Exposition précoce aux fruits et légumes

Sucre et douceurs : tout doux l’ami !

Le sucre fait parler de lui de bien des façons : aliment trop consommé par certains, analgésique authentique, enjeu économique mondial, il défraye la chronique. Un article du Monell Chemical Center de Pennsylvanie1 propose un tour d’horizon rapide mais de qualité.

Les auteurs partent de ce constat : aux Etats-Unis, 86% des enfants de 2 et 3 ans consomment chaque jour une forme ou une autre de boisson sucrée ou de dessert, alors que 80% n’atteignent pas les recommandations de consommation de fruits. Avec pertinence, ils se demandent comment une telle évolution des choix des aliments sucrés a été possible.

Des récepteurs présents dès le deuxième mois de grossesse

L’article rappelle que le goût sucré est détecté par des récepteurs linguaux, dont les cellules sont présentes dès le deuxième mois de grossesse et dont la structure est reconnaissable dès le quatrième mois. Ces récepteurs, couplés aux protéines G, détectent toutes les molécules sucrantes, nutritives ou non, le glucose mais aussi l’aspartame. Présents sur la langue, dans l’intestin grêle et le pancréas, ils participent à un circuit neurologique impliqué dans la régulation de l’appétit.

Ceci explique que la leptine, hormone anorexigène, diminue la réponse au goût sucré alors que les endocannabinoïdes l’augmentent aux niveaux cellulaires et comportementaux. L’imagerie cérébrale a confirmé la correspondance avec l’activation des zones dédiées au plaisir. Les variations des gènes codant pour ces récepteurs expliquent une partie des différences des réactions face au sucre entre individus.

Les enfants apprécient des concentrations de sucres plus élevées que les adultes

Un aspect fascinant est l’acquisition dès la vie intra utérine, puis dans la petite enfance de goûts permanents. Des enfants prématurés de 33 semaines tètent mieux et plus longtemps des tétines sucrées. Les nouveau-nés distinguent différentes concentrations de sucre et préfèrent les plus douces. Les enfants apprécient des concentrations des sucres plus élevées que les adultes, 0.54 mmol/L de saccharose, soit l’équivalent de 11 cuillères à café ou 44 g de sucre pour un verre de 240 ml, soit plus de deux fois la concentration typique d’un soda. Ce choix, mesuré en laboratoire, reflète leurs préférences dans la vie quotidienne pour les boissons et les céréales. On a pu vérifier le caractère universel de ces traits. L’attrait pour les fortes concentrations de sucre décroit durant l’adolescence, sans qu’on en sache la raison. Il semble que les adolescents qui préfèrent les plus fortes concentrations de sucre aient des vitesses de croissance supérieures.

Des préférences modifiées par l’expérience

Les expériences au cours de l’enfance modifient ces préférences. Ainsi, les saveurs auxquels les enfants sont exposés durant la grossesse sont préférées aux saveurs inconnues, dès les premiers jours de vie. Les animaux, dont les mères souffrent de diabète gestationnel, ont des perturbations de la différenciation et de l’organisation des centres hypothalamiques impliqués dans le métabolisme et la régulation du poids. Les nourrissons qui boivent de l’eau sucrée de façon régulière la préfèrent plus tard. En outre, des enfants qui ont consommé, lors d’un test, une boisson parfumée à l‘orange en milieu de matinée pendant seulement huit jours, l’apprécient davantage que des enfants non consommateurs et en boivent davantage à la fin de la semaine de test. Or depuis les années 90, plus de 600 nouveaux produits, en majorité des bonbons et sucreries, ont fait l’objet de démarches commerciales directes auprès des enfants aux Etats- Unis… Le reste du monde n’étant pas épargné, la question de l’impact sur les choix ultérieurs reste entière.

Une machinerie complexe

L’analgésie générée par le sucre est une propriété intéressante, marquée durant l’enfance mais qui semble disparaître chez l’adulte. On ne la retrouve pas chez les enfants dépressifs, bien qu’ils déclarent préférer davantage les goûts très sucrés et les bonbons par rapport aux enfants non dépressifs. Les récepteurs linguaux seraient donc en lien avec les systèmes (opioïdes et non opioïdes) de blocage des signaux de la douleur. En médecine, l’utilisation de solutions sucrées pour des gestes peu douloureux, comme les vaccinations des nourrissons, est parfois utilisée.

Le goût pour la saveur sucrée révèle une machinerie complexe. Elle a certainement joué un rôle bénéfique au cours de l’évolution des espèces, dont la nôtre. Mais il faut désormais aussi redouter son exploitation mercantile, sans scrupules ni mesure. La consommation insuffisante de fruits, pourtant sucrés, révèle l’ampleur et la précocité de la dérive à combattre.

Marie-Laure Frelut
Pédiatre, nutritionniste, ECOG (Groupe Européen de l’Obésité Infantile) - Service d’endocrinologie pédiatrique, Hôpital Bicêtre-Université Paris Sud - FRANCE
  • Ventura AK, Mennella JA. Innate and learned preferences for sweet taste during childhood. Curr Opin Clin Nutr Metab Care 2011;14:379-84.
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