Les besoins nutritionnels des enfants, repas scolaires ou paniers-repas ?

Un bon Cuisinier est à moitié Médecin!

Par cette phrase, écrite en 1547, Andrew Boorde, un médecin anglais, montre à quel point médecine et cuisine ont été, de tous temps, intimement liées. Dans de très nombreuses langues européennes (mais pas en français), l’étymologie rappelle la proximité originelle entre la médecine et la cuisine. C’est en effet le même mot – recipe en Anglais, rezept en allemand, receta en espagnol, ricetta en italien… – qui désigne à la fois l’ordonnance délivrée par le médecin et la recette du cuisinier ! Ce dernier mot vient du latin recepta, qui signifie… la « chose reçue ». Et si un bon médecin devait être aussi à moitié cuisinier ?

La conscience d’un lien étroit entre les aliments et la santé

Jour après jour, les médias se font l’écho des dernières avancées de la recherche qui mettent en évidence de nouveaux liens entre l’alimentation et des pathologies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, diabète de type 2, obésité…). Dans le même temps, ils diffusent un flux continu de messages dans lesquels l’alimentation se trouve placée au cœur des pratiques de prévention : « Pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour » ou « Evitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ».

Cette médiatisation des relations entre l’alimentation et la santé se nourrit aussi de la succession des crises alimentaires et de la montée des inquiétudes suscitées par les aliments « transformés », les OGM, l’obésité… Dans ce nouveau contexte, les industriels ont compris que le positionnement « santé » de leurs produits pouvait constituer une source de valeur ajoutée : allégations nutritionnelles et promesses de santé ont alors fleuri sur les packagings… Tous ces éléments n’ont fait qu’exacerber, chez nos concitoyens, la conscience d’un lien étroit entre les aliments et la santé.

Pour autant, cette conviction selon laquelle l’alimentation est un facteur majeur de santé n’est, en soi, pas nouvelle du tout ! Depuis l’Antiquité, toutes les sociétés ont construit des « systèmes diététiques », c’est-à-dire des prescriptions et des interdits alimentaires censés guérir, voire prévenir, tel ou tel trouble physique ou mental.

La diététique : une des 3 branches de la médecine

En Europe, depuis Hippocrate et jusqu’au XVII° siècle – c’est-à-dire pendant plus de 2000 ans ! – la diététique a constitué, aux côtés de la chirurgie et de la pharmacopée, une des trois branches de la médecine. L’explication est simple : l’efficacité des interventions chirurgicales étant limitée, de même que celle des remèdes issus de la nature (végétaux, extraits animaux, poudres minérales), les médecins ont vu dans l’alimentation le moyen le plus accessible et le moins risqué pour soigner leurs patients. Surtout, ils ont eu l’intuition qu’une « diète » adaptée pouvait réduire le risque de maladies, situations face auxquelles les praticiens d’autrefois se sentaient souvent bien démunis. La notion de prévention ne date pas d’aujourd’hui !

Jusqu’au siècle de Louis XIV, la diététique restera donc fondée sur la « physique » d’Aristote et sur les principes élaborés par les médecins de la Grèce antique. « De tes aliments, tu feras ta médecine », affirmait le premier d’entre eux, Hippocrate de Cos.

Des correspondances entre l’Univers, les                    « humeurs » et la matière

Leur socle théorique résidait dans l’établissement de correspondances entre les 4 éléments de l’Univers (le feu, l’air, l’eau, la terre), les 4 « humeurs » circulant dans l’organisme (la bile jaune ou colère, le sang, le phlegme ou lymphe, la bile noire ou mélancolie) et les 4 qualités de la matière (chaud, froid, sec, humide). La proportion relative des 4 humeurs détermine le « tempérament » de l’individu : celui-ci peut être colérique, sanguin, flegmatique ou encore mélancolique. C’est là qu’intervient l’alimentation : celle-ci doit conforter le tempérament de l’individu bien portant. Les aliments étant eux aussi classés en fonction des critères chaud, froid, sec et humide, les médecins médiévaux recommandent ainsi aux sujets « sanguins » de manger des volailles. Ces nourritures sont en effet chaudes et humides… comme le sont l’humeur « sang » et l’élément « air » dont ces oiseaux sont issus ! Mais parfois, une des 4 humeurs se trouve en trop grand excès : c’est là l’origine des maladies. Il faut alors recourir de nouveau aux aliments pour corriger ce déséquilibre marqué. Ainsi, le malade atteint de fièvres se voit conseiller de la salade, réputée pour sa grande « froideur » et « humidité », tandis que les épices, chaudes et sèches, lui seront interdites.

Quand les médecins prescrivaient des recettes de cuisine

Pendant plus de mille ans (jusqu’au XIVe siècle), aucun livre de cuisine ne sera rédigé dans toute l’Europe médiévale. En revanche, suivant en cela l’exemple de leurs prédécesseurs de l’Antiquité, les médecins du Moyen Âge décrivent dans leurs ouvrages les recettes des plats qu’ils conseillent à leurs patients pour les aider à recouvrer ou, simplement, à maintenir leur santé. Au XIe siècle, le Tacuinum Sanitatis (ou « tableau de santé ») – ouvrage écrit par un médecin arabe de Bagdad – présente de nombreux aliments et mets en précisant leurs intérêts et inconvénients pour la santé, ainsi que le type de personnes ou de conditions à qui ils conviennent plus particulièrement. `
« Un bon cuisinier est à moitié médecin » Les « maîtres queux » médiévaux ont toujours présents à l’esprit les bienfaits pour la santé des plats qu’ils élaborent. L’utilisation abondante des épices, afin de rendre les aliments plus digestes, en témoigne, de même que les modes de cuisson appliqués aux différents types de viande. Ainsi, par exemple, le bœuf et le porc salé sont bouillis car ils sont considérés comme des viandes « sèches »; à l’inverse, le mouton et le porc frais qui sont qualifiés de viandes « humides » sont rôtis, en vue d’extraire cet excès d’humidité préjudiciable à leur bonne digestion. Une autre illustration est l’habitude médiévale de consommer la plupart des fruits au début du repas. Ces derniers étaient considérés comme difficiles à digérer : les incorporer avant tous les autres aliments leur permettait de séjourner plus longtemps dans l’estomac, ce qui laissait à ce dernier le temps de bien faire son travail.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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