La consommation de fruits & légumes dans le monde

Obésité, la conséquence d’un Tsunami environnemental

Depuis la fin des années 70, l’obésité connaît aux USA (et dans le monde) une croissance exponentielle, au point de concerner aujourd’hui 2 Américains sur 3. Une épidémie qui s’accélère puisque, rien qu’entre 2000 et 2005, le nombre d’obèses dont l’IMC dépasse 50 a augmenté de 75% !

30 ans auront suffi pour que la planète devienne obèse…Que s’est il passé pour en arriver là ? Il est peu probable que l’espèce humaine ait changé sa génétique ou sa physiologie en si peu de temps… Si la raison n’est pas dans l’Homme, elle tient sans doute à son environnement… En 30 ans, deux domaines ont connu des bouleversements majeurs : l’alimentation et l’activité physique. Dans un remarquable article, le docteur Deborah Cohen, du département de la santé de Santa Monica, analyse l’influence de ces changements d’environnement sur le comportement humain et tente d’évaluer leur responsabilité sur la progression de l’obésité dans le monde.

La “Révolution verte” et ses conséquences

Le monde alimentaire a connu une véritable révolution avec deux composantes essentielles : d’un coté, une explosion de l’offre et de la disponibilité alimentaire, de l’autre, la baisse du coût des aliments. La “Révolution verte” des 30 dernières années a abouti à une augmentation de la productivité des céréales, du riz, du blé et du maïs. Avec la multiplication des variétés, des techniques de culture et de fertilisation, les rendements agricoles se sont accrus : pour le riz, ils sont passés de 4 tonnes/ha à 10 tonnes/ha en 30 ans. On a raccourci la durée de maturation de 150-180 jours à 110 jours ce qui a permis d’établir 2 cycles de culture par an au lieu d’un. Principal résultat de cet accroissement de la productivité agricole : une baisse des coûts. Aujourd’hui, on paye le riz 40% moins cher que dans les années 60. La plupart des aliments ont suivi cette évolution : en 2006, les Américains ne consacraient plus que 10% de leurs revenus à l’alimentation contre 15% 40 ans plus tôt. En parallèle, on a assisté à un doublement de la consommation d’aliments préparés en dehors du foyer.

Une explosion de l’accessibilité à la nourriture

Entre les années 70 et 80, la disponibilité alimentaire par personne a augmenté de 15%, avec un record pour celle des hydrates de carbone qui s’est accrue de 27%.

Autre changement majeur dans la société : l’explosion de l’accessibilité à la nourriture. Entre 1986 et 1996, le nombre de commerces d’alimentation a augmenté de 78%, celui des fast food de 85% et celui des établissements de restauration de 62% ! Sans compter la multiplication des ventes d’aliments industriels, riches en sucres et en graisses, dans des lieux qui n’y sont pas destinés : stations services, entreprises, magasins de vêtements, etc.

Autre bouleversement : l’explosion de la taille des portions. Les boissons de 35 cl puis 60 cl ont remplacé celles de 25…. Les restaurateurs servent aujourd’hui des portions 2 à 5 fois supérieures aux besoins d’équilibre énergétique des individus. La taille des supermarchés et des entrepôts alimentaires a également augmenté. A présent, on n’achète plus dans des petits commerces mais dans des grandes surfaces offrant aux consommateurs une multitude de produits et de marques, qui ont, en réalité, une grande similitude en terme de composition nutritionnelle… Aux USA les industriels sortent 10 000 produits “nouveaux” chaque année, qui ne diffèrent la plupart du temps que par des changements mineurs de saveur et de texture et ont la même composition en sucres et en graisses…

De la neurophysiologie au marketing…

Cette mutation profonde de l’environnement alimentaire est elle directement responsable de la surconsommation des individus ? Non. C’est par de multiples mécanismes (intéressant la neurophysiologie, le comportement économique, la psychologie sociale et le marketing….) que l’environnement nutritionnel influence notre comportement et conduit à une surconsommation, souvent incontrôlée et inconsciente…

En réaction à divers stimuli, en particulier les aliments et les images de nourriture, la neuro-imagerie montre que le cerveau secrète de la dopamine, un neurotransmetteur qui régule l’envie, l’appétit et la motivation. Cette réponse cérébrale est automatique, non consciente et incontrôlable. La nourriture et ses multiples représentations existantes dans l’environnement peuvent ainsi stimuler l’envie de manger. A plus large échelle, on peut se demander si l’omniprésence de la publicité alimentaire n’agit pas comme un stimulus artificiel de la faim poussant les individus à consommer encore et encore… Si l’on prend conscience que ce stimulus est artificiel, il est possible de ne pas en tenir compte. Quand on n’en est pas conscient et qu’on le perçoit comme un réel besoin de manger, c’est plus difficile ! Or, la plupart des gens ont très peu conscience de l’influence que peut avoir l’environnement sur leur comportement. Ainsi, dans un supermarché, 65% des décisions d’achats sont prises à l’intérieur du magasin, directement dans les rayons et 50% sont totalement imprévues et se font devant les présentoirs, en dehors de tout contrôle…

Des mangeurs inconscients

Nous sommes parfois soumis à des influences très subtiles. Ainsi, les signaux subliminaux sont des flashs visuels trop brefs pour être perçus par la conscience mais qui entraînent une réaction des sujets qui y sont exposés. Dans une expérience, on a soumis un groupe de sujets à des images subliminales représentant des visages avec 3 types d’expression (renfrognée, neutre et souriante) masquée par des photos d’hommes et de femmes. On leur a ensuite demandé de se servir une boisson énergétique, de la gouter et de l’évaluer. Les sujets qui avaient été exposés au visage renfrogné se sont le moins servi et ont attribué à la boisson les notes les plus faibles. A l’inverse, ceux qui avaient été confrontés à un visage souriant ont consommé le plus et ont le mieux noté la boisson… Aucune différence d’humeur ou de stimulation n’a été notée entre les trois groupes de sujets. Ainsi, on a influencé les individus à consommer diverses quantités d’une même boisson sans qu’ils en soient conscients…

Parmi les multiples influences inconscientes auxquelles nous sommes soumis quand nous mangeons, on trouve… la musique.

Une expérience Britannique a montré que, quand un restaurant passe un fond sonore de musique classique, les clients consomment plus (en terme d’addition) et passent plus de temps à prendre l’apéritif et le café. La musique classique créerait une ambiance “haut de gamme” incitant au bien être et à la consommation.

Nous discernons mal les processus qui gouvernent nos décisions

Dans la vie, les êtres humains font toutes sortes de choses sans en avoir conscience. On peut marcher sans penser à ses pieds et faire des tas de choses en marchant. En cas d’obstacle, on ajuste son pas sans réfléchir et ce n’est qu’après qu’on se rend compte qu’on a fait ce qu’il fallait avec ses pieds. En d’autres termes, l’activité motrice commence avant même la prise de conscience de cette activité. Pourtant bien des gens ont l’illusion qu’ils ont un contrôle direct et volontaire sur leur comportement…
On a récemment développé la théorie des “neurones miroirs”pour expliquer le mécanisme par lequel les individus répondent automatiquement à des stimuli environnementaux et imitent les autres. Non seulement, les gens sont capables de mimer inconsciemment toutes sortes de comportements mais ils peuvent même adopter les préférences des autres personnes.

En général, il faut admettre que nous discernons mal les processus qui gouvernent nos décisions. Quand il s’agit de choisir des aliments et de manger, de nombreux facteurs jouent un rôle plus important que les choix rationnels : la distraction, l’excès d’information, le contexte, la fatigue, le stress, les odeurs, l’ambiance… Dans une situation donnée, évaluations et jugements se font instantanément et ce n’est qu’après que les gens se fabriquent une raison pour justifier leur comportement.

L’obésité s’installe de manière insidieuse, gramme par gramme, kilo par kilo…. Ainsi, un excès énergétique quotidien minime de 20 kcals conduit à une prise d’environ 1kg par an en moyenne…. Ces apports infimes sont presque impossibles à détecter, surtout quand on vit dans un environnement de profusion alimentaire.

Et puis il y a le marketing ! Des techniques permettant de mesurer l’intensité de la fixation du regard, montrent, en gros, que « Plus quelque chose se voit, plus il se vend »… Les marketeurs s’en servent régulièrement pour améliorer l’impact de leurs produits.

Le “branding” est une autre technique utilisée en marketing, qui vise à créer une identité de marque et un conditionnement qui associe dans l’esprit du consommateur des qualités recherchées à un produit spécifique. Tous ces mécanismes expliquent pourquoi il est si difficile de résister à un choix dont on n’a pas conscience qu’il nous est imposé…

30 secondes de marche en moins… et des kilos en plus !

A coté des ces facteurs d’environnement alimentaire, la réduction des dépenses énergétiques est le second grand bouleversement qui a accompagné la progression de l’obésité. Avec les progrès et la recherche constante de la facilité, la quantité d’énergie dépensée par l’homme pour survivre s’est considérablement réduite au cours des siècles. Et elle continue de le faire…

Cependant, suivre en permanence l’activité physique de la population est très difficile. Même les grandes études ne peuvent pas détecter des changements subtils. Si les métiers sédentaires existaient bien avant l’épidémie d’obésité, ils le sont devenus encore plus depuis les années 80 et 90 avec l’explosion de l’informatique et d’Internet. Il est plus facile d’envoyer un mail à un collègue de bureau que de marcher 30 secondes pour aller lui poser une question. Pour un sujet de 7O kg, la quantité d’énergie représentée par ces 30 secondes de marche économisées semble négligeable (1,75 kcal). Si cela se reproduit 6 fois par jour, cela fait une dizaine de calories qui ne sont pas brûlées dans la journée, soit au final une accumulation potentielle de 450 grammes sur l’année… En réalité, tout concourt dans la société à nous faire économiser de l’énergie : tondeuses à gazon autoportées, portes de garage télécommandées, arrosages automatiques etc. Tous ces changements cumulés sont impossibles à évaluer et échappent à tout contrôle possible.
L’autre difficulté pour évaluer l’activité physique est qu’elle est souvent surestimée par les sujets qu’on étudie. Ainsi, dans l’étude américaine CDC BRFSS (« Système de surveillance des facteurs de risques comportementaux ») 49,1 % des adultes américains déclarent pratiquer les 30 mn d’activité physique recommandées 5 fois par semaine. Bravo. Sauf quand dans une autre étude (NHANES) on a réellement mesuré l’activité physique de plus de 6000 participants à l’aide de podomètres. Résultat : moins de 5% des adultes atteignent ces objectifs… Conclusion : il est sans doute aussi difficile d’avoir conscience de son niveau d’activité physique que de son comportement alimentaire

Des réponses automatiques et incontrôlables à l’environnement

Le comportement alimentaire et l’activité physique ont longtemps été considérés comme dépendants de choix conscients. On pourrait croire que nous sommes des acteurs rationnels de nos décisions, guidés par notre intérêt et maîtres de ce que nous faisons. La plupart des gens ne veulent pas devenir obèses et ne désirent pas manger au-delà de leurs besoins. C’est pourtant ce qu’ils font… Le vrai problème, c’est qu’ils ne sont pas capables d’exercer un contrôle soutenu de leurs apports alimentaires.

L’obésité progresse dans toutes les couches de la société. Ce n’est donc pas uniquement un problème de classe sociale ou de revenus. Manger en excès et devenir sédentaire ne sont pas des choix de vie conscients mais plutôt des réponses automatiques et incontrôlables à un environnement dont on a du mal à évaluer l’impact… Modifier la présentation des aliments ou la taille des portions influence directement la consommation alimentaire. D’un autre coté, multiplier, dans l’environnement, des stimuli comme la promotion des escaliers ou de la marche conduit à augmenter son activité physique. C’est par de tels mécanismes qu’on peut expliquer les liens inconscients qui existent entre l’environnement et le comportement.

Trouver des réponses plus adaptées

Dans cette perspective, plutôt que de considérer l’épidémie d’obésité comme la conséquence d’un manque collectif de volonté et de self contrôle, il serait plus judicieux de la voir comme une réponse des individus à des pressions de leur environnement. En 30 ans, il s’est produit un véritable “tsunami environnemental” qui fait qu’aujourd’hui une multitude de signaux et de stimuli artificiels poussent les individus à surconsommer et à être de plus en plus sédentaires. On peut ironiser en disant que, jusqu’à présent, la réponse de la société à ce tsunami a été de donner des cours de natation… Une telle solution n’est pas à la hauteur de la menace. Les gens ne peuvent pas modifier leur réponse à des signaux qu’ils ne perçoivent pas.

Si on ne cherche pas à trouver des réponses plus adaptées, il y a des chances que l’épidémie continue.

Alors que faire ? Se focaliser sur les forces à l’origine de ce tsunami pour mieux les contrôler et les réduire ; modifier les signaux auxquels nous sommes quotidiennement confrontés et rendre plus explicites ceux que nous ne pouvons pas changer. Alors, peut être serons nous capables de tirer profit de nos “leçons de natation” et de retrouver un véritable équilibre énergétique

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE

D.A. COHEN, International Journal of Obesity, (2008), 32, S137-S142 “Obesity and the built environment: changes in environmental cues cause energy imbalances”

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