Une stratégie culinaire : l’exemple de la cuisine traditionnelle et des produits locaux

Légumes et protection contre le cancer naso-pharyngé FRAIS : OUI ; CONSERVÉS : NON !

Un cancer fréquent en Asie

Dans la plupart des régions du monde, le carcinome nasopharyngé (CNP) est un cancer très rare. Cependant son incidence est nettement plus élevée en Chine Méridionale et à Hong Kong ainsi que dans d’autres régions du Sud-Est Asiatique1.

Un facteur de risque de CNP est l’infection par le virus d’Epstein-Barr (EBV)2. Cette infection étant courante dans la plupart des populations, il existe probablement des “facteurs déclenchants” qui contribuent aux effets carcinogènes de l’infection à EBV, parmi lesquels des facteurs alimentaires pourraient jouer un rôle. Ainsi, la consommation de poisson salé à la Cantonaise a toujours été associée à un risqué augmenté de CNP3.

Au cours de cette salaison, les poissons accumulent de fortes concentrations de nitrosamines volatiles, composés qui ont démontré des effets mutagènes et cancérigènes dans des études animales et expérimentales.

Un risque doublé avec les légumes conservés

Si des associations protectrices ont été observées entre la consommation de fruits et légumes frais et de nombreux cancers, la consommation de fruits et légumes conservés est soupçonnée d’être un facteur de risque de CNP. On appelle légumes conservés ceux qui ont été salés, séchés, mis en conserve, fermentés ou marinés. On suspecte ces procédés d’entraîner la production d’agents carcinogènes comme les nitrosamines4.

D’après les données épidémiologiques, les personnes qui consomment en majorité des légumes conservés ont deux fois plus de risque de CNP que celles qui en consomment peu5. Cette association est rapportée pour tous les types de végétaux (légumes verts à feuilles, légumes non amylacés, crucifères). En outre il existe une relation dose-réponse, ainsi, le risque le plus élevé de cancer étant associé aux plus fortes consommations de légumes conservés.

Au plan biologique, l’augmentation du risque s’expliquerait par la forte production de nitrates et de nitrosamines au cours des méthodes de préparation. Les nitrosamines sont des mutagènes connus pour induire des adduits de l’ADN qui, en l’absence de réparation, peuvent entraîner des mutations ponctuelles et un plus grand risque de cancer.

Une réduction du risque de 40 % avec les légumes frais

Pour les légumes frais, les plus fortes consommations entraînent, par rapport aux faibles consommations, une réduction d’environ 40 % du risque de CNP5.
Dans la plupart des études, un effet “dose-réponse” a été observé, bien qu’inconstant. L’amplitude de l’association était la même avec tous les types de légumes (légumes verts à feuilles, racines et tubercules, légumes non amylacés)5.

Cette relation inverse entre la consommation de légumes frais et le risque de CNP concorde avec l’effet protecteur des légumes sur tous les types de cancers. De multiples composants (bêta-carotène, alpha-tocophérol, rétinoïdes, phytoestrogènes, folates) seraient impliqués dans cette protection. Ils agiraient sur de multiples voies métaboliques susceptibles de modifier le risque de cancer (inhibition de la croissance cellulaire, synthèse et méthylation de l’ADN, protection contre le stress oxydatif et les lésions de l’ADN).

Des points cruciaux restent à élucider

Actuellement, il existe de nombreuses preuves que la consommation de légumes conservés entraîne un plus grand risque de cancer naso-pharyngé alors que ce risque est réduit par la consommation de légumes frais. En outre, ces associations sont fortes, ne dépendent pas du type de légumes consommés et sont constamment observées. Cependant, une consommation mixte des deux types de légumes n’ayant pas été comparée dans les mêmes études, il reste à établir des liens définitifs. Ainsi, on ne sait pas si c’est la consommation de légumes frais qui entraîne directement une réduction du risque ou si cela ne serait dû qu’à une moindre consommation de légumes conservés. A l’inverse, on ne sait pas si la consommation de légumes conservés entraîne per se une augmentation du risque de CNP ou reflète simplement une faible consommation de légumes frais…

Ces points sont cruciaux à élucider. Les données actuelles suggèrent une relation complexe entre la consommation de légumes et le risque de CNP : les légumes frais sont associés à un risque très réduit de cancer, alors que les légumes conservés selon certaines méthodes augmentent ce risque. Ces résultats sont particulièrement importants pour les pays dans lesquels la consommation de légumes conservés est importante. Ces données soulignent enfin que certaines techniques de conservation ont le pouvoir de transformer des légumes “facteurs de santé” en “facteurs pathogènes”.

Anthony J. Alberg
Université Médicale de Caroline du Sud, Charleston, Caroline du Sud, Etats-Unis
  1. GLOBOCAN 2000: Cancer Incidence, Mortality and Prevalence Worldwide. Version 1.0. Version 1. Lyon, France: IARCPress, 2001.
  2. Yu MC, Henderson BE. Nasopharyngeal cancer. In: Schottenfeld D, Fraumeni JF. Cancer epidemiology and prevention, 2nd ed. New York: Oxford University Press, 1996:603-18
  3. Yu MC, Ho JH, Lai SH, Henderson BE. Cantonese-style salted fish as a cause of nasopharyngeal carcinoma: report of a case-control study in Hong Kong. Cancer Res 1986;46:956-61
  4. Yu MC, Yuan JM. Epidemiology of nasopharyngeal carcinoma. Semin Cancer Biol 2002;12:421-9
  5. Gallicchio L, Matanoski G, Tao X, Chen L, Lam TK, Boyd K, Robinson KA, Balick L, Mickelson S, Caulfield LE, Herman JG, Guallar E, Alberg AJ. Adulthood consumption of preserved and non-preserved vegetables and the risk of nasopharyngeal carcinoma: a systematic review. International Journal of Cancer 2006; 119: 1125-1135.
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