Exposition précoce aux fruits et légumes

Préférences alimentaires des enfants : si tout se jouait pendant la grossesse et l’allaitement ?

La grossesse et l’allaitement constituent des périodes charnières dans le développement des goûts de l’enfant. De nombreuses expériences démontrent l’importance d’une exposition précoce à diverses saveurs pour faciliter l’apprentissage alimentaire ultérieur de l’enfant.

La saveur d’un aliment résulte de la subtile combinaison de 3 perceptions sensorielles : le parfum, la stimulation chimique orosensorielle et le goût. Fait remarquable : ce sont 3 systèmes anatomiquement distincts (correspondants à divers paires de nerfs crâniens) qui donnent naissance à une impression sensorielle unique élaborée par le cerveau.

Un super organe qui préside à la sélection les aliments

La naissance d’une saveur est conditionnée par la présence de molécules odorantes dans les aliments et les boissons. De nombreux progrès ont été faits dans la compréhension des interactions entre les molécules odorantes, les muqueuses orales et nasales et leurs voies de transmission au cerveau. Les récepteurs gustatifs des différentes saveurs (sucrées, salées, amères, umami…) ont été identifiés. On les trouve non seulement dans la bouche, mais aussi dans l’intestin, le pancréas et le cerveau. Il faut considérer le tube digestif dans son ensemble, depuis la bouche jusqu’à l’intestin, comme un super organe qui préside à la sélection les aliments par des mécanismes à la fois conscients et inconscients.

La vie prénatale influence les préférences gustatives des nouveaux nés

La construction des préférences gustatives a été très étudiée, en particulier chez le fœtus, le nouveau né et l’enfant, périodes essentielles de la vie.

La prédilection pour un stimulus gustatif est très fortement influencée par des facteurs innés : les herbivores et les omnivores montrent une préférence innée pour les aliments sucrés (reflet de la présence de calories sucrées dans les plantes). Nettement plus marquée chez l’enfant que chez l’adulte, cette préférence est ensuite modulée par l’expérience.

A l’inverse du sucré, les saveurs amères sont spontanément peu appréciées et par conséquent évitées. Elles signent la présence de composés potentiellement toxiques ou dotées de propriétés pharmacologiques (comme le café ou le thé). Avec l’expérience, elles peuvent devenir appréciées.

La sensibilité et la préférence pour le salé (présent dans les aliments sous forme de chlorure de sodium) ont une composante innée qui se développe aux alentours de 4 mois et devient maximum vers l’âge de 2 ans. Certains événements de la vie prénatale modifient ces préférences chez les nouveaux nés et les enfants. Ainsi, quand une mère présente des vomissements sévères (à l’origine d’une perte de sel) durant sa grossesse il y a de fortes chances pour que son enfant présente un goût accentué pour le sel. Divers travaux ont bien montré que des expériences précoces pouvaient modifier profondément l’attirance pour le sel chez les enfants, et accroître les risques d’hypertension artérielle à l’âge adulte.

L’exposition précoce facilite l’acceptation d’un aliment

L’environnement sensoriel dans lequel vit le fœtus est sous la dépendance de l’alimentation de la mère, dont les saveurs passent dans le liquide amniotique. Par exemple, étude à l’appui, une maman qui boit du jus de carotte au cours du troisième trimestre de sa grossesse, donnera naissance à un enfant qui appréciera particulièrement les céréales parfumées à la carotte. L’apprentissage du gout continue après la naissance. Durant les premières semaines de vie, que l’enfant soit nourri au lait de sa mère ou au lait infantile change tout.

Des expériences ont été réalisées, consistant à nourrir des nouveaux nés soit avec du lait de vache maternisé, soit avec des hydrolysats de protéines dont la saveur est très différente. Les hydrolysats des protéines ont un gout amer et aigre, extrêmement désagréable. Si à l’âge de 3-4 mois, les nourrissons les acceptent sans aucun problème, ceux de 5 à 6 mois les rejettent. Autrement dit une exposition précoce facilite l’acceptation d’un aliment. Sans entrer dans le détail on peut dire que le plus tôt est le mieux. Heureusement tout n’est pas joué avant 3 mois !

Le rôle clé de l’allaitement maternel

L’apprentissage de nouvelles saveurs peut se faire tout au long de la vie. Cependant, ce sont les expériences gustatives les plus précoces qui ont les effets les plus durables. Ainsi les enfants de 5 ans qui ont été nourris avec des hydrolysats de protéines apprécient plus les aliments dont la saveur s’en rapproche, comme les brocolis ou le poulet, que ceux qui n’ont pas eu cette expérience.

Les résultats de ces études peuvent s’appliquer à l’allaitement maternel. Le lait maternel contient des nutriments mais aussi des arômes issus des aliments, des boissons, des épices consommés ou inhalés (le tabac) par la mère. L’enfant nourri au sein fait l’expérience d’une grande variété de saveurs issues des choix alimentaires de sa mère, conditionnant ses préférences gustatives futures. Le lait maternel constitue un pont entre l’exposition aux saveurs du liquide amniotique et celles de l’alimentation après le sevrage. L’allaitement offre également à l’enfant une vaste palette de stimulation oro-sensorielles. Cette expérience précoce influence-telle les choix alimentaires futurs ? Sans aucun doute. Les enfants nourris au sein dont les mères ont consommé des pêches ou des carottes durant la lactation les apprécient beaucoup plus après le sevrage que les enfants nourris au lait maternisé.

Ces données soulignent l’importance d’une alimentation variée pour les femmes enceintes et allaitantes. Favoriser une consommation importante et variée de fruits et de légumes durant ces périodes clés du développement représente à n’en pas douter une stratégie efficace pour en augmenter la consommation chez leurs enfants.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
Beauchamp G.K et al, Flavor perception in human infants :development and functional significance, Digestion, 2011 ;83(suppl 1) :1-6
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