Une stratégie culinaire : l’exemple de la cuisine traditionnelle et des produits locaux

Quand la culture influence les achats, les techniques, et la préparation des aliments

Si les bénéfices santé des fruits et légumes sont aujourd’hui bien documentés, lever les obstacles à l’augmentation de leur consommation demeure un challenge. Un de ces obstacles est, par exemple, la perception de la durée importante consacrée à leur préparation : certaines personnes croient qu’elles n’ont pas le savoir faire nécessaire pour cuisiner des repas “partant de zéro”1. Cet article aborde certaines de ces objections à partir d’une publication récente qui compare les pratiques culinaires dans le sud de la France et le centre de l’Angleterre et propose un lien avec l’obésité.

La “transition du savoir-faire culinaire”

Les choix alimentaires varient à travers l’Europe et sont influencés par certains facteurs socioculturels. Suite aux bouleversements des habitudes de travail, surtout chez les femmes, les activités en rapport avec l’alimentation ont également changé. Ainsi, certains travaux de préparation culinaire ont perdu en technicité pour favoriser l’aspect “pratique”. Appelé au Royaume-Uni la “transition du savoir-faire culinaire”2, ce phénomène pourrait contribuer à l’augmentation de la prévalence nationale de l’obésité. En revanche, en France, la gastronomie est depuis longtemps considérée comme une activité sociale et conviviale, malgré quelques changements manifestes.

Il a été montré que l’alimentation dans le sud de la France est plus saine que dans le centre de l’Angleterre3, particulièrement en ce qui concerne la consommation de fruits et légumes. Cependant, dans le sud de la France, il semblerait que les plus jeunes se démarquent du “modèle Méditerranéen” sain4 pour adopter un style Américain “plus pratique” et la restauration rapide. D’autres études menées dans ces deux pays ont révélé des attitudes et des croyances différentes au sujet des aliments et de la santé : les méridionaux sont plus enclins à prendre leur temps lors de la préparation de leurs repas et attachent plus d’importance à l’utilisation des “produits frais”, que les Anglais du centre5. Ceci est plus nettement marqué dans les générations plus anciennes, ce qui conforte l’étude citée ci-dessus4.

 

Sud de la France et Angleterre : des contrastes intéressants

Une comparaison des aspects culturels de la structure des repas et des pratiques culinaires a mis en évidence des contrastes intéressants dans ces deux zones géographiques6. A l’aide d’un questionnaire envoyé par la poste à 826 sujets du centre de l’Angleterre et à 766 sujets du sud de la France, âgés de 18 à 65 ans, on a pu comparer la prise de repas en famille, la préparation des repas, les habitudes d’achats alimentaires, les choix de méthode de cuisson et les sorties au restaurant. Des analyses statistiques ont été effectuées sur des échantillons ajustés pour les différences socio-démographiques.

En voici certains résultats-clés :

L’aspect agréable du repas : une valeur importante en France
Plus de Français que d’Anglais ont rapporté qu’ils prennent tous les jours leurs repas en famille. De la même manière, les Français avaient plus tendance à suivre un rythme régulier de trois repas par jour. Ces données confortent l’hypothèse que chez les Français, l’aspect agréable du repas reste une valeur importante5, alors qu’au Royaume Uni, les pratiques traditionnelles sont progressivement remplacées par de nouvelles structures “plus pratiques”.

Les Anglais : premiers consommateurs d’aliments “tous prêts” en Europe
Plus de Français ont répondu qu’ils préparaient chaque jour un repas à partir de produits frais, alors que les Anglais faisaient plutôt appel à des plats préparés et au traiteur. Cela confirme le changement dans les habitudes. Ce n’est pas surprenant puisque les Anglais sont, de loin, les premiers consommateurs d’aliments “tous prêts” en Europe. Cela refléterait également la fierté des Français pour leur gastronomie. Dans ces deux pays, les femmes étaient en majorité responsables de l’achat des aliments et de la préparation des repas. Il subsisterait donc des différences liées au sexe dans l’organisation domestique, en ce qui concerne l’alimentation7. Ceci était particulièrement marqué en France quant à la préparation des repas “partant de zéro”, alors qu’en Angleterre, l’aspect “pratique” est plus important, soulignant à nouveau “la transition dans le savoir-faire culinaire” sus-mentionnée2.

Snacking : des données alarmantes
Les aliments riches en énergie, comme les chips et les confiseries sont consommés plus fréquemment par les Anglais. Ce n’est guère surprenant : d’autres études récentes ont montré que ces produits sont plus facilement disponibles au centre de l’Angleterre que dans le sud de la France8. Par contre, la disponibilité des fruits et légumes serait comparable dans les deux pays, ce qui suggère que ce facteur n’est pas nécessairement un frein à leur consommation en Angleterre8. Ces dernières données soulignent l’importance de l’environnement alimentaire dans l’obésité. Elles sont alarmantes, car une forte densité énergétique est associée à l’obésité alors que la consommation accrue de fruits et légumes permet de mieux gérer le poids9. L’attention doit se focaliser sur la manière dont certains aliments sont « markétés » et font l’objet de publicité, en portant une attention particulière à l’impact sur le savoir-faire culinaire au Royaume-Uni. Il faut aussi absolument encourager le maintien des traditions culinaires en France.

Intégrer le savoir-faire culinaire aux politiques de santé publique

Certains résultats de cette étude confortent les stéréotypes concernant la gastronomie française et la cuisine anglaise. Des différences culturelles – en particulier le “partant de zéro” et “le plus pratique” – expliqueraient en partie la plus forte prévalence d’obésité en Angleterre qu’en France. Les spécialistes de santé publique doivent intégrer le savoir-faire culinaire dans leur schéma de référence pour le développement d’interventions et d’une politique qui favoriseront la consommation de fruits et légumes. Dans le monde entier, la diffusion des informations reliant le contexte culturel à l’obésité doit devenir un élément clé aussi bien pour les décideurs que pour les professionnels. Autrement, l’épidémie d’obésité continuera à s’aggraver dans toute l’Europe…

Clare Llewellyn
Groupe de Recherche sur l’Obésité, Département de Recherche sur la Science et la Santé Comportementales, University College London, Londres, ROYAUME-UNI
  1. 1 Short, F. (2003) Domestic Cooking skills. Journal of the Home Economics Institute of Australia, 10, 13-22.
  2. Caraher, M., Dixon, P. & Lang, T. (1999) The state of cooking in England: the relationship of cooking skills to food choice. British Food Journal, 101, 590-609.
  3. Holdsworth, M., Gerber, M., Haslam, C., Scali, J., Beardsworth, A., Avalone, M.H. et al (2000) A comparison of dietary behaviour in Central England and a French Mediterranean region. European Journal of Clinical Nutrition, 54, 1-10.
  4. Scali, J., Richard, A. & Gerber, M. (2000) Diet profiles in a population sample from Mediterranean southern France. Public Health Nutrition, 4, 173-82.
  5. Pettinger, C., Holdsworth, M. & Gerber, M. (2004) Psycho-social influences on food choice in Southern France and Central England. Appetite, 42, 307-16.
  6. Pettinger, C., Holdsworth, M. & Gerber, M. (2006) Meal patterns and cooking practices in Southern France and Central England, Public Health Nutrition, 9(8), 1020-1026.
  7. Rozin, P., Fischler, C., Imada, S., Sarubin, A. & Wresniewski, A. (1999) Attitudes to food and the role of food in life in the USA, Japan, Flemish Belgium and France: possible implications for the diethealth debate. Appetite, 33, 163-80.
  8. Pettinger, C., Holdsworth, M. & Gerber, M. (in press) ‘All under one roof?’ Differences in food availability and shopping practices in Southern France and Central England. European Journal of Public Health.
  9. Rolls, B.J., Ello-Martin, J.A. & Honhill, B.C. (2004) What can intervention studies tell us about the relationship between fruit and vegetable consumption and weight management. Nutrition Reviews, 62(1) 1-17.
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