L’ENFANCE : une période critique du développement des habitudes alimentaires

VERS UN NOUVEAU RETOUR DU VÉGÉTAL ?

L’histoire des aliments végétaux est caractérisée par l’alternance de périodes au cours desquelles ces produits furent valorisés ou, au contraire, dédaignés.

LA MAÎTRISE DE L’HOMME SUR LA NATURE

La Grèce et la Rome antiques peuvent être qualifiées de “civilisations du végétal”. En temps ordinaire, l’alimentation des riches, comme des pauvres, accordait une place prépondérante aux céréales (galettes, pain, bouillies), légumes, légumes secs, fruits… sans oublier les olives et leur huile aux usages multiples (alimentation et cuisson, mais aussi conservation des denrées, éclairage, rites religieux). Cette alimentation végétale et frugale (la viande et les excès étaient réservés aux jours de fête) constituait un marqueur identitaire, le signe distinctif de sociétés qui se considéraient comme “civilisées” par opposition aux peuples barbares “mangeurs de viande et buveurs de lait” (Jules César). Les légumes figuraient au premier rang des aliments “civilisés” : ils étaient en effet issus de l’hortus, un espace de dimension réduite, objet de soins très attentifs et où s’exprimait pleinement la maîtrise de l’homme sur la nature.

PLUS DE 1000 ANS DE MÉPRIS POUR LES LÉGUMES …

A partir du début du Moyen-âge (fin du Ve siècle), un premier renversement se produit. Les végétaux, et plus particulièrement les légumes, commencent à être dédaignés par les nobles qui leur préfèrent la viande, symbole de leur puissance. Ce mépris pour les légumes s’amplifie et durera… plus de 1000 ans ! Il peut, pour partie, être expliqué par la vision du monde qui avait cours à l’époque. Il existait en effet une hiérarchie des aliments qui, elle-même, résultait de la hiérarchie des quatre éléments constitutifs de l’univers : l’élément le plus valorisé était le feu ; venaient ensuite l’air (séjour de Dieu et des anges), puis l’eau et, enfin, la terre (domaine du Malin). Issus de la terre, l’élément le moins noble de tous, les légumes ne pouvaient convenir aux nobles et étaient “abandonnés” aux paysans et aux pauvres. Le dédain était particulièrement marqué vis-à-vis des “bulbes” (ail, oignon, poireau) et, dans une moindre mesure, des “racines” (navets, raves, panais)… dont la partie consommée est souterraine. Un peu mieux considérés étaient les légumes dont les feuilles (la partie consommée) partent de la racine (salade, épinard) ou, mieux, de la tige (chou). A contrario, parce qu’ils sont entièrement au contact de l’air, les fruits et les grains de céréales bénéficiaient d’un statut supérieur ; leur position “haute” les destinait “naturellement” à être consommés par les personnes de rang “élevé”. A la hiérarchie des aliments répondait la hiérarchie sociale…

LA RENAISSANCE DES LÉGUMES

Un premier retour en force des légumes se produit à la Renaissance : la fascination pour l’Italie, dont les élites sont alors grandes consommatrices d’artichauts, d’asperges…, contribue à cette réhabilitation. Celle-ci s’amplifie avec l’intérêt que leur porteront certains cuisiniers au XVIIe siècle. Au Siècle des Lumières, le “retour à la Nature” prôné par Rousseau jouera aussi en faveur de ces produits.

A partir du XIXe siècle, le développement industriel se traduit par une augmentation continue du pouvoir d’achat et une diminution du prix relatif des aliments. Les classes moyennes, puis les ménages modestes, accèdent progressivement aux aliments “nobles” : la viande et les autres produits animaux, dont la part dans la ration ne cesse de croître. Parallèlement, les végétaux diminuent avec, notamment, une chute spectaculaire des céréales et des légumes secs. Les années 1960/70 voient l’irruption massive des produits transformés qui concurrencent fortement les produits frais, entre autres les fruits et les légumes.

L’AMORCE D’UN NOUVEAU RETOUR DU VÉGÉTAL DANS LES ASSIETTES

Aujourd’hui, la consommation des céréales, légumes secs et, plus encore, des fruits et des légumes a atteint des niveaux qui inquiètent les responsables de santé publique. Pourtant, une inversion de tendance est possible : en effet, un nombre croissant de nos concitoyens redécouvre les bienfaits du végétal.

De nombreux facteurs concourent à ce nouveau regard. Parmi eux figure l’attention que les Français portent aujourd’hui à leur santé. Les recommandations du corps médical et des pouvoirs publics soulignent l’importance d’une consommation élevée de fruits et de légumes, d’une hausse des fibres dans la ration, d’une réhabilitation des céréales et légumes secs dans l’assiette. L’idéal du corps svelte peut également constituer une motivation puissante en faveur des produits végétaux, à faible densité énergétique. Par ailleurs, les fruits et les légumes sont souvent associés, dans les représentations “spontanées”, à la légèreté et la pureté, deux valeurs montantes de notre société contemporaine. L’engouement pour les cuisines et les aliments des cultures étrangères constitue un autre facteur favorable : nombre de “cuisines du monde” se caractérisent par l’importance qu’elles accordent aux produits végétaux… à l’instar des fameux régimes “crétois” et “méditerranéen”.

Atout supplémentaire : à la différence des produits d’origine animale, les végétaux sont perçus comme rassurants. Les crises alimentaires ont en effet surtout affecté la viande (veau aux hormones, vache folle, fièvre aphteuse), les charcuteries, oeufs ou fromages au lait cru (listeria, salmonelles) ou encore la volaille (poulets à la dioxine, grippe aviaire).

Les fruits et les légumes frais bénéficient tout particulièrement de cette image “sécurisante”. Ils sont souvent perçus comme des produits “proches” qui, à la différence des aliments industriels, n’ont pas été dénaturés par leur passage dans une entreprise de transformation. Ces attributs de proximité, d’authenticité et de naturalité qui leur sont spontanément associés constituent un de leurs atouts majeurs pour la reconquête de nos assiettes.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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