L’ENFANCE : une période critique du développement des habitudes alimentaires

PRÉFÉRENCES ALIMENTAIRES POUR LES LÉGUMES À L’ÂGE ADULTE

TOUT SE JOUE ENTRE 2 ET 3 ANS

C’est bien connu : les enfants ne sont pas des amateurs de légumes.
Pourtant ces végétaux font naturellement partie du répertoire alimentaire
des (certains!) adultes… Que sait on de l’évolution de la consommation de légumes entre l’enfance et l’âge adulte ?

Que choisissent les gastronomes en herbe ?

Une expérience a été menée entre 1982 et 1999, dans une crèche de Dijon, en France. On a offert un « buffet » au repas du déjeuner, à des enfants âgés de 2 à 3 ans (Nicklaus et al., 2005a; b). Dans cet environnement inhabituel, ils pouvaient choisir librement leur alimentation entre deux entrées (souvent une salade de crudités), un plat à base de protéines (viande, poisson ou oeuf), deux accompagnements (le plus souvent un féculent et un légume), deux variétés de fromage et du pain. Les desserts n’étaient pas proposés au repas de midi mais au goûter, l’après midi. Les enfants pouvaient manger à volonté, à condition qu’ils finissent leur assiette avant de se resservir. S’ils n’avaient pas faim, ils n’étaient pas obligés de manger. Des assistants de crèche, formés pour cela, ont noté leur choix alimentaires. Les 418 enfants de cette étude ont participé à 109 (± 48) repas en moyenne où 117 (±19) aliments différents leur ont été proposés.

La petite enfance : pas le bon moment pour les légumes !

Les aliments les plus fréquemment choisis étaient : les produits animaux – excepté le poisson froid – (top 4: saucisse, poisson pané, jambon, saucisson), les féculents (top 4: frites, pâtes, riz, couscous) et les plats composés de produits animaux et de féculents comme les tartes salées, les soufflés au fromage et les quiches. Les dix aliments les moins choisis étaient tous… des légumes : laitue braisée, chicorée à la vapeur, salade de chicorée, salade de choux-fleurs, poireaux vinaigrette, salade de choux rouge, ratatouille, choux vert, choux de Bruxelles et tomates au four.

On peut s’interroger sur les raisons d’un tel refus des légumes…. Chez les jeunes enfants, la composition des aliments peut être un fort déterminant du choix.
En général, les aliments hautement caloriques sont souvent choisis, ainsi que les aliments riches en protéines.
Des propriétés sensorielles pourraient également expliquer les choix : les aliments à goût prononcé (arômes développés, acidité et amertume) ou à texture fibreuse sont souvent évités. Ainsi, dans le cas des légumes, leur faible teneur calorique ainsi que des propriétés sensorielles parfois ressenties comme déplaisantes (amertume, texture) pourraient expliquer leur rejet par les tous petits.

Entre 2 et 3 ans : une période cruciale

Entre 2001 et 2002, des enfants dont les choix alimentaires avaient été notés à l’âge de 2-3 ans, ont été suivis, afin d’évaluer : leurs préférences alimentaires actuelles, la variété de leur répertoire alimentaire et leur néophobie alimentaire (Nicklaus et al, 2004; 2005c).
Ils étaient alors âgés de 4 à 22 ans. Nous avons évalué si leurs préférences alimentaires actuelles étaient reliées à
leurs choix alimentaires à l’âge de 2-3 ans ou à leur âge actuel, en prenant en considération des différences potentielles dues au sexe.

Quel que soit le groupe alimentaire considéré (protéines, légumes, féculents, fromages, plats composés), le choix alimentaire à l’âge de 2 ou 3 ans prédit de façon
significative les préférences alimentaires actuelles pour le même groupe. Cependant, pour les légumes, cette relation était vérifiée pour les filles mais pas pour les garçons. Cependant ; dans les deux sexes, la préférence pour les légumes a augmenté régulièrement avec l’âge et ce phénomène a été observé pour : les betteraves, les carottes, les concombres, la chicorée, les tomates, la ratatouille, la choucroute, les choux-fleurs, les choux de Bruxelles, les épinards, les navets, les poireaux et les petits pois. De plus, nous avons mis en évidence que, dans les deux sexes, la variété des légumes choisis durant le buffet de la garderie à l’âge de 2-3 ans prédisait de façon significative la variété de légumes consommés actuellement.

Cette étude souligne que :

  • la consommation précoce de légumes est déterminante pour la préférence future,
  • cette préférence pour les légumes est partiellement déterminée à l’âge de 2-3 ans et augmente avec l’âge (par des mécanismes non étudiés dans cette enquête).
    Les légumes dont les préférences augmentent avec l’âge sont relativement fréquents dans le répertoire français, et ils ont été proposés de façon répétée durant toute l’enfance. Ils deviennent ainsi mieux acceptés après des expositions répétées (voir article de L. Cooke pour une meilleure compréhension du rôle de l’exposition sur les préférences pour les légumes).

Le rôle des parents est central

Nous avons ainsi montré qu’il existe un lien entre la consommation et l’ampleur du choix des légumes dans la petite enfance et les préférences pour certains légumes aux stades ultérieurs de la vie. Cependant, les légumes les plus amers ou les plus fibreux ne sont pas souvent choisis par les tous petits ; ils sont évités la plupart du temps. L’acceptation à cet age pourrait dépendre d’une exposition précédente aux légumes, par exemple à l’âge où les enfants ont commencé à consommer des aliments autres que le lait (voir article de J. Mennella pour une meilleure compréhension du rôle de l’exposition précoce au goût des légumes). Quoiqu’il en soit, le rôle des parents est primordial dans l’offre constante d’une alimentation variée et saine durant toute l’enfance et dans le modelage de la consommation d’aliments sains.

Sophie Nicklaus
Unité Mixte de Recherche INRA-ENESAD. Dijon, FRANCE
  • Nicklaus, S. et al (2004). Food Quality and Preference, 15(7-8), 805-818.
  • Nicklaus, S. et al (2005a). Acta Pædiatrica, 94(7), 943-951.
  • Nicklaus, S. et al (2005b). Acta Pædiatrica, 94(8), 1023-1029.
  • Nicklaus, S. et al (2005c). Appetite, 44(3), 289-297.
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