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Subliminaire ou inondation : Quand la publicité chassée par un écran rentre par un autre

La traque de la publicité est un sport qui connaît des variantes. L’âge des destinataires, les produits, le support et – pour faire branché – l’aspect subliminaire sont examinés à la loupe. Les programmes de télévision s’offrent, si l’on peut dire, la part du lion. Internet, plus difficile à traquer, sort des limbes. Le bon vieux cinéma, pourtant archi rediffusé, piraté, loué (donnez le sens que vous voulez, c’est le charme du français) vivait en paix loin des agacements universitaires. Dix ans de traque silencieuse ont mis fin à cette quiétude… en Amérique.

Une équipe de quatre chercheurs en Santé Publique a analysé la publicité par placement des marques dans le cœur des deux cents films qui ont plus rapporté l’année de leur sortie, entre 1995 et 2005. Cette équipe explique qu’elle a été alertée lorsqu’elle a constaté que la consommation par ET de bonbons parfumés, à base de beurre de cacahuète, avait fait grimper les ventes de 65% dans les trois mois qui ont suivi la sortie de film. Faut-il supposer, perfide parenthèse, qu’aucun acteur humain ne s’était porté volontaire ?

Donc, il y eut une étude dont les résultats furent publiés en 2010 dans la revue de l’Académie américaine de Pédiatrie 1.

69% des 200 films comportaient au moins une publicité

Les films furent classés selon l’audience recommandée (tout public, contrôle parental, plus de 13 ans et contrôle parental, restreint aux plus de 17 ans).

Soixante neuf pour cent des 200 films comptaient au moins une publicité pour une boisson, un aliment ou une chaîne de revendeurs, restaurateurs ou non. Les catégories plus de 13 ans et restreintes comptaient plus de publicités. Un tiers des films tout public et les trois quarts de ceux visibles par les moins de 13 ans incluaient des placements.

Un total de 1180 placements publicitaires ont été retenus dans l’analyse : 427 d’aliments, 425 de boissons, 328 de commerces. Un quart des aliments étaient des bonbons ou des confiseries, un cinquième des aliments de grignotage salés, 12% des produits de grignotage ou des desserts sucrés. Soixante-seize pour cent des boissons étaient des boissons sucrées (boissons fruitées, sodas et boissons « pour sportifs »). Les boissons lactées et les purs jus de fruits représentaient 5 % des publicités tout comme le thé et le café. Les trois quarts des commerces revendeurs étaient des fast food. Les films pour les plus jeunes concentraient les publicités pour les boissons sucrées, les chips et les fast food.

Tout aussi intéressant est le repérage des compagnies : 6 multinationales étaient à l’origine de 45 % des placements et 2 fabricants célèbres de colas à l’origine des trois quarts des publicités pour des boissons sucrées présentant jusqu’à 11 boissons différentes.

Cinéma paradiso : comment un produit s’introduit dans la vie quotidienne.

Le cinéma, par ses films à succès, reste très présent dans les familles dont la vigilance reste l’ultime et indispensable rempart. Quand il est placé au sein d’une histoire que le spectateur fait sienne de façon temporaire, un produit s’introduit dans la vie quotidienne comme s’il était déjà dans la maison. La publicité chassée par un écran rentre par un autre. L’impact relatif de chaque mode est peut être déjà connu des dizaines de compagnies qui, aux Etats-Unis, utilisent la neuro imagerie cérébrale (l’IRM) pour évaluer les réactions face aux publicités, en particulier alimentaires.

Cette étude n’analyse ni le placement de produits sans marque, ni les attitudes des consommateurs : un aliment qui serait ridicule parce que mal cuisiné, consommé dans des circonstances rasantes ou par les anti héros verrait sans doute sa consommation baisser. L’impact positif sur la consommation n’est qu’une face du tableau, à ce stade regardé de façon simpliste.

Réfléchir en termes de générations

Il reste de toute évidence à renverser l’opinion qui assimile vitesse-force-succés à tous les aspects de la vie, alimentation incluse. La crise économique et morale, les désastres écologiques remettent ce stéréotype primaire en cause et obligent à réfléchir très tôt, clé essentielle pour passer en douceur du diktat au choix personnel. C’est donc bien en termes de générations qu’il faut réfléchir et agir pour faire évoluer dès à présent des comportements à risque sur fond d’épidémie majeure d’obésité.

Marie-Laure Frelut
Pédiatre, nutritionniste, ECOG (Groupe Européen de l’Obésité Infantile) - Service d’endocrinologie pédiatrique, Hôpital Bicêtre-Université Paris Sud - FRANCE
  1. Sutherland L.A., MacKenzie T., Dalton M. Prevalence of food and beverage brands in movies : 1996-2005. Pediatrics 2010; 125:468-74.
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