LES DÉFIS DE L’OBÉSITÉ INFANTILE : Plaidoyer pour une alimentation équilibrée ou peine perdue ?

Quand le goût vient aux enfants

PRÉFÉRENCES ALIMENTAIRES ET DIFFÉRENCES SELON L’ÂGE ET LE SEXE

Chez les enfants, les choix alimentaires sont principalement déterminés par le goût des aliments, c’est-à-dire par les préférences ou les rejets sensoriels. En d’autres termes, les enfants mangent ce qu’ils aiment. Des études ont d’ailleurs montré que l’on pouvait prédire de façon assez juste la quantité consommée par un enfant en connaissant son degré d’appréciation de l’aliment considéré. Tel n’est pas le cas chez les adultes, dont les choix alimentaires peuvent faire intervenir de nombreux autres critères : le prix et/ou la praticité du produit, son niveau (réel ou perçu) de sécurité sanitaire, sa valeur “santé”, ses dimensions symboliques (prestige social, dimension affective…), etc.

Les chercheurs se penchent sur les assiettes

Des recherches ont été conduites en vue d’identifier les aliments ou types de produits appréciés par les enfants et, a contrario, ceux qui étaient rejetés. Les premières études ont été menées aux Etats-Unis, dès les années 1930. En 1985, C. Fischler et M. Chiva ont demandé à 321 enfants français appartenant à trois classes d’âge (4-7 ans, 11-14 ans et 17-18 ans) de donner leur appréciation concernant 96 aliments.

Dans un travail récent, Cooke et Wardle(1) ont étudié les préférences alimentaires et les différences en fonction du sexe et de l’âge chez 1 300 enfants âgés de 4 à 16 ans et scolarisés à Londres. Avec l’aide de leurs enseignants, les écoliers et collégiens ont été invités à remplir un questionnaire prenant en compte 115 produits : des aliments simples tels que les pommes, des produits élaborés (lasagnes par exemple) et des aliments d’accompagnement (condiments, confiture…). Pour chaque aliment, les répondants devaient indiquer s’ils l’avaient déjà goûté et, dans l’affirmative, quelle était leur appréciation (plusieurs réponses étaient proposées, allant de “je déteste” à “j’adore”).

La néophobie a la “dent dure”

Premier résultat de cette étude : le nombre d’aliments consommés, ou tout au moins “essayés”, augmente lorsque l’enfant grandit (il passe de 90 chez les plus jeunes à 105 chez les plus âgés). De même, le nombre d’aliments appréciés augmente avec l’âge… mais lorsqu’on le rapporte au nombre d’aliments essayés ou consommés, le résultat est inverse : la proportion de produits appréciés diminue ! Cela signifie que parmi les nouveaux aliments progressivement introduits dans le répertoire alimentaire de l’enfant, ceux qui ne sont pas aimés sont plus nombreux que ceux qui sont appréciés. Les auteurs soulignent par ailleurs qu’il n’existe pas de différence significative entre filles et garçons : seul varie le nombre d’aliments rejetés, plus élevé chez les garçons. Ce résultat conduit à nuancer l’affirmation selon laquelle, lorsque l’enfant grandit, son aversion pour les aliments nouveaux (néophobie) diminue sensiblement. En revanche, les données recueillies par Cooke et Wardle vont dans le sens de nombreuses études épidémiologiques qui montrent que les habitudes alimentaires des enfants sont relativement stables au cours du temps, et ont même tendance à se dégrader d’un point de vue nutritionnel (notamment en ce qui concerne la consommation de fruits et de légumes).

Les frites, le chocolat et les gâteaux…

S’agissant de la nature des aliments préférés ou détestés, les résultats de cette étude britannique confirment, dans les grandes lignes, ceux des enquêtes réalisées dans d’autres pays d’Europe et aux Etats-Unis.

Partout, les enfants manifestent une nette préférence pour les produits sucrés et/ou gras, les aliments nourrissants (féculents), certaines viandes (poulet) ou fruits (fraises). Dans le “top 10” des aliments préférés par les petits londoniens, figurent les frites, le chocolat, les gâteaux et les glaces. C’est-à-dire des aliments de faible qualité nutritionnelle et à forte densité calorique ! Les rejets les plus fréquents concernent les légumes, les abats, les fromages forts ainsi que d’autres produits au goût ou à l’odeur très prononcés. Ces observations sont conformes à ce que l’on connaît des prédispositions innées chez l’espèce humaine : le goût pour le sucré et les produits à forte densité énergétique, l’aversion pour l’amer et l’acide.

Comme les travaux antérieurs, la recherche de Cooke et Wardle fait apparaître peu de différences entre filles et garçons. On notera toutefois que les fruits et les légumes sont davantage préférés par les filles, tandis que les garçons apprécient davantage les produits gras et sucrés, la viande, les charcuteries et les oeufs. La variable âge joue pour les fruits et les produits gras et/ou sucrés, qui atteignent un pic de préférence à 8-11 ans. De même, l’attrait pour le poisson et les produits laitiers est maximal chez les plus jeunes et décline ensuite.

Le manque d’attrait des enfants pour les légumes n’est pas une fatalité

Des expériences ont montré que l’on pouvait diminuer, voire même surmonter, la néophobie de l’enfant (le refus de tout aliment nouveau) en le faisant participer à la préparation du repas. Et, encore plus, en lui donnant l’occasion (lorsque cela est possible) de cultiver et de récolter lui-même l’aliment. Ces apprentissages permettent de créer un “premier contact” entre l’enfant et la nourriture. De tels préalables facilitent la décision qui consiste à accepter d’introduire au-dedans de soi un “corps étranger”. Ce type de contact avec l’aliment (culture, cueillette, cuisine….) se révèle particulièrement efficace dans le cas des légumes : ceux-ci vont revêtir peu à peu un caractère familier et l’enfant finira par accepter de les goûter.

La familiarisation peut revêtir d’autres formes. De nombreux travaux ont ainsi montré qu’une exposition répétée dans le temps (l’enfant est simplement invité à “goûter” le légume qu’on lui présente) fait passer progressivement l’aliment du statut d’objet inconnu à celui d’objet connu. Dans la très grande majorité des cas, ce changement de perception renforce le goût pour le produit et augmente sa consommation. Cet impact positif de l’exposition répétée est encore plus rapide, élevé et durable si certaines conditions sont présentes : par exemple, l’association d’un féculent (rassasiant) au légume proposé, la manière positive dont les personnes réunies autour de la table parlent de l’aliment considéré, etc.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE

(1) “Age and gender differences in children’s food preferences.” Lucy J. Cooke and Jane Wardle. British Journal of Nutrition (2005), 93, 741-746.

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