« Comment traduire les atouts des Fruits & Légumes en habitudes alimentaires efficaces et pratiques ? »

Le légume vert préféré des Français : le haricot

L’ayacotl des Aztèques

Comme les tomates, les pommes de terre, le maïs, les piments ou encore les courges, les haricots sont originaires du continent américain. C’est la raison pour laquelle ils n’apparaissent que tardivement sur les tables de nos ancêtres : il faut en effet attendre le début du XVI° siècle pour que les conquistadors ramènent du Nouveau Monde ce légume que les Amérindiens cultivaient, depuis déjà plus de sept mille ans, dans les régions andines de l’Amérique du Sud et dans la partie centrale du continent. Dans cette Méso-Amérique, la culture du haricot (que les Aztèques nommaient ayacotl) était associée à celle du maïs et des courges. Ces trois plantes sont en effet parfaitement complémentaires du point de vue agronomique (le maïs protège les courges et sert de tuteur aux haricots, ces derniers enrichissant le sol en azote) et en termes d’intérêt nutritionnel (la combinaison maïs – haricots permet d’apporter l’ensemble des acides aminés dits essentiels).

Une fois introduit sur le Vieux Continent, le haricot est adopté assez rapidement, à l’instar du maïs et du piment que les populations locales assimilent au blé et au poivre (d’aspect plus « exotique », tomates et pommes de terre mettront en revanche plus de trois siècles à séduire les mangeurs Français !). Les haricots apparaissent eux aussi familiers aux Européens qui, depuis l’Antiquité, consomment des graines de dolique, une plante originaire d’Asie mais dont l’aspect est proche de la légumineuse américaine.

Une découverte de Christophe Colomb

Les haricots ont été découverts en premier par Christophe Colomb, sur l’actuelle île de Cuba. Ramenées dans les cales des caravelles espagnoles, quelques poignées de grains aboutissent, en 1528, dans les mains du Pape Clément VII, qui les offre à un chanoine nommé Piero Valeriano. Ce dernier plante en terre les petites semences en forme de reins, afin d’en tester l’intérêt gustatif. La plante se révèle très productive et, avantage appréciable à une époque de grande précarité alimentaire, ses graines « calent » efficacement les estomacs paysans. Il n’en faut pas plus pour que la culture de ces fagioli s’étende dans la Péninsule… Quelques années plus tard, la princesse florentine Catherine de Médicis, quittant sa terre natale pour venir épouser le fils de François Ier, le futur Henri II, emporte dans ses bagages un sac des fameux haricots. Ceux-ci sont d’abord acclimatés dans les jardins potagers des châteaux qui bordent la Loire.

Ce n’est qu’un siècle plus tard, en 1640, que le mot haricot apparaît pour la première fois dans un texte en langue française. Auparavant, les horticulteurs et les botanistes nommaient le légume sec fazéol ou, selon les régions, fasol, faziol ou encore fayol… d’où est issu notre moderne fayot. Selon certains auteurs, le terme haricot viendrait du nom d’un plat médiéval : le héricot (ou héricoq) de mouton. Il s’agissait d’un ragoût de viande agrémenté principalement de navets… et sans le moindre haricot bien sûr, ce dernier n’ayant pas encore été découvert par Colomb. Le mets en question tirait son appellation du verbe haricoter qui signifiait « couper en petits morceaux ». Il est possible que le jour où on eut l’idée de remplacer ou de compléter les navets par des graines de fazéol, ces dernières se virent attribuer le nom de la recette dont elles constituaient à présent un des ingrédients principaux. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les antiques cassoulets du Sud-Ouest n’ont jamais comporté le moindre haricot avant que les Européens ne traversent l’Atlantique (ils étaient à base de fèves ou de doliques).

Un berceau oublié…

Avec le temps, on finit par douter de l’origine américaine du haricot. Voire à être persuadé qu’il était, à l’instar des doliques, pois, fèves et autres lentilles, issu lui aussi d’Asie centrale ou du Proche-Orient et cultivé en Europe depuis la plus haute Antiquité. C’est un entomologiste, Jean-Henri Fabre, qui au tout début du XX° siècle redécouvrit le véritable berceau du haricot. Le savant observa que les bruches – des petits insectes ravageurs du groupe des coléoptères – ne touchaient pas du tout aux haricots mais faisaient leurs choux gras de toutes les autres légumineuses… d’origine asiatique. Fabre émit alors l’hypothèse que l’insecte indigène n’était pas familier du haricot, ce qui signifiait que ce dernier était arrivé sur le sol européen beaucoup plus récemment que les autres légumes secs, et probablement en provenance d’une autre partie du monde. L’hypothèse fut confirmée lorsqu’on vit, peu de temps après, des plantations de haricots entièrement décimées par une bruche d’une espèce inconnue à l’époque. En revanche, l’insecte en question épargnait fèves, lentilles et pois. Après examen attentif, le ravageur se révéla être un nouveau venu, fraîchement débarqué d’Amérique. CQFD !

L’origine de « la fin des haricots »

Outre sa culture facile, sa forte productivité et son intérêt nutritionnel – c’est une bonne source de glucides complexes (amidon), de protéines, de fibres et de certains minéraux – le haricot présente l’immense avantage de pouvoir être conservé longtemps et de servir ainsi de nourriture tout au long de l’hiver. L’expression : « c’est la fin des haricots » prend alors tout son sens. Cet aliment était le dernier qui était donné aux marins sur les navires, après épuisement des autres nourritures. La fin des haricots signifiait alors le début de la… faim et, parfois, de la fin tout court !

Le haricot, comme chacun sait, peut être mangé de différentes façons : ses grains peuvent être consommés secs, frais ou encore – dans le cas du haricot vert ou des haricots « beure » et « mange-tout » – avec la gousse qui les protège. Cette habitude de manger les jeunes gousses immatures n’est apparue que trois siècles après l’introduction du haricot en Europe : ce sont les riches Italiens qui, à la fin du XVIII° siècle, ont été les premiers à consommer des haricots verts. Ils seront imités par la bourgeoisie des autres pays, soucieuse de se démarquer des classes populaires en consommant un légume plus raffiné que les « ordinaires » haricots secs, sources de désagréables flatulences.

De tous les légumes verts, le haricot vert est aujourd’hui celui que les Français consomment le plus (surtout sous forme de conserves et de surgelés). La production de haricots en grains est, quant à elle, huit fois moins élevée. Toutefois, certaines variétés comme le coco de Paimpol, le haricot tarbais, le haricot de Soissons ou encore le lingot du Nord bénéficient aujourd’hui d’une grande réputation voire d’un signe de qualité ou d’origine (label rouge, AOP). Un autre haricot est couramment consommé par ceux qui fréquentent les restaurants asiatiques : il s’agit du haricot mungo, plus connu sous l’appellation trompeuse de « pousses » ou de « germes » de… soja.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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