100ème numéro - Nouvelles idées pour augmenter la consommation de F&L

Enfants obèses et fils de Pub ?

Dans un article récent1, Janny Goris, une chercheuse australienne, relate les résultats d’une étude très intéressante conduite en partenariat avec d’autres scientifiques australiens, suédois et britanniques. Objectif de ce projet de recherche collaborative : mesurer l’impact de la publicité télévisée pour les aliments et boissons sur la prévalence de l’obésité chez les enfants. L’étude a été réalisée à partir de données recueillies en Australie, Grande Bretagne, Italie, Pays Bas, Suède et Etats-Unis.

TV = moins d’activité physique et plus de snacks

Des travaux antérieurs avaient montré l’existence d’une corrélation positive entre le temps passé par les enfants devant la télévision et la prévalence du surpoids et de l’obésité au sein de cette jeune population. Même si les mécanismes sont probablement plus complexes, deux facteurs explicatifs de cette prise de poids ont été suggérés : la réduction de l’activité physique générée par « l’installation » devant le téléviseur et l’augmentation de l’apport énergétique (ou encore, bien sûr, une combinaison des deux phénomènes).

En ce qui concerne le premier facteur, une relation inverse – d’ampleur modeste toutefois – a été établie entre le temps consacré à la télévision et le niveau d’activité physique des enfants.

S’agissant de l’apport énergétique, d’autres études ont montré que regarder la télévision s’accompagne d’une consommation accrue d’aliments à haute valeur énergétique (de type snacks). En effet, le média télé expose enfants et adultes à des publicités qui vantent, parmi d’autres produits et services, des aliments et des boissons. Cette exposition influence les préférences alimentaires des enfants, leurs choix, les demandes d’achat qu’ils adressent à leurs parents et, in fine, ce qu’ils ingèrent. Or, les études réalisées sur le sujet montrent que les publicités alimentaires font la promotion de produits potentiellement néfastes à la santé, riches en énergie et pauvres en nutriments d’intérêt. Néanmoins, rares sont les recherches qui ont tenté de quantifier, en contrôlant les autres facteurs (par exemple l’influence de parents) le lien entre publicité alimentaire à la télévision et prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants.

199 minutes par jour aux USA

Pour atteindre cet objectif, Goris et ses partenaires ont eu recours à des modèles mathématiques. Pour « alimenter » ces modèles en données, les auteurs ont consulté de nombreuses études, menées récemment et sur une grande échelle dans les six pays mentionnés plus haut. Pour chaque pays, ils ont recueilli, d’une part, des chiffres sur la prévalence du surpoids et de l’obésité enfantine (enfants âgés de 6 à 11 ans) et, d’autre part, des données sur l’exposition des enfants à la publicité alimentaire télévisée.

Sur ce dernier point, les données collectées montrent que c’est aux Etats-Unis que cette exposition est, en moyenne, la plus élevée. A contrario, c’est aux Pays-Bas, en Suède et en Grande- Bretagne qu’elle est la plus faible, l’Italie et l’Australie occupant une place intermédiaire. Il est important de noter que les durées d’exposition à la publicité alimentaire télévisée ont été recueillies avant la mise en place, dans la plupart des pays étudiés, de restrictions quant à leur diffusion vers les enfants. Quant au temps total passé devant la télévision, il s’élève « seulement » à 90 min. par jour en Suède contre 199 min. aux USA (dans les quatre autres pays, il s’établit entre 116 et 144 min.).

40% des petits américains obèses à cause de la pub TV

A partir de ces deux types de données, les chercheurs ont, pour chacun des six pays, modélisé deux scénarios correspondant à l’absence de toute exposition à la publicité alimentaire télévisée, et ils les ont comparés aux situations réelles. L’un des scénarios reposait sur des données directement issues de la littérature scientifique, le second était basé sur l’opinion d’experts : le premier scénario postulait que 25 min. de publicité alimentaire en plus par semaine se traduiraient par une augmentation de 1 à 4 % de l’apport énergétique de la ration ; dans le second scénario (analyse basée sur les dires d’expert), l’apport calorique augmentait entre 3 et 5 %.

Les résultats obtenus montrent que la contribution de la publicité télévisée à la prévalence de l’obésité chez les enfants se situe – selon les scénarios retenus – entre 16 et 40 % aux USA, entre 10 et 28 % en Australie et en Italie, et entre 4 et 18 % en Grande- Bretagne, Suède et Pays-Bas. Si nous reprenons le cas des Etats- Unis, le chiffre de 40 % obtenu dans le scénario 1 (analyse de la littérature) signifie que 40 % des enfants obèses ne seraient pas devenus obèses s’ils n’avaient pas été exposés à la publicité télévisée pour des aliments et boissons (le plus souvent fortement caloriques).

La Suède montre l’exemple

La conclusion s’impose d’elle-même : limiter ces spots publicitaires pourrait participer de façon significative à contenir, et même à inverser, l’inquiétante montée du surpoids et de l’obésité chez les enfants. Mais une telle décision se heurte à la puissance des intérêts économiques en jeu… La Suède fait office de pionnier dans ce domaine : dès 1991, ce pays a interdit toute publicité destinée aux moins de 12 ans, au nom du respect des droits de l’enfant.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
  1. Goris JM, Petersen S, Stamatakis E, Veerman, “Television food advertising and the preva-lence of childhood overweight and obesity : a multicountry comparison.” Public health nutrition, July 2010, vol./is. 13/7(1003-12), 1475-2727.
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