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SUPERFRUITS : supersanté ou superbluff ?

Le néologisme « superfruits » ne correspond à aucune définition officielle. Inventé vers le milieu des années 2000 par des professionnels américains du marketing, le terme désigne un ensemble de fruits – souvent des baies – présentant une teneur particulièrement élevée en fibres et/ou en antioxydants (caroténoïdes, flavonoïdes, polyphénols, vitamines C et E).

Un pouvoir antioxydant très élevé

Parmi ces aliments d’exception figurent des végétaux aux appellations étranges ou exotiques : acerola, açaï, goji… Ou encore maqui, noni, fruit de baobab, grenade, goyave, cranberry… Mais d’autres fruits, qui nous sont beaucoup plus familiers, présentent eux aussi un pouvoir antioxydant très élevé et peuvent donc être classés dans la catégorie des superfruits : c’est le cas par exemple du raisin, des myrtilles, du cassis ou encore des mûres. Toutefois, leur caractère « commun », voire banal, semble les rendre bien moins attractifs aux yeux des acteurs du marketing (et de nombreux consommateurs) que les baies d’açaï issues de la forêt amazonienne. Savez-vous en effet que, depuis la nuit des temps – dixit la publicité – ces modestes fruits d’un palmier sudaméricain aideraient les peuples indigènes à réguler leur appétit et à ne pas stocker de disgracieuses graisses ? En réalité, bien que vendues à prix d’or, les petites baies pourpres ne possèdent absolument aucun effet amaigrissant !

Des vertus variées mais pas toujours démontrées

Aujourd’hui comme hier, les tribus Mapuches du Chili central font une grande consommation de maqui, un fruit dont le pouvoir antioxydant figure parmi les plus élevés. Comme l’açaï et la myrtille, les baies de maqui présentent une belle couleur mauve, qui atteste de leur richesse en anthocyanes, molécules connues pour leur action bénéfique sur la circulation sanguine et la rétine. Egalement issue du continent américain (des Antilles plus précisément, d’où son autre nom de « cerise des Antilles »), la baie d’acérola est un concentré exceptionnel de vitamine C (20 à 30 fois plus que l’orange).

L’Amérique du Nord est quant à elle le berceau de la cranberry (canneberge), dont les effets préventifs sur les infections urinaires chez la femme ont été clairement évoqués et reste à démontrer.

L’Asie n’est pas en reste : ainsi, la Chine approvisionne aujourd’hui le reste du monde en goji. Ces baies sont consommées depuis des millénaires par les habitants de l’Empire du Milieu : elles constituent en effet un des ingrédients de la médecine traditionnelle chinoise. Exportateurs de baies et fabricants de jus de goji se sont rués sur ces « pépites » orangées, n’hésitant pas à les rebaptiser « baies du sourire », « secret de jouvence du Tibet » ou encore « baies miraculeuses ». Mais faute d’essais cliniques sérieux, les innombrables vertus santé attribuées par la publicité à cet autre fruit miracle sont loin d’être démontrées.

Un marché en pleine expansion

Ces incertitudes scientifiques n’ont pas empêché les superfruits venus d’ailleurs d’envahir les linéaires de nos hypermarchés, après avoir été incorporés dans des aliments et boissons industriels courants. Ainsi, à la fin de l’année 2008, un groupe français spécialisé dans les produits laitiers lançait (en Belgique) une nouvelle gamme de yaourts baptisée… Superfruits. Santé et bienêtre rimant, pour beaucoup de mangeurs, avec corps svelte, un fabriquant de plats et produits minceur proposait, à la même époque, un müesli « superfruits » allégé en calories et en lipides. Depuis, le nombre de produits dopés aux superfruits n’a cessé de croître (+ 10 % entre juin 2010 et mai 2011 selon une étude de Innova Market Insight). Une très grande diversité de rayons sont concernés : glaces, confitures, confiseries, compotes, spécialités laitières, jus, sodas ou encore smoothies…

Raisons d’un succès : santé, naturalité, exotisme

L’engouement pour les superfruits tient beaucoup à leur image – très bien valorisée par le marketing – d’aliments à la fois « naturels », bons pour la santé et… exotiques. Outre les molécules antioxydantes, ces végétaux concentrent ainsi trois grandes tendances actuelles de la consommation alimentaire ! Et elles permettent au consommateur de s’offrir un dépaysement gustatif à moindre frais…

Les superfruits sont perçus comme tellement « super » qu’ils ne se contentent pas de coloniser les rayons alimentaires. Leurs extraits entrent aujourd’hui dans la composition de nombreux produits cosmétiques : shampooings, crèmes, etc. S’ils sont bons pour lutter contre le vieillissement interne de l’organisme alors, pense l’acheteur, ils devraient faire des miracles pour « donner un coup de jeune » à son enveloppe corporelle externe.

Et le bon sens dans tout ça ?

Malgré l’atout réel de leur richesse en antioxydants et/ou en fibres, la consommation élevée d’aliments industriels gorgés de superfruits doit-elle être encouragée ? Le bon sens conduirait plutôt à privilégier la consommation quotidienne d’une quantité suffisante et d’une palette variée de fruits frais. Mais la « magie » des superfruits (de leurs extraits en réalité) joue à plein : les boissons qui en contiennent arborent les couleurs tellement chatoyantes des élixirs de jeunesse. Et comment ne pas rêver d’immortalité face à des nourritures aussi traditionnelles qu’exceptionnelles !

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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