Fruits et légumes plus accessibles II

Fruits et légumes : les parents pauvres de l’alimentation des populations défavorisées

Jusqu’à une date récente, très peu de données existaient sur l’alimentation et l’état nutritionnel des personnes en situation de grande précarité. Réalisée en 2004-2005, l’étude ABENA1 a permis de pallier en partie ce déficit d’informations. Ses conclusions sont particulièrement alarmantes : considérées dans leur ensemble, les populations les plus défavorisées souffrent d’apports alimentaires quantitativement insuffisants. Sur le plan qualitatif, la ration apparaît fortement déséquilibrée, avec de très faibles consommations de poisson, de produits laitiers et, plus encore, de fruits et de légumes.

Une double approche

Le volet quantitatif de l’étude a comporté deux approches : des questionnaires de consommations alimentaires et des examens de santé : dosages biologiques (vitamines et minéraux) et examens cliniques. Le public enquêté était constitué de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire : celle-ci leur était apportée sous forme de colis, de mise à disposition de produits à très faible prix (structures du type “épiceries solidaires et sociales” fonctionnant sur le mode du libre-service) ou encore sous forme de repas servis sur place. Les investigations ont été réalisées dans le département de Seine-Saint-Denis ainsi qu’à Dijon, Marseille et Paris. La population enquêtée comportait 51% de femmes, près de 75% des sujets étaient âgés de plus de 35 ans et seulement 5,5% avaient un emploi.

Le taux de participation à l’étude ABENA s’est révélé plus élevé que celui auquel on aurait pu s’attendre compte tenu du profil particulier des interviewés : plus des trois quarts des personnes sollicitées ont répondu au questionnaire et une sur quatre a accepté de se soumettre aux examens de santé proposés.

1,2% déclare manger “au moins 5 fruits et légumes par jour”

Les résultats font apparaître qu’un enquêté sur quatre prend au maximum deux repas par jour (à Paris, ils sont plus d’un sur deux dans ce cas). Les féculents (hors légumes secs) occupent une place très importante dans l’alimentation des foyers ayant recours à l’aide alimentaire : la moitié de l’échantillon en consomme au moins trois fois par jour. A contrario, un répondant sur deux consomme moins d’une fois par jour de la viande, du poisson ou des œufs. Moins d’1 sur 10 respecte la recommandation du PNNS de consommer quotidiennement trois produits laitiers. Surtout, on notera que seulement 1,2% déclare mettre en pratique le conseil de manger “au moins 5 fruits et légumes par jour” : la quasi-totalité en ingère moins de 3,5 portions, la médiane se situant “entre 1 et 2 fois par jour”.

Pour plus de trois interviewés sur quatre, l’aide alimentaire représente la source essentielle (et parfois exclusive) d’approvisionnement en nourriture. Or, jusqu’à une date récente, les fruits et légumes étaient très peu présents dans les colis distribués ou sur les rayons des épiceries sociales.

Une population en mauvaise santé

La très faible consommation de fruits et de légumes signalée par l’étude ABENA est cohérente avec les observations cliniques et les analyses biologiques effectuées en complément des enquêtes de consommation. Ainsi, les individus en surpoids représentent 38% des enquêtés tandis que la proportion d’obèses dépasse 27% (36% chez les femmes). De plus, un quart des personnes interrogées sont hypertendues et les taux de cholestérol et de triglycérides sont élevés. L’anémie est fréquente chez les jeunes femmes (un tiers de celles ayant moins de 30 ans). Bétacarotène et folates sont présents en quantités insuffisantes, ainsi que la vitamine C : 14 % des hommes présentent des déficits sévères dans cette vitamine !

Le prix des fruits et légumes n’est pas le seul frein

Des actions et expérimentations sont actuellement en cours, qui mettent gratuitement (ou quasi gratuitement) des fruits et des légumes frais à la disposition de personnes bénéficiaires de l’aide alimentaire. Il faut toute-fois s’interroger sur l’impact réel de ces initiatives : se traduisent-elles par une augmentation significative de la consommation de ces aliments à forte valeur santé ?

En effet, outre le prix, les freins potentiels peuvent être nombreux et de nature très variée : poids des habitudes alimentaires et culinaires, représentations négatives de ces produits (les fruits et légumes frais ont une image d’aliments traditionnels c’est-à-dire “non modernes”), freins culturels (populations d’origine étrangère), méconnaissance du rôle de ces aliments dans l‘équilibre nutritionnel et la santé… Et aussi absence d’investissement personnel et social dans l’acte de manger (chacun mange pour soi, face à la télévision), priorité accordée à la sensation de “ventre plein” (or les fruits et légumes rassasient moins), faible sensibilité aux notions de prévention et de gestion de la santé, savoir-faire culinaire insuffisant, pertes de repères (horaires des repas par exemple), difficultés d’organisation personnelle, manque de temps et/ou de motivation pour cuisiner, absence d’espace de stockage ainsi que d’équipements et d’ustensiles de cuisine adaptés, absence de goût pour les fruits et légumes chez les enfants ou le conjoint… Pour lever ces multiples freins, la mise en œuvre d’actions d’accompagnement (groupes d’échanges, ateliers culinaires, partage de repas, etc.) apparaît comme une condition absolument nécessaire.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
  1. C. Bellin Lestinne, V. Deschamps, A. Noukpoapé, S. Hercberg, K. Castelbon. Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire. Etude ABENA, 2004-2005. Institut de veille sanitaire, Uni-versité de Paris 13, Conservatoire national des arts et métiers. Saint Maurice, 2007, 74 pages.
Retour Voir l'article suivant