Alimentation et déclin cognitif

Les interactions médicament-aliment : les connaissances avancent

Les interactions médicament-aliment (IMA) se traduisent par des modifi cations des concentrations sanguines, de l’effi cacité ou de la toxicité d’un médicament, par l’intermédiaire de l’alimentation, d’extraits de plantes ou de compléments alimentaires. Elles restent encore mal connues des médecins. Un article récent fait une revue exhaustive des mécanismes et des conséquences de ces interactions.

Si le problème des interactions médicamenteuses est bien connu, celui des interactions médicament – aliment l’est beaucoup moins. Les IMA sont défi nies par les modifi cations de biodisponibilité des médicaments, entraînant des modifi cations de concentration, d’effi cacité ou de toxicité d’un médicament par le biais de l’alimentation, d’extraits de plantes ou de compléments alimentaires – qui sont des plus en plus utilisés aujourd’hui.

Plutôt négligées par les médecins, elles se limitent le plus souvent à l’infl uence de l’horaire ou du type de repas sur l’absorption d’un médicament. Le repas ralentit la vidange de l’estomac, élève le pH de l’intestin grêle, augmente le débit sanguin du foie et prolonge le temps de transit gastro intestinal. Ainsi, on recommande parfois la prise de certains médicaments à distance des repas pour préserver leur effi cacité. On sait également que l’effet anticoagulant oraux des anti vitamines K est réduit par une consommation répétée d’aliments riches en vitamine K, comme les choux, les asperges, les épinards, les avocats et le foie. Ces notions sont classiques.

Plus récemment, on a montré que certains aliments pouvaient modifi er les concentrations de médicaments pris par voie orale, en agissant au niveau de leur métabolisme intestinal. Par ce biais, des baisses des concentrations plasmatiques exposent à une diminution d’effi cacité d’un médicament. A l’inverse, une augmentation de sa concentration peut accroitre la toxicité d’un traitement. Les patients âgés, polymédiqués, dénutris, cancéreux, transplantés, séropositifs, sont les plus exposés aux IMA.

On connait 4 types d’IMA:

Type 1 : le médicament est rendu inactif par l’alimentation à cause de réactions chimiques locales intra intestinales (modifi cations de l’absorption ou changements de l’acidité gastrique).

Type 2 : modifi cation de l’absorption intestinale par modifi cations du pH gastrique, du temps de transit intestinal, de la dissolution du médicament, par induction ou inhibition des enzymes du métabolisme intestinal (en particulier les cytochromes CYP) ou des transporteurs intestinaux. L’exemple le mieux étudié est celui des jus de pamplemousse.

Type 3 : modifi cation de l’effet du médicament une fois qu’il a pénétré dans la circulation sanguine. Exemple le mieux connu: les interactions aliments et anticoagulants oraux.

Type 4 : IMA susceptible de modifi er l’élimination biliaire ou rénale des médicaments.

Sans entrer dans la description complexe des mécanismes de ces interactions, décrites en détail dans cet article, certaines situations utiles en pratique courante pour le médecin clinicien peuvent être soulignées.

Interactions IMA avec les fruits et légumes, jus de fruits et autres boissons

La consommation des fruits et légumes est fortement recommandée aujourd’hui pour leurs effets bénéfi ques sur la santé et personne ne les remet en question. Certains F&L cependant peuvent être à l’origine d’IMA parfois dangereuses.

Le pamplemousse

Les interactions de divers médicaments avec le pamplemousse ou son jus sont connues depuis une vingtaine d’années. Plus de 85 médicaments sont susceptibles d’interagir avec ce fruit qui est capable d’inhiber leur métabolisme intestinal, avec pour conséquence une augmentation de leur concentration plasmatique et une risque accru d’évènements indésirables potentiellement graves. Les composés (furanocoumarines) du pamplemousse responsables de ces effets inhibent le cytochrome CYP3A4 de manière irréversible et prolongée jusqu’à la synthèse de nouvelles enzymes actives (24 heures). Fruit entier, jus de fruit frais ou congelé, toutes les formes de pamplemousse peuvent être source d’IMA. Un pamplemousse entier ou 200 ml de jus suffi sent à entraîner une interaction signifi cative et potentiellement dangereuse. Les médicaments concernés sont ceux qui ont une biodisponibilité faible (<50%). Le risque est maximal quand l’intervalle entre la consommation de pamplemousse et la prise de médicament est inférieure à 4 heures. Le risque est encore de 25% après 24 heures. Un délai de 3 jours entre l’ingestion de pamplemousse et le médicament est nécessaire pour annuler complètement le risque (temps nécessaire pour le renouvellement de l’activité CYP 3A4 intestinale).

Tous les fruits dérivés du pamplemousse (orange de Séville, citron vert, pomelo) sont susceptibles d’engendrer le même type d’IMA. En revanche, les oranges, dépourvues de furanocoumarines, ne sont pas responsables d’IMA.

Et les autres fruits ?

A l’inverse, on a récemment découvert que certains fl avonoïdes présents dans le pamplemousse, les pommes et les oranges pouvaient ralentir l’absorption intestinale de certains médicaments, réduisant ainsi leur effi cacité. Le nombre de ces traitements est faible. On peut citer certains beta bloqueurs et antibiotiques. En tout cas, les antidiabétiques oraux, les hormones thyroïdiennes et les statines non métabolisées par le CYP3A4 ne sont pas concernés par ces interactions. En outre, cet effet est transitoire et se dissipe en quelques heures.

Autre jus sur la sellette : la Cranberry préconisée pour ses vertus antiseptiques urinaires. Quelques rares cas d’interactions avec des anticoagulants oraux ont été publiés – et encore pour des consommations de 700 ml de jus de cranberries par jour pendant plusieurs jours successifs. Il n’y a donc pas lieu de s’alarmer.

D’autres fruits et légumes (pommes, mangues, goyaves, framboises, ail, brocolis, cresson, tomates, carottes, avocats, céleri) ont été étudiés pour moduler l’activité du CYP3A4 chez l’homme. Les résultats sont rassurants. Seul l’ail – que l’on consomme rarement en quantité signifi cative – a été incriminé au cours d’IMA avec les anti vitamines K (risque accru de saignement) et certains anti rétroviraux (perte d’effi cacité).

Les IMA sont fréquemment rapportées chez les sujets âgés et polymédiqués qui représentent la population la plus à risque. Ces interactions sont de plus en plus étudiées et de mieux en mieux documentées. En ce qui concerne les fruits et les légumes, hormis le cas classique du pamplemousse, connu depuis plus de 20 ans, les dernières recherches dans ce domaine sont globalement rassurantes. En dehors de certains cas particuliers, elles ne remettent pas en cause le bénéfi ce de la consommation régulière de fruits et légumes et de médicaments.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
Mouly S, Morgand M, Lopes A, Lloret-Linares C, Bergmann JF. [Drug-food interactions in internal medicine: What physicians should know?] Rev Med Interne. 2015 Jan 27
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