Interaction entre alimentation et microbiote intestinal : un atout pour la santé

Maladies inflammatoires de l’intestin et microbiote : adapter la prise en charge nutritionnelle à chaque malade

Une récente revue de la littérature a examiné les données disponibles concernant les liens entre nutrition, microbiote et maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Ce travail confirme l’influence de l’alimentation dans ces pathologies et identifie des nutriments apparaissant comme favorables et défavorables vis-à-vis de ces affections. Pour autant, de manière plus large, les connaissances actuelles ne permettent pas d’identifier de régimes à recommander de manière universelle aux malades. Cette revue pointe, ainsi, l’importance de personnaliser les traitements, en particulier en caractérisant la dysbiose des malades.

D’après les connaissances actuelles, l’alimentation constitue un facteur de risque de développement des maladies inflammatoires de l’intestin – MICI (voir encadré). Par ailleurs, la dysbiose intestinale (altération prolongée de l’équilibre du microbiote) jouerait un rôle important dans ces pathologies, induisant une réponse immunitaire aberrante chez les individus génétiquement prédisposés. Une récente revue de la littérature (Mentella, 2020) a examiné les données disponibles concernant les liens entre nutrition, microbiote et maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.

Un microbiote altéré chez les patients souffrant de maladies inflammatoires de l’intestin

D’après cette revue, l’alimentation, le mode de vie, l’hygiène ou encore la prise d’antibiotiques sont autant de facteurs produisant, en permanence, des modifications rapides de la composition du microbiote intestinal, ce qui peut rapidement faire évoluer ce dernier. Chez les individus présentant une prédisposition génétique, une modification de ces facteurs environnementaux joue, ainsi, clairement un rôle dans l’apparition des maladies inflammatoires de l’intestin, celles-ci étant étroitement liées à une dysbiose intestinale (Lane, 2018).
Chez les patients souffrant de maladies inflammatoires de l’intestin, l’analyse de leur microbiote montre des perturbations et notamment une diminution généralisée de la biodiversité alpha, ainsi qu’une réduction de taxons spécifiques dont les Firmicutes et Bacteroidetes, Lactobacillus et Eubacterium. Ils présentent également une réduction des espèces réduisant le butyrate, qui modulent positivement l’homéostasie intestinale (Lane, 2018; Frank, 2007; Li, 2015; Christl, 1996).

L’apparition des MICI serait modulée par les apports en certains nutriments

L’analyse de la littérature disponible montre que certains nutriments semblent avoir un effet favorable – apport suffisant en fibres et rapport oméga 3/oméga 6 adéquat – sur la survenue de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Au contraire, d’autres semblent avoir un effet néfaste : apports excessifs en lipides et protéines notamment. Le tableau 1 ci-dessous synthétise les connaissances actuelles concernant l’influence des lipides, protéines, glucides et fibres sur la survenue et l’évolution des maladies inflammatoires de l’intestin.
Afin de confirmer ces données et d’en tirer des recommandations pratiques, les auteurs soulignent la nécessité d’approfondir ces observations grâce à des études cliniques spécifiques bien conçues.

Nutriments Influence sur la survenue de MICI
Positive Négative
Lipides Un ratio équilibré entre acides gras polyinsaturés ω-3 et ω -6 est essentiel à l’homéostasie, les ω-3 jouant un rôle anti-inflammatoire, tandis que les ω – 6 sont pro-inflammatoires (Raphael, 2013). Les triglycérides à longues chaines participent à l’augmentation du risque de MICI (Miura, 1993).
Les acides gras à chaine moyenne jouent un rôle anti-inflammatoire (Dixon, 2015). Un risque accru de MICI a été observé suite à un régime alimentaire riche en matière grasse, liée à une perméabilité intestinale accrue et une altération du microbiote intestinal (Pendyala, 2012).
Protéines   Des apports élevés en protéines de différentes sources (viande rouge, poisson, œuf, lait, noix) seraient un facteur de risque de MICI. Les mécanismes impliqués restent non élucidés. Certains métabolites issus de la fermentation des protéines (ammoniac, sulfides totaux) semblent retrouvés en quantité plus élevée chez les patients souffrant de rectocolite hémorragique comparé aux sujets sains (Gilbert, 2018).
Glucides et fibres alimentaires De faibles apports en fibres alimentaires sont associés à une incidence plus élevée de MICI. Les fibres subissent une fermentation colique ce qui promeut une diversité bactérienne, préserve la barrière muqueuse de l’intestin et induit la formation d’acides gras à chaines courtes qui, à leur tour modulent positivement l’homéostasie intestinale et réduisent l’inflammation (Christl, 1996). Des observations réalisées chez l’homme, montrent que la malabsorption du fructose et l’intolérance au lactose sont associées à la survenue de MICI.
Chez l’animal, des apports en glucides élevés favorisent la dysbiose (Martinez-Medina, 2014; Barrett, 2009).
Tableau 1 : Synthèse des connaissances sur l’influence de divers nutriments sur les maladies chroniques de l’intestin

Pas de modèle alimentaire universel à recommander aux patients souffrant de MICI

L’influence de divers régimes alimentaires sur les MICI fait l’objet d’un intérêt important. En effet, l’alimentation, en tant que facteur environnemental facilement modifiable, pourrait constituer un levier potentiel de prévention ou de traitement des maladies chroniques inflammatoires de l’intestin (Tableau 2). L’analyse des publications de la dernière décennie à ce sujet ne permet pas d’identifier, à l’heure actuelle, de régime alimentaire efficace pour tous les patients atteints de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique.

Régime alimentaire Description

Efficacité et influence sur le microbiote intestinal

Régime spécifique en glucides (SCD) Exclusion des glucides complexes, basée sur l’hypothèse que lorsqu’ils atteignent le côlon, ces nutriments ne sont pas digérés et provoquent une fermentation et une prolifération de bactéries et de levures, faisant évoluer le microbiote vers un profil pro-inflammatoire ce qui induirait des MICI. Les glucides simples (mono-saccharides) sont, au contraire, inclus. Manque de données solides, en particulier chez l’adulte, permettant de démontrer l’efficacité du régime spécifique en glucides.

Des études prospectives cas-témoins sont nécessaires pour comprendre de manière exhaustive l’influence de ce régime sur le microbiote. (Weber, 2019).

Aliments exclus : lait, produits céréaliers, fromages à pâte molle et édulcorants hors miel. 

Aliments autorisés : viandes non transformées, la plupart des légumes et fruits frais, toutes les graisses et huiles, les fromages affinés et les yaourts sans lactose.
Régime FODMAP Comme pour le régime spécifique en glucides, le régime FODMAP repose sur le principe que les glucides mal absorbés peuvent entraîner une dysbiose du gros intestin, une inflammation, une fermentation, une sécrétion d’eau et une distension de la lumière intestinale. La seule différence avec le SCD est que, dans le régime FODMAP, la consommation de monosaccharides est également découragée.  Les effets de ce régime sur l’inflammation sous-jacente restent mal connus, même s’il est actuellement admis de suivre ce régime pour traiter les symptômes du côlon irritable chez les patients atteints de MICI. (Weber, 2019).
Aliments interdits : produits laitiers riches en lactose, consommation excessive de légumes/fruits riches en fructanes/galactanes et polyols.

Aliments autorisés : Aliments à faible teneur en FODMAPs tels que les produits laitiers sans lactose, les légumes à faible teneur en fructanes et galactanes et les aliments à faible teneur en fructose.
Régime sans gluten Aliments autorisés : aliments céréaliers sans gluten (à base de maïs et de riz), volaille ou viande fraîche, fruits, légumes et produits laitiers.  Les bénéfices de ce régime sont bien établis pour les malades souffrant de maladie cœliaque, impliquant l’élimination de la gliadine. Il a également montré son intérêt chez les sujets souffrant d’une sensibilité au gluten non cœliaque. En revanche, les avantages de ce régime sont moins clairs pour les patients atteints de MICI (Weber, 2019).
 Tableau 2 : Synthèse des connaissances sur l’influence de divers modèles alimentaires vis-à-vis des maladies inflammatoires de l’intestin

Considérant ces résultats, les auteurs soulignent la pertinence de chercher à moduler la composition et le métabolisme du microbiote intestinal par une approche nutritionnelle afin de contrôler la maladie. Cependant, considérant les connaissances encore fragmentaires et la variation interindividuelle forte observée, ils soulignent également la difficulté de la tâche. In fine, il s’agirait d’obtenir la rémission de la maladie et, éventuellement, de maintenir une homéostasie optimale et de prévenir toute rechute grâce à un régime spécifique et individualisé. Afin de faire avancer cette stratégie thérapeutique, les auteurs soulignent, ainsi, le besoin d’études cliniques appropriées, bien conçues et ciblées afin d’approfondir les corrélations observées.

Basé sur : Mentella MC, et al. Nutrition, IBD and Gut Microbiota: A Review. Nutrients. 2020;12(4):944.

Les maladies chroniques inflammatoires de l’intestin

Les maladies inflammatoires de l’intestin – MICI – sont un ensemble hétérogène de pathologies affectant le système digestif. Regroupant deux principales manifestations – la maladie de Crohn et la recto-colite hémorragique- ces maladies sont en augmentation dans le monde entier. Elles toucheraient 3 millions de personnes aux Etats-Unis (1,3% de la population), près de 200 000 personnes en France (Veauthier, 2018; Dahlhamer, 2016, Registre EPIMAD).
Bien que l’implication du système immunitaire et de prédispositions génétiques soient clairement identifiées, les causes exactes de ces maladies restent encore mal comprises. Elles passeraient par une interaction entre des facteurs génétiques, une dysrégulation immunitaire et des déclencheurs environnementaux (Dixon, 2015; Leone, 2013). Au-delà de la situation géographique, les facteurs environnementaux identifiés sont principalement l’alimentation, le tabagisme, la consommation d’’alcool et de médicaments (Molodecky, 2012).

Messages clés
  • Les connaissances actuelles ne permettent pas de soutenir la recommandation d’un modèle alimentaire spécifique vis à vis des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
  • Avant de faire des recommandations nutritionnelles à un patient, l’évaluation de sa dysbiose devrait devenir une approche clinique standard, permettant une approche thérapeutique personnalisée
  • Afin d’éclairer les corrélations entre nutriments et microbiote, des études cliniques spécifiques bien conçues sont nécessaires.
Méthodologie
Références
Retour Voir l'article suivant