Fruits & légumes : prévention des maladies neurodégénératives

Quand les légumes rajeunissent le cerveau…

De nombreuses études épidémiologiques et animales ont montré que le déclin des fonctions cognitives avec l’âge pouvait être modulé par certains constituants de l’alimentation.

La complémentarité des constituants alimentaires

Les aliments contenant une grande variété de composés nutritifs et non-nutritifs, pour de nombreux chercheurs, il ne faut pas raisonner en termes de composants alimentaires mais, plutôt, d’aliments, de groupes d’aliments ou de schémas alimentaires. A ce jour, les essais cliniques testant l’efficacité de suppléments nutritionnels sur la santé n’ont pas donné les résultats escomptés. Il est possible que ce soit la complémentarité des constituants alimentaires retrouvés dans les aliments consommés aux repas qui contribue – de manière positive ou négative – à la santé des fonctions cognitives.

Des données intéressantes chez l’animal

Les expériences réalisées chez les animaux, en particulier chez les rats, avec des extraits entiers de myrtilles, d’épinards ou des jus de pommes concentrés, montrent que l’on peut maintenir la fonction neuronale avec l’âge(1, 2). Les rats ayant consommé de la vitamine E, des extraits de fraises et d’épinards depuis l’âge adulte jusqu’à un âge avancé n’ont pas montré de dégradation des performances cognitives par rapport aux rats soumis à un régime habituel. Chez ces rongeurs, la prise de suppléments nutritionnels à base de myrtilles est associée à une augmentation de la neurogenèse au niveau du gyrus dentelé de l’hippocampe, une région du cerveau essentielle pour la mémorisation à court terme.

Deux grandes études de cohortes : NHS et CHAP

Une étude prospective de cohorte est le meilleur moyen d’examiner la relation entre habitudes alimentaires et modifications des performances cognitives. L’association de celles-ci avec la consommation de fruits et légumes a été étudiée dans deux larges cohortes.

La première a duré 2 ans et a réuni 13 038 participants sans antécédents d’AVC issus de l’Etude de Santé des Infirmières (Nurses’ Health Study -NHS). Les sujets ont rempli divers questionnaires de fréquence de consommation alimentaire et ont été interviewés à 2 reprises par téléphone au moyen de tests cognitifs standardisés(3).

Cette association a également été analysée dans l’Etude CHAP “Santé et Vieillissement de Chicago” (Chicago Health and Aging Project). 3 718 pensionnaires de maisons de retraite(4) ont été interviewés, à l’aide de tests validés, durant un suivi moyen de 5,5 ans et 1946 personnes sur une période médiane de 6,3 années, afin d’établir un score cognitif global. Les informations sur la fréquence de la prise d’aliments ont été recueillies par des questionnaires semi quantitatifs validés(5-7).

S’il n’y avait que des femmes dans l’échantillon NHS, l’échantillon CHAP comprenait un peu plus d’un tiers d’hommes (38%) et une majorité d’AfroAméricains (62%).

Une réduction du déclin équivalente à 5 années de moins avec les légumes feuilles !

Dans les deux groupes, NHS et CHAP, on a rapporté un déclin des scores cognitifs de 0,04 unités standardisées par an. Les médianes de consommations quotidiennes des femmes de la NHS étaient de : 3,1 portions de légumes et 2,4 de fruits. Pour CHAP, elles étaient discrètement moindres : 2,3 portions de légumes et 2,2 de fruits par jour. Cependant, les plus fortes consommations de légumes ont été associées à un moindre déclin des fonctions cognitives, surtout pour des légumes à feuilles vertes (médiane : NHS, 0,8; CHAP, 0,36 portions quotidiennes, respectivement). Dans le groupe NHS, le ralentissement du déclin chez les personnes ayant une consommation de légumes dans le quintile supérieur était équivalent à un âge plus jeune de 1,5 années. Pour la cohorte CHAP, une diminution du déclin équivalant à 5 années de moins a été notée dans les 2 quintiles les plus élevés de l’échantillon (> 2 portions par jour). Dans le groupe NHS, mais pas dans CHAP, une plus forte consommation de légumineuses a été également associée à un moindre déclin cognitif. Enfin, dans les deux études, aucune corrélation n’a été retrouvée entre la consommation de fruits et les changements cognitifs.

L’intervention probable de nombreux constituants

Il est toujours possible que ces associations soient influencées par des facteurs confondants. Cependant, dans deux échantillons différents de personnes âgées, les résultats restent remarquablement constants, ce qui est plutôt rassurant. En outre, dans les analyses CHAP, la relation entre la consommation de légumes feuilles et les modifications cognitives était atténuée quand l’analyse incluait la vitamine E. Ces légumes feuilles sont souvent les plus riches en vitamine E et consommés avec des graisses (vinaigrette, margarine, etc.) qui sont, non seulement, riches en vitamine E mais, également, augmentent l’absorption de la vitamine E et d’autres nutriments liposolubles. Dans CHAP, les apports en vitamines E et C étaient associés à un moindre déclin cognitif sur 3 ans(8).

D’autres constituants des légumes, en particulier des légumes feuilles, ont été associés à des modifications du déclin cognitif : les folates, les polyphénols et les flavonoïdes antioxydants.

Ainsi, dans l’essai clinique randomisé de 3 ans, FACIT (Folic Acid and Carotid Intima Thickness- Acide Folique et Epaisseur de l’Intima de la Carotide), les performances cognitives étaient des critères d’évaluation secondaires. Des suppléments quotidiens de 800 microgrammes de folates (versus placebo) ont amélioré la mémoire et d’autres fonctions cognitives qui diminuent habituellement avec l’âge(9).

Deux autres études, la cohorte Rotterdam et la cohorte française PAQUID (Personnes Agées Quid), ont trouvé qu’un régime riche en flavonoïdes était lié à un moindre risque de maladie d’Alzheimer(10, 11). Ainsi, dans la cohorte PAQUID(12), suivie pendant 10 ans, l’évolution des fonctions cognitives était positivement associée à une forte consommation de flavonoïdes.

Des outils d’investigation à affiner

Comme toujours, “d’autres études sont nécessaires”” pour confirmer l’association légumes et fonctions cognitives. Comment affiner les outils actuels de mesure nutritionnelle dans les études épidémiologiques ? Il faudrait inclure des questions sur la manière de préparer les légumes et (dans une moindre proportion) les fruits. De nombreux polyphénols se trouvent principalement dans la pelure des fruits et des légumes. Les faire bouillir ou les éplucher pourrait éliminer de grandes quantités de ces composants. De plus, on pourrait utiliser des questionnaires basés sur les repas. A n’en pas douter, de telles améliorations fourniraient des outils plus pertinents pour évaluer le rôle des fruits et légumes dans les modifications des fonctions cognitives avec l’âge.

Christy C. Tangney
Département de Diététique-Nutrition, Université Rush, Chicago, USA
    1. Joseph JA, Shukitt-Hale B, Lau FC. Fruit polyphenols and their effects on neuronal signaling and behavior in senescence. Ann N Y Acad Sci 2007;1100:470-85.
    2. Tchantchou F, Chan A, Kifle L, Ortiz D, Shea TB. Apple juice concentrate prevents oxidative damage and impaired maze performance in aged mice. J Alzheimers Dis 2005;8:283-7.
    3. Kang JH, Ascherio A, Grodstein F. Fruit and vegetable consumption and cognitive decline in aging women. Ann Neurol 2005;57:713-20.
    4. Morris MC, Evans DA, Tangney CC, Bienias JL, Wilson RS. Associations of vegetable and fruit consumption with age-related cognitive change. Neurology 2006;67:1370-6.
    5. Morris MC, Tangney CC, Bienias JL, Evans DA, Wilson RS. Validity and reproducibility of a food frequency questionnaire by cognition in an older biracial sample. Am J Epidemiol 2003;158:1213-7.
    6. Tangney CC, Bienias JL, Evans DA, Morris MC. Reasonable estimates of serum vitamin E, vitamin C, and beta-cryptoxanthin are obtained with a food frequency questionnaire in older black and white adults. J Nutr 2004;134:927-34.
    7. Feskanich D, Rimm EB, Giovannucci EL, et al. Reproducibility and validity of food intake measurements from a semiquantitative food frequency questionnaire. J Am Diet Assoc 1993;93:790-6.
    8. Morris MC, Evans DA, Bienias JL, Tangney CC, Wilson RS. Vitamin E and cognitive decline in older persons. Arch Neurol 2002;59:1125-32.
    9. Durga J, van Boxtel MP, Schouten EG, et al. Effect of 3-year folic acid supplementation on cognitive function in older adults in the FACIT trial: a randomised, double blind, controlled trial. Lancet 2007;369:208-16.
    10. Engelhart MJ, Geerlings MI, Ruitenberg A, et al. Dietary intake of antioxidants and risk of Alzheimer disease. JAMA 2002;287:3223-9.
    11. Commenges D, Scotet V, Renaud S, Jacqmin-Gadda H, Barberger-Gateau P, Dartigues JF. Intake of flavonoids and risk of dementia. Eur J Epidemiol 2000;16:357-63.
    12. Letenneur L, Proust-Lima C, Le Gouge A, Dartigues JF, Barberger-Gateau P. Flavonoid intake and cognitive decline over a 10-year period. Am J Epidemiol 2007;165:1364-71
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