Deux facteurs clés : accessibilité et disponibilité

LES FRUITS ET LÉGUMES FRAIS : des aliments (trop) chers ?

La question de la perception, par le consommateur, du prix des fruits et des légumes frais renvoie à une problématique fondamentale : celle de la valeur que nos concitoyens attribuent à ces aliments. Or, une fraction encore importante de français n’a pas vraiment conscience des multiples fonctions et atouts des fruits et des légumes frais. Dès lors, ils ne leur attribuent pas une véritable valeur, au sens marchand et monétaire du terme. Rien d’étonnant alors à ce que de nombreux consommateurs, quel que soit leur pouvoir d’achat, continuent d’affirmer que les fruits et légumes frais sont “(trop) chers”… sans pour autant préciser par rapport à quoi.
Toutefois, l’évolution actuelle des représentations et des attitudes vis-à-vis de l’alimentation est susceptible de modifier cet état de fait…

Une dimension “santé” fortement valorisée

La valeur santé des fruits et légumes frais constitue la dimension la plus susceptible d’être valorisée, dans un avenir proche, par les consommateurs.
Il y a deux ou trois décennies, ces aliments étaient pourtant considérés comme “peu rassasiants” et “peu nourrissants”, c’est-à-dire peu énergétiques. L’aliment santé par excellence était la viande, en particulier la viande rouge, symbole de force musculaire, d’énergie physique, de virilité… Mais dans notre économie post-industrielle, où le corps n’est plus un outil de travail mais un “capital social”, ces valeurs ne sont plus en vogue, voire apparaissent… archaïques. Le développement du culte de la minceur et, plus récemment, l’expansion de l’obésité ont également contribué à renverser l’image santé des fruits et légumes.

Ainsi, ce qui était hier considéré comme un handicap – apporter peu de calories – apparaît aujourd’hui comme un formidable atout. Surtout, des centaines d’études scientifiques, réalisées auprès de populations extrêmement diverses et vivant dans des environnements très variés, ont mis en évidence l’effet protecteur des fruits et des légumes vis-à-vis de nombreuses pathologies (maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, cancers, ostéoporose, etc.).
La valorisation de la dimension “santé” des fruits et légumes peut donc s’appuyer sur ce double avantage : l’association d’une faible densité énergétique (peu de calories aux 100 grammes) et d’une forte densité nutritionnelle (pour une quantité donnée de calories, une teneur élevée en micronutriments bénéfiques à la santé).

Sans oublier le plaisir…

La dimension hédonique des fruits et légumes frais représente une autre « valeur », particulièrement importante dans notre culture française. Par la diversité de leurs formes, couleurs, textures, arômes, saveurs, préparations culinaires… les fruits et les légumes frais peuvent satisfaire cette recherche du plaisir alimentaire. Mais si l’on veut éviter que les consommateurs ne se détournent de ces produits et qu’ils acceptent d’en payer le “juste prix”, les efforts de la filière en matière de qualité gustative et sensorielle devront être poursuivis.

Des symboles d’authenticité

Pour de nombreux consommateurs, les fruits et légumes frais incarnent – de façon plus ou moins inconsciente – des valeurs immatérielles et symboliques : la tradition, la naturalité, la proximité ou encore l’authenticité. Devenus méfiants vis-à-vis des nourritures industrielles, nombre de mangeurs expriment le désir profond de retrouver une proximité avec leurs aliments et une plus grande maîtrise de leur alimentation. Dans ce contexte, les fruits et les légumes frais disposent d’un sérieux atout : ils passent du champ ou du verger à l’assiette… sans faire le détour par une usine. Ils sont perçus comme plus proches et plus “authentiques” et sont moins sujets au soupçon qui pèse sur les aliments transformés. Par ailleurs, la consommation de légumes frais exige une préparation culinaire qui peut constituer pour le mangeur un moyen de se réapproprier l’aliment (il le choisit, le manipule…), une façon de “reprendre le contrôle” de son alimentation. Plus profondément encore, on observe que le végétal tend à acquérir une valeur éthique que n’ont pas les produits alimentaires d’origine animale… comme en atteste la montée en puissance des préoccupation relatives au “bien-être animal”.

Pourquoi payer un don de la Nature ?

On notera toutefois que ces dimensions positives de l’image des fruits et des légumes frais peuvent, paradoxalement, conduire les consommateurs à juger ces produits “trop chers”. Par exemple, leur perception comme des aliments traditionnels (l’homme a toujours consommé ces aliments “de base”) fait que dans l’inconscient collectif ils apparaissent comme un don de la Nature ou du Créateur… ce qui semble difficilement compatible avec l’idée de payer pour en bénéficier !

De même, si le caractère “non transformé” des fruits et des légumes frais constitue un atout sur le plan symbolique (il rassure le mangeur inquiet), il peut aussi représenter un frein en termes de valorisation monétaire. En effet si, dans le cas des aliments industriels, le consommateur perçoit clairement – et donc accepte de payer – le coût du travail des ouvriers de l’usine, les dépenses de marketing, de packaging et de publicité, il n’en est pas du tout de même pour les fruits et légumes frais pour lesquels le travail des différents acteurs de la filière est peu perçu par le client.

Un acte “citoyen”

Enfin, l’émergence du “consommateur” peut favoriser l’attribution de nouvelles valeurs aux fruits et légumes frais. Pour certains de nos concitoyens, la consommation de ces aliments est l’expression de valeurs “citoyennes”. En effet, l’achat de fruits et légumes frais de saison, produits localement, représente une façon de répondre à de nombreux enjeux de société : maintien de maraîchers et d’arboriculteurs dans les ceintures vertes des villes, aménagement du territoire (gestion des espaces péri-urbains, lutte contre la déprise agricole, les friches ou l’urbanisation galopante, gestion des paysages), etc.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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