Estomper les écarts socioéconomiques et hommes-femmes dans la consommation de fruits et légumes

Le meilleur des mondes alimentaires (ou la manipulation du goût…)

Qualités gustatives et nutritionnelles semblant souvent opposées dans l’esprit du public, une large confusion savamment entretenue s’est installée. Ainsi, une alimentation à base de denrées naturelles, riche en glucides complexes et fruits et légumes, bref une nourriture “de régime” selon certains, ne serait acceptable que par ceux qui négligent le plaisir de manger. A l’opposé, de nombreux aliments transformés, s’ils ne sont pas idéaux sur le plan nutritionnel, au moins, ont du goût ! La maîtrise du goût facile est donc devenue un enjeu industriel majeur.

Le trio infernal : “Sucre-Sel-Gras”

Au plan gastronomique, comme au plan nutritionnel, on sait l’importance de bons produits de base, les plus frais et les plus complémentaires possible, pour faire de la bonne nourriture. Le sel, le gras, le sucre, les épices, les arômes, ne peuvent pallier les éventuelles insuffisances de qualité des ingrédients de base.

C’est pourtant le rôle qui est souvent dévolu au trio infernal “sucre-sel-gras” abondamment utilisé. Que d’encouragements démagogiques de la part des gastronomes médiatiques à donner du goût à un aliment à l’aide du gras ! Combien de recettes sans imagination préconisent des quantités excessives de beurre, de crème ou de sucre ! Outre ces travers fort répandus, l’agroalimentaire a découvert l’avantage des arômes purifiés pour maîtriser le goût des aliments. Pour preuve : aujourd’hui, plus de la moitié des aliments transformés sont enrichis en arômes. Pour faire plus vrai, les arômes sont parfois accompagnés de colorants dans les préparations lactées, les glaces et les biscuits.

Ainsi le consommateur est largement trompé, allant même (surtout les enfants) jusqu’à trouver bien fades des préparations ou des fruits naturels.
Nous voici donc parvenus dans le meilleur des mondes alimentaires, où la saveur d’un produit est sans rapport avec son contenu et sa valeur nutritive réelle. Ce monde est celui des pizzas surgelées, des soupes instantanées, des plats préparés, des desserts lactés, des petits pots pour bébé, des aliments allégés, des boissons aromatisées. Bref, c’est celui des aliments industriels dont le goût doit plus à l’habileté des chimistes qu’à l’art des cuisiniers.

Quelles conséquences pour l’organisme ?

Cette façon d’exhausser les qualités organoleptiques des aliments par le sel, le sucre, le gras ou les arômes, est artificielle et n’offre aucune garantie de qualités nutritionnelles. Quels sont les effets directs ou indirects sur la santé de ces produits à la saveur truquée ? Comment l’organisme réagit-il lorsqu’il est trompé par des aliments virtuels ? N’y a-t-il pas une relation entre le développement de l’obésité, des allergies ou le piètre statut nutritionnel d’une partie de la population, avec ces pratiques ?
Au delà de notre santé, ce sont nos choix et nos habitudes alimentaires que l’industrie manipule. Grâce aux arômes et à la publicité, elle nous fait avaler les préparations les plus quelconques et s’assure notre fidélité à ces produits. Pis : les plus culottés de ces marchands déguisent leurs produits en vecteurs d’équilibre et de santé !

Et pourtant, qualité nutritionnelle et organoleptique peuvent parfaitement s’accorder, non seulement dans les produits de base (viande, lait, fruits, légumes, oeufs), mais aussi dans la cuisine préparée avec une très grande diversité d’aliments ou d’ingrédients de qualité. L’apparent antagonisme entre qualité nutritionnelle et qualité organoleptique est souvent mis en avant pour objecter que l’on ne peut offrir du nutritionnellement bon sans altérer le plaisir gustatif. Il faudrait plutôt souligner que, plus les produits sont de faible valeur nutritionnelle, plus leurs qualités organoleptiques demeurent simplistes. Comparez donc le goût d’une glace aux fruits naturels à celui d’une glace aux arômes et aux colorants artificiels et vous classerez qualité nutritionnelle et organoleptique du même côté. Il semble donc anormal de forcer le goût des aliments sans relation avec leur valeur nutritionnelle intrinsèque.

La perte des repères organoleptiques

La manipulation du goût des produits
transformés, mais aussi l’altération du goût des produits de base, sont les défauts récurrents de notre chaîne alimentaire. La perte des repères organoleptiques est un des ressentis les plus troublants pour les consommateurs. Ce désarroi concerne parfois le goût des fruits et légumes, dont l’apparence extérieure est pourtant fort attrayante Ce type de désappointement, largement répandu vis à vis du goût des tomates, des pommes ou du pain de mauvaise qualité, est rassurant sur la capacité des populations à réagir face aux dérives des systèmes de production intensifs. Cependant, si le type d’offre alimentaire actuel persiste, on peut craindre que la normalité des goûts évolue sous le poids des habitudes et du temps, vers des aliments standards omniprésents. Cette évolution n’est pas une fatalité : pour quelques groupes de population, des goûts typés pourraient demeurer fortement ancrés dans une sorte de patrimoine alimentaire. Ainsi, la quête de certaines caractéristiques organoleptiques pourrait subsister encore longtemps.

Dans un esprit d’alimentation durable et d’une bonne gestion du plaisir de manger, il devrait être admis que le goût des aliments demeure une de leurs qualités naturelles qui nous renseigne sur leur aptitude à être bons à consommer. Cet enjeu nécessiterait de demander au secteur agroalimentaire d’adopter de meilleures pratiques, qui ne trompent pas le consommateur, et au secteur agricole, de produire des denrées alimentaires d’excellente qualité.

Christian Rémésy
Directeur de recherche - INRA - FRANCE
Retour