Comment augmenter la consommation de fruits & légumes à l’école ?

Des légumes amers mais…riches en calcium

Chez la plupart des gens, les consommations de calcium et de fruits et légumes (F&L) sont insuffisantes par rapport aux recommandations nutritionnelles. Et s’il y avait un lien entre les deux ?

Les personnes rétives aux F&L, le seraient-elles en raison de la présence de calcium dans les végétaux ?

La question peut sembler absurde à première vue. Pas tant que ça… Des chercheurs ont mis en évidence, chez des souris, des récepteurs gustatifs spécifiques pour le calcium dont la sensibilité serait soumise à des variations génétiques… Les hommes ayant de nombreuses affinités avec les rongeurs, nous pourrions bien avoir les mêmes récepteurs sur la langue. Ainsi, quand on leur fait goûter divers solutés de calcium, certaines personnes décrivent une saveur “métallique” amère, épicée, un peu astringente… Une amertume particulière qui est baptisée unami (prononcer ounami).

L’amertume : une caractéristique de nombreux légumes

Or, l’amertume est une caractéristique sensorielle de nombreux légumes. Elle est liée à la présence de composés comme le PTC (phénylthiocarbamide), le PROP (propylthiouricil) et les glucosinolates. Tout le monde ne perçoit pas cette amertume avec la même intensité. Il y a des “non goûteurs” et des “super goûteurs”. En général, les goûteurs classent certains légumes comme plus amers et moins acceptables que les non goûteurs. Principal responsable de l’amertume : les groupements thio-urées présents dans le PTC, le PROP et les glucosinolates. On a récemment mis en évidence chez l’homme, des différences d’haplotype pour le gène codant pour le récepteur au PTC (TAS2R38). Des différences qui sont responsables de variations de perception de saveur des légumes contenant des glucosinolates.

Le contenu en calcium des différents légumes varie considérablement : de 2,5 à 62,5 mmol de Ca++ par kg. Par ailleurs, quand on fait goûter à des sujets une solution contenant 5 mmol de bicarbonate de calcium, sa saveur est nettement perceptible et même parfois désagréable. D’où l’idée que les fortes concentrations en calcium de certains légumes soient potentiellement responsables de leur amertume.

Une corrélation entre amertume et richesse en calcium

Pour tester cette hypothèse, des chercheurs de Philadelphie, ont tenté d’établir une relation entre le contenu en calcium de 25 légumes crus et l’intensité de l’amertume perçue par 35 sujets. Protocole de l’étude : les sujets devaient consciencieusement mâcher 10 fois chaque portion de légume à tester selon un rythme bien précis. Ils devaient ensuite établir un score d’amertume pour chaque légume testé. Pause d’une minute avec rinçage de bouche à l’eau distillée entre chaque dégustation. C’était du sérieux. Restait à établir ensuite des corrélations entre la teneur en calcium des légumes et le score d’amertume obtenu.

Le résultat est clair et net : pour 24 légumes sur 25, les chercheurs ont retrouvé une corrélation très fortement positive (r = 0,93, p < 0,000001) entre les deux paramètres. (Seule exception : la chicorée rouge, dont la forte amertume était associée à une faible teneur en calcium). Les corrélations entre la teneur en d’autres micronutriments (en particulier la vitamine K) et l’amertume étaient faibles et pour la plupart non significatives. Les différences d’haplotype pour le gène TAS2R38 qui existaient entre les sujets ont eu une influence mineure sur les coefficients de corrélations.

Des rongeurs avides de calcium… et de choux cavaliers

Comme toujours, corrélation ne veut pas dire relation de cause à effet… La responsabilité du contenu en calcium sur l’intensité de l’amertume des légumes est difficile à démontrer chez l’homme. La biologie moléculaire du goût du calcium n’est pas encore suffisamment développée pour pouvoir différencier les individus spécifiquement sensibles ou insensibles au calcium. Restent… les rongeurs.

Comme l’homme, les souris et les rats ont naturellement tendance à éviter les fortes concentrations de calcium. On pourrait donc s’attendre à ce que ces rongeurs préfèrent les légumes pauvres en calcium (comme le chou vert) à ceux qui en sont riches (comme les choux cavaliers). A contrario, on connaît des espèces particulières de rongeurs qui ont une prédisposition génétique pour le calcium (dûe à des mutations connues sur les récepteurs gustatifs). Plus simplement, on sait induire un appétit calcique spécifique en privant des rats de calcium pendant 3 semaines. Ces 2 modèles devraient logiquement préférer les légumes riches en calcium aux autres. Hypothèse testée, hypothèse confirmée : les rats “calcivores” se sont jetés sur les choux cavaliers (riches en calcium) et les contrôles, sur les choux verts (pauvres en calcium). CQFD.

Sans apporter une preuve formelle, ces observations étayent une hypothèse originale – qui reste à creuser : l’amertume transmise par le calcium serait, au moins en partie, responsable de la mauvaise acceptabilité de certains légumes riches en calcium… Ces travaux prennent de l’importance quand on sait que l’on cherche à produire des espèces génétiques de légumes enrichies de 2 à 3 fois en calcium. Il conviendrait sans doute d’examiner les caractéristiques sensorielles de tels végétaux pour évaluer leur acceptabilité.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE

D’après Tordoff M.G., Sandell M.A. Appetite, 52 (2009) 498-504, “Vegetable bitterness is related to calcium content”

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