Une stratégie culinaire : l’exemple de la cuisine traditionnelle et des produits locaux

Eloge du tajine

Né de l’imagination de populations du Maghreb, dépourvues de richesses notables, le tajine est emblématique d’une alimentation durable. Ce mode de cuisson, à redécouvrir, permet des combinaisons quasiment infinies de tous les légumes et de toutes les viandes. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour revenir aux fondamentaux de l’alimentation ?

Bien se nourrir aurait pu rester un acte simple…

Avant d’être agriculteur ou citadin, l’Homme s’est procuré son alimentation par la chasse et la cueillette. Nul doute que, dans ce contexte, son équipement génétique a évolué pour lui assurer une condition d’omnivore favorable à sa survie.

L’avènement de l’agriculture est relativement récent et remonte à environ 10 000 ans avant Jésus-Christ. Dans ce laps de temps, nos gènes n’ont guère évolué. Nous sommes condamnés à nous adapter à une grande diversité de produits végétaux et animaux naturels. Fort de notre statut de chasseur-cueilleur, bien se nourrir aurait donc pu rester un acte très simple, bien éloigné des complications de la chaîne alimentaire actuelle, suffisamment imaginative pour nous proposer une gamme sans cesse croissante de produits transformés de tous ordres. Dans ce “meilleur des mondes” alimentaires, les citoyens sont devenus des consommateurs plutôt que des mangeurs, perdant ainsi leurs repères et n’étant pas même assurés de bien se nourrir malgré de savants étiquetages. Etait-il nécessaire de faire si compliqué ? Et si des solutions simples et durables existent pourquoi ne pas les adopter largement ?

Une solution simple pour cuire tous les aliments en même temps

Dans cette optique, il est intéressant de s’intéresser à l’histoire du tajine. Lorsqu’on dispose d’une très grande diversité de légumes et de viandes, de peu d’eau, voire d’aucune source de matières grasses, de peu de bois pour les faire cuire, d’aucun instrument
métallique, il peut être utile de trouver une solution simple pour cuire tous les aliments en même temps, pour préserver leur
contenu en micronutriments tout en associant les saveurs et aboutir à un plat goûteux d’usage convivial.

C’est à partir de ce cahier de charges ancestral que le tajine est né de l’imagination de populations du Maghreb, dépourvues de
richesses notables.

Le tajine désigne l’ustensile de terre cuite qui permet de cuire ensemble la quasi-totalité des aliments naturels. Il se décompose
en deux parties, une sorte d’assiette profonde dans laquelle sont placés les aliments et un couvercle conique pour recueillir et faire
se condenser la vapeur émise, afin de la recycler sur les aliments en train de cuire. Le couvercle de terre est seulement posé sur les
rebords de la marmite plate exposée à la chaleur d’un foyer de braises. Le tajine n’est donc pas totalement étanche et assure ainsi
une certaine déshydratation des fruits et légumes. La cuisson dure environ une heure à feu doux mais cette durée
varie en fonction, en particulier, de la nature des viandes. Dans une cuisine moderne, le tajine peut être tout simplement posé sur
la plaque électrique ou la flamme du gaz munie d’une plaque de protection.

Un bon moyen de décliner la pyramide alimentaire

Si le mot tajine désigne l’instrument de cuisine (contenant), il désigne également le plat à consommer (contenu). Les
nutritionnistes recommandent de décliner la pyramide alimentaire, c’est-à-dire d’accommoder une très grande diversité de produits végétaux avec un apport modéré de produits animaux complémentaires. Ce mode de cuisson permet des combinaisons
quasiment infinies de tous les légumes, de toutes les viandes. Beaucoup de tajines sont également riches en fruits, légumes secs, amandes. Traditionnellement, par contre, les céréales ne sont pas préparées dans les tajines. Ainsi, au moment du repas le contenu du tajine pouvait être pris avec du pain.

Bonne nouvelle pour tous les néophytes : avec de bons produits de viandes, légumes, fruits et épices, il est très difficile de ne pas atteindre l’excellence par ce mode de préparation. Alors pourquoi s’encombrer des recettes sophistiquées, chères à nos gastronomes médiatiques ? Il est tellement plus facile de réussir en toute simplicité : un tajine au poulet, citron et olives ; un tajine d’agneau aux oignons et au raisin ; un tajine de veau aux pommes ; un tajine de lapin aux fruits secs ; un tagine de dinde à l’orange ; un tagine de boeuf aux navets ; un tajine de poulet aux prunes ; un tajine de petits pois et de légumes variés ; un tajine de poissons et légumes ; un tajine de poulet, patates douces et pommes de terre… Arrêtons là la liste ! Il suffit de faire ses courses à l’heure du marché et d’assembler tranquillement dans un même réceptacle les divers ingrédients, avec une présentation facile à assurer. Le tout ne peut être que réussi !

Revenir aux fondamentaux de l’alimentation

En outre, le tajine est emblématique d’une alimentation durable, d’un art ancestral de s’approvisionner et de bien se nourrir qui n’a
pas pris une ride. Rien de nouveau sous le soleil ! Pourtant, notre chaîne alimentaire a dérivé, s’éloignant de la satisfaction des
besoins nutritionnels de l’homme. Nous sommes loin de savoir bien faire les choses : nous alimenter simplement et sainement,
produire proprement et durablement, transformer et distribuer sans dénaturer, bien gérer les ressources de proximité. La sécurité
à long terme de nos approvisionnements alimentaires ne pourra être assurée qu’en préservant nos espaces naturels et la
complexité des aliments qui en sont issus.

A l’homme d’adopter, en conséquence, de bons comportements alimentaires, de développer une éducation alimentaire fondée sur une vision globale et durable de l’alimentation. Il est temps de se mobiliser dans la vie quotidienne, par exemple en privilégiant la consommation de produits naturels ou en réduisant celle des produits transformés sous emballage. Nous devons revenir aux fondamentaux de l’alimentation. Pourquoi ne pas nous inspirer de l’art du tajine pour assembler de manière savoureuse une grande diversité de viandes de légumes et de fruits ?

Christian Rémésy
Directeur de recherche - INRA - FRANCE
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