du quartile supérieur de consommation de légumes avaient une moindre probabilité de montrer un quelconque indicateur de dépendance que ceux du quartile le plus bas. Et ceux des deux quartiles supérieurs pour la CFL avaient des scores moindres pour les trois indicateurs de dépendance que ceux du quartile le plus faible.

Quid de l’arrêt du tabagisme ?

Nous avons évalué la probabilité de cesser de fumer par une analyse multi variée, ajustée statistiquement pour l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le niveau d’éducation, les revenus, l’excès d’alcool, l’usage de substances illicites et l’activité physique.

Résultat : Les fumeurs ayant la plus forte consommation de fruits et légumes au départ (Quartile 4) avaient une plus forte probabilité de s’abstenir de cigarettes et produits dérivés du tabac que ceux qui consommaient moins de fruits et légumes (Quartile 1). Après ajustement, l’Odd ratio était de 3,05 (p < 0,01).

Quatre mécanismes biologiques potentiels

De nombreux mécanismes biologiques pourraient expliquer nos résultats. La palatabilité peut en être un. Des travaux antérieurs ont montré qu’une forte CFL pourrait altérer la perception du goût des cigarettes3. Un autre mécanisme impliquerait les circuits de récompense cérébraux. Le sucre contenu dans les fruits pourrait rehausser les niveaux de dopamine (tout comme le fait la nicotine), réduisant ainsi le besoin perçu de fumer une cigarette. Un troisième mécanisme potentiel serait que des CFL élevées pourraient diminuer la dépression, qui est souvent associée à la reprise du tabagisme lors d’une tentative d’arrêt. Une quatrième explication impliquerait la satiété. La sensation de faim peut être confondue avec le « craving » (besoin incontrôlable) pour la cigarette. Comme la CFL est une composante majeure de la satiété, un niveau plus haut de satiété pourrait réduire ce besoin incontrôlable de cigarettes. Enfin, une forte CFL (et/ou une forte consommation d’eau) pourrait réduire la constipation, qui est un symptôme de sevrage tabagique chez certaines personnes.

Des études de cohorte supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir reproduire ces résultats. Elles devraient intégrer d’autres groupes d’aliments. De plus, des études expérimentales sont nécessaires pour éliminer l’influence possible de facteurs qui n’étaient pas pris en compte lors de notre étude observationnelle.

Gary A. Giovino
Département de Santé Communautaire et Comportements de Santé Ecole de Santé Publique et des Professions de Santé, Université de l'Etat de New York (SUNY) à Buffalo, New York, Etats-Unis
  1. Giovino GA. Could nutritional factors influence the development and maintenance of addiction to nicotine? Chapter 9 in: J.E. Henningfield, P.B. Santora, & W.K. Bickel (Eds.) Addiction Treatment in the 21st Century: Science and Policy Issues. Baltimore, MD: The Johns Hopkins University Press, pp. 77-83, 2007.
  2. Haibach JP et al. A longitudinal evaluation of fruit and vegetable consumption and cigarette smoking. Nicotine & Tobacco Research 15(2):355-363;2013. First published online May 21, 2012; doi: 10.1093/ntr/nts130.
  3. McClernon FJ et al.The effects of food, beverages, and other factors on cigarette palatability. Nicotine & Tobacco Research 9(4):505-510; 2007.
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