Influence sociale : frein ou levier pour agir sur les comportements alimentaires ?

La perception que nous avons des comportements alimentaires de nos proches est un levier d’amélioration de nos habitudes

Le rôle de l’influence sociale sur les comportements alimentaires est bien documenté. Nous avons notamment tendance à reproduire les comportements de personnes dont nous sommes proches (amis, familles etc) plus que plus que ceux d’inconnus. Est-il possible que notre simple perception de ce que feraient les autres influence nos choix alimentaires ? Existe-t-il une différence entre l’influence de nos proches et celle de personnes plus éloignées ? Ces questions sur l’effet des groupes sociaux sont explorées dans une étude récente. Ce travail montre que les participants pensant que ceux avec lesquels ils mangent choisissent des aliments plus sains et durables ont, eux aussi, des paniers d’achats de meilleure qualité. Cette influence disparait pour les groupes plus éloignés.

Un nombre croissant d’études s’intéressent au rôle que jouent les groupes de référence dans la perception des normes sociales relatives aux choix alimentaires. La théorie de l’identité sociale (voir encadré) suggère notamment qu’une appartenance importante à un groupe incite davantage un individu à se conformer aux comportements de ce groupe (Turner et al., 1987). Toutefois, les données disponibles à ce sujet restent limitées et proviennent d’études reposant principalement sur des échantillons de petite taille.

Afin de fournir plus de preuves, une étude britannique (Çoker et al., 2022) a cherché à déterminer si les comportements de groupes sociaux proche (les personnes avec qui je mange) ou éloigné (la plupart des habitant du Royaume-Uni) permettaient d’influencer les choix des participants en faveur d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement.

Le choix d’une alimentation plus saine perçu comme la norme à suivre

Pour ce faire, 2488 adultes britanniques ont été invités à indiquer leur degré d’accord avec quatre affirmations impliquant deux types de groupe sociaux de référence à propos de deux domaines (environnement ou santé) :

  1. « La plupart des personnes résidant au Royaume-Uni essaient de choisir des produits alimentaires qui sont meilleurs pour l’environnement.
  2. « Les personnes avec lesquelles je partage mes repas essaient de choisir les aliments qui sont meilleurs pour l’environnement.
  3. « La plupart des habitants du Royaume-Uni essaient de choisir des aliments qui sont meilleurs pour leur santé.
  4. « Les personnes avec lesquelles je partage mes repas essaient de choisir des aliments qui sont meilleurs pour leur santé.

Qu’ils se réfèrent à la population britannique en général ou aux personnes avec lesquelles ils partagent leurs repas, les participants considèrent que la norme à suivre est prioritairement d’essayer de faire des choix alimentaires plus sains. En effet, alors que 87% des personnes interrogées déclarent accorder de l’importance à une alimentation saine, seules 73% d’entre elles estiment qu’il est également important d’avoir une alimentation durable. De plus, si 75% des participants affirment savoir de quoi est constitué un régime alimentaire sain, ce chiffre tombe à 48% lorsqu’il s’agit d’un régime durable.

Ces résultats concordent avec les conclusions d’un sondage réalisé par la Food Standards Agency du Royaume-Uni qui révèle un manque de sensibilisation et de priorisation des régimes alimentaires durables par rapport aux régimes sains (Heard and Bogdan, 2021).

Une tendance à attribuer davantage de comportements positifs au groupe social le plus proche

Les participants estiment également que les personnes avec lesquelles ils partagent leurs repas cherchent davantage à adopter une alimentation saine et respectueuse de l’environnement que le reste de la population britannique.

Cette observation pourrait s’expliquer par le fait que les individus ont tendance à attribuer davantage de comportements positifs aux personnes avec lesquelles ils s’identifient étroitement (celles qui partagent leurs repas) par rapport à celles avec lesquelles ils sont plus éloignés (Tajfel et al., 1979).

Le comportement perçu de nos proches est un levier d’amélioration de nos comportements

Dans le cadre de cette étude, les participants ont également été soumis à une simulation d’achats alimentaires à l’aide d’une plateforme en ligne, destinée à imiter le plus fidèlement possible un supermarché. Les participants ont été invités à sélectionner des produits qu’ils choisiraient habituellement parmi une liste de 20 000 denrées extraites de base de données britanniques (Harrington et al., 2019) et comprenant :

  • Un « en-cas gourmand » à consommer tout de suite ;
  • De la viande, du poisson ou une alternative protéique végétale pour le repas principal.

Les participants qui considèrent que leur entourage fait des choix alimentaires plus sains et plus respectueux de l’environnement ont choisi des aliments présentant de faibles impacts environnementaux et sanitaires.

Ce travail démontre ainsi l’existence d’une relation cohérente entre le comportement individuel et la norme perçue lorsque celle-ci est appliquée par un groupe social proche. A l’inverse, cette relation n’a été pas été observée pour un groupe social plus éloigné que ce soit concernant la santé ou l’environnement. L’utilisation des groupes sociaux serait donc un levier pertinent pour modifier la perception des normes relatives aux choix alimentaires, en privilégiant les groupes les plus proches de l’individu.

Basé sur : Çoker et al. Perceptions of social norms around healthy and environmentally-friendly food choices : Linking the role of referent groups to behavior. Frontiers in Psychology, 2022 ; 13 : 974830.

Théorie de l’identité sociale 

L’identité sociale correspond à tout ce qui permet à autrui d’identifier un individu par les statuts, les codes, les attributs qu’il partage avec les autres membres des groupes auxquels il appartient ou souhaiterait appartenir (Turner et al., 1997).

À la fin des années 1970, le psychologue Henri Tajfel s’est lancé dans une série d’expériences visant à identifier les facteurs socio-psychologiques à l’origine de préjugés et de discrimination à l’égard d’un groupe social. Il a notamment démontré que même lorsque les distinctions entre les groupes sont arbitraires, les individus sont capables de de préjugés à l’égard de leur groupe. De ces observations est née la théorie de l’identité sociale selon laquelle les individus s’efforcent d’acquérir une identité sociale positive et d’appartenir au groupe « gagnant » (Tjafel et al., 2001). Le concept de soi positif est ainsi associé à la capacité de considérer le groupe d’appartenance non seulement comme bon, mais aussi comme meilleur que les autres groupes (Magnus, 2022).

Méthodologie
Messages clés
  • Le choix d’une alimentation plus saine est davantage considéré comme la norme à suivre que celui d’une alimentation plus respectueuse de l’environnement.
  • Les participants estiment que les personnes avec lesquelles ils partagent leurs repas font des choix plus sains et plus respectueux de l’environnement que le reste de la population britannique.
  • Les participants qui considèrent que leur entourage fait des choix alimentaires plus sains et respectueux de l’environnement présentent des paniers d’achat contenant des aliments avec un faible impact environnemental et sur la santé.
Références
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