Nudges et comportements alimentaires

Catégories d’aliments concernées par la modélisation sociale des choix alimentaires dans des conditions de vie réelles

Le contexte social de l’alimentation a un effet profond sur les choix de consommation. Si la modélisation sociale – qui consiste à utiliser le comportement des autres comme guide pour une consommation appropriée – a été bien documentée pour la prise alimentaire, on en sait moins sur la modélisation sociale des choix alimentaires.

Le contexte social d’un repas exerce de multiples influences sur la prise alimentaire. La « facilitation sociale de l’alimentation » explique que la quantité de nourriture consommée augmente lorsque l’on mange avec des personnes familières par rapport à un repas pris seul. Les individus ajustent leur quantité de nourriture en fonction des quantités consommées par leurs commensaux. Ce phénomène, nommé « modélisation sociale » consiste à utiliser le comportement alimentaire des autres comme norme, par exemple pour la quantité de nourriture à consommer dans une situation. La modélisation sociale est très robuste et s’observe aussi bien chez les hommes que chez les femmes, lors de repas pris avec des partenaires familiers ou non, indépendamment du statut pondéral et de la faim.

Des études ont démontré que la modélisation sociale peut se produire également lorsque les participants observent la quantité de nourriture consommée par une personne qui les précède. Une norme de consommation peut être définie par des normes descriptives transmises indirectement, comme des emballages vides ou des messages de norme sociale rapportant les habitudes de consommation d’une majorité d’individus.

La modélisation des choix alimentaires intervient-elle dans la « vie réelle » ?

Si la modélisation sociale de la consommation alimentaire est bien établie, on connait moins son influence sur les choix alimentaires par manque de données. Parmi 69 études sur la modélisation sociale, seules 11 ont examiné la modélisation des choix alimentaires: 8 ont observé ce phénomène et 3 n’ont pas trouvé d’effet significatif. Les choix alimentaires pourraient être moins influencés par le comportement d’autrui car, outre la quantité de nourriture, les individus sont plus sûrs de ce qu’ils aiment.
En majorité, ces études ont été menées en laboratoire, ce qui pose la question de savoir si la modélisation des choix alimentaires se produit dans des situations de la « vie réelle » où les gens peuvent manger avec des personnes familières.

L’objectif de cette étude est de déterminer si la modélisation des choix alimentaires s’observe en contexte réel, dans une gamme de catégories d’aliments et si la familiarité avec la personne servant de modèle influence ses effets. Les auteurs ont mené une étude d’observation dans une cantine en libre-service d’un campus universitaire afin d’examiner si les choix alimentaires d’un individu étaient influencés par les choix de la personne qui le précède dans la file d’attente. Ils ont enregistré les choix de 546 sujets (333 hommes et 211 femmes) et ceux de la personne les précédant dans la file, le long d’un buffet linéaire.

Une analyse ciblée sur les entrées et les desserts

Pour le même prix, les clients pouvaient choisir 1 plat principal (poisson ou viande avec féculents et/ou légumes) et 2 plats supplémentaires (entrée et dessert, ou 2 entrées, ou 2 desserts). Les entrées ont été divisées en salades, entrées mixtes (par ex. avocat crevette mayonnaise) et entrées de viande froide. Les desserts étaient classés en fruits (fruits frais, salades de fruits, compotes), laitages et pâtisseries. Les auteurs ont ciblé leur analyse sur les entrées et les desserts qui offrent une plus grande diversité de choix que les plats principaux. Les choix de chacun étaient enregistrés par deux expérimentateurs placés derrière la caisse, un troisième distribuait des questionnaires individuels pour recueillir des informations démographiques et contextuelles et un quatrième les collectait à la sortie. Un numéro était associé à chaque client afin de relier son choix alimentaire au questionnaire individuel et identifier « qui suivait qui ».

Les salades en entrée et les fruits en dessert

93% des sujets ont choisi au moins un dessert, 39% au moins une entrée, et 35% à la fois entrée(s) et dessert(s). Les salades ont été l’entrée la plus prisée (57%), les entrées mixtes représentant 28% des choix et les viandes froides 16%. Les fruits ont été la catégorie la plus choisie en dessert (43 %) devant les pâtisseries (32 %) et les laitages (25%).
La probabilité de prendre une entrée en général, une salade, une entrée mixte mais pas de viande froide, était significativement plus élevée si la personne devant de la file d’attente en prenait une que si elle n’en prenait pas.
Aucune modélisation significative n’a été trouvée pour les desserts, ce qui peut s’expliquer par le fait que presque tous les participants ont pris un dessert.

Ces résultats soulignent que la modélisation sociale influence bien les choix alimentaires et que ce phénomène s’observe dans un contexte réel. Ils suggèrent également que certaines catégories d’aliments, comme les entrées, pourraient être plus sensibles que d’autres au modelage social.
Enfin, on a observé un modelage à la fois entre des participants familiers et non familiers, ce qui suggère que les normes sociales pourraient être utilisées pour promouvoir une alimentation plus saine dans une série de contextes, y compris les groupes d’amis. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent la modélisation sociale.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
D'après : Garcia A, et al. Social modeling of food choices in real life conditions concerns specific food categories. Appetite. 2021 Feb 17;162:105162.
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