Numéro spécial : réapprendre à cuisiner pourrait devenir un acte de santé
publique.

Les fruits et légumes au cœur d’une démarche préventive militante

La nécessité de mieux gérer la santé par l’alimentation est devenue un objectif très consensuel. L’avancement des connaissances scientifiques permet maintenant de disposer d’une compréhension solide des mécanismes qui régissent les relations entre alimentation et santé. Ceci est à l’origine de l’essor d’une nouvelle discipline : la nutrition préventive

Un enjeu majeur pour la société

Le fil directeur de cette discipline : définir les régimes alimentaires qui assurent un fonctionnement optimum de l’organisme par un apport adéquat de nutriments et de micronutriments. L’alimentation, source de facteurs de protection (ou de risques…), est directement impliquée dans la prévention de nombreuses pathologies. La possibilité de construire une chaîne alimentaire qui favorise l’adoption d’un comportement alimentaire protecteur par une large majorité de la population est, pour une société, un enjeu majeur. Si, en amont, le fonctionnement de cette chaîne est respectueux de l’environnement, si elle est basée sur des échanges économiques équitables, le bénéfice sociétal d’un tripode équilibré « agriculture – alimentation – santé » devient considérable.

Du chasseur cueilleur au pousseur de caddie

Il existe actuellement de nombreux problèmes pour une gestion optimale de la santé par l’alimentation, représentés par la pollution et les pesticides mais aussi par les déséquilibres de l’offre alimentaire. Au niveau métabolique, le facteur de risque le plus important provient du décalage nutritionnel provoqué par l’environnement calorique artificiel des supermarchés face à notre statut anthropologique de chasseur-cueilleur. En terme plus concret, l’offre alimentaire courante est peu adaptée aux besoins de l’homme : elle est surtout conçue pour garnir les réfrigérateurs et disposer facilement de nourriture. Beaucoup d’aliments transformés ont une densité nutritionnelle insuffisante et un contenu en micronutriments trop indigent par rapport aux aliments naturels auxquels nos organismes ont été adaptés.

Principale origine d’une telle dérive ? Une absence d’encadrement suffisant du secteur agroalimentaire, qui a pu produire toutes sortes d’aliments et de boissons, sans objectifs de densité nutritionnelle. A partir du moment où les produits transformés occupent plus de 80% des linéaires des supermarchés, il n’est pas étonnant que la composition des caddies soit bien éloignée de l’optimum alimentaire, correspondant à notre statut de primate omnivore.

Les carences de notre alimentation

Il convient donc de concevoir une façon de s’alimenter, en accord avec notre équipement génétique, tout en bénéficiant du potentiel technologique d’une chaîne alimentaire moderne et en tenant compte des contraintes socioéconomiques actuelles. Beaucoup de productions alimentaires mériteraient d’être améliorées, afin d’être mieux adaptées aux besoins de l’homme.

Comment ?
Il est temps, par exemple, d’améliorer la densité nutritionnelle du pain et des produits céréaliers, trop souvent confectionnés avec des farines appauvries en minéraux et en fibres, occasionnant des problèmes de transit ou un statut insuffisant en magnésium (très abondant dans les pains bis ou complets). La consommation des féculents, tels que les légumes secs ou les pommes de terre, est trop réduite au profit d’un usage excessif des produits sucrés, voire gras.

La disponibilité en huiles vierges, équilibrées en oméga 6 et en oméga 3, est très insuffisante face aux matières grasses, visibles ou cachées, trop riches en acides gras saturés. Enfin, et surtout, de nombreux produits transformés ont une densité nutritionnelle insuffisante.

Mieux maîtriser l’offre et la consommation de fruits et légumes

Il faut donc progresser dans tous ces domaines. Mais une meilleure maîtrise de l’offre et de la consommation des fruits et légumes pourrait être la démarche la plus efficace pour évoluer vers une alimentation protectrice, mieux adaptée aux besoins de l’homme. Consommer une très grande diversité de fruits et légumes correspond à notre statut génétique. Leur rôle clé dans la prévention de nombreuses pathologies semble acquis. Cependant, les fruits et légumes ont longtemps été considérés comme des aliments secondaires, peu efficaces pour fournir l’énergie aux travailleurs manuels, dont les besoins caloriques étaient très élevés. La situation a bien changé : nos dépenses énergétiques ont largement diminué alors que nos besoins en micronutriments ont, sans doute, peu évolué. Une consommation élevée de fruits et légumes constitue, non seulement une base alimentaire non négligeable pour la couverture des apports caloriques, mais surtout une voie essentielle pour la couverture des besoins en micronutriments.

Il semble que notre chaîne alimentaire ait été fort mal orientée. Nous avions besoin d’une grande diversité de produits frais, végétaux et animaux, destinés à être accommodés par l’acte culinaire, plutôt que d’un développement sans fin de produits transformés de longue conservation. Il est devenu nécessaire de rééquilibrer progressivement notre système alimentaire. Pour cela il faut dès à présent redéfinir les rôles respectifs de l’agriculture et du secteur agroalimentaire, la part des produits frais par rapport aux produits transformés, le rôle de l’acte culinaire ou de la restauration de qualité, par rapport à la consommation de produits préparés d’origine industrielle.

Quand l’acte culinaire devient un acte militant

Dans la mesure où la surabondance de produits transformés peut nous éloigner des fondamentaux de la nutrition, il est indispensable de valoriser l’acte culinaire, en particulier si cela permet d’enrichir l’alimentation en fruits et légumes. Comme dans beaucoup de cuisines dans le monde, ces végétaux sont à la base de nombreuses compositions alimentaires. Leurs associations avec des viandes, des produits laitiers, des céréales ou des féculents, permettent de bénéficier de complémentarités remarquables en nutriments et micronutriments. Elles sont pour chacun d’entre nous, la voie la plus sûre de gérer au mieux notre santé par l’alimentation. Au delà d’une prise en charge personnelle, l’acte culinaire devient aussi un acte militant par les conséquences de nos choix sur l’évolution de la chaîne alimentaire, sur une autre façon de pratiquer l’agriculture, de conditionner et distribuer les aliments, sur la préservation des ressources naturelles et sur notre équilibre avec la nature. Il convient donc d’avoir cette vision globale et de ne pas avoir une approche diététique trop égocentrique et éloignée des réalités du terrain.

Christian Rémésy
Directeur de recherche - INRA - FRANCE
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