OBÉSITÉ DE L’ENFANT : REGARDS ET PERSPECTIVES

LA PETITE ENFANCE, ÉTAPE CLÉ POUR LA PRÉVENTION DE L’OBÉSITÉ

3 étapes critiques durant l’enfance

Les données récentes de l’Enquête de Santé Ecossaise indiquent une augmentation significative de la moyenne nationale de l’indice de masse corporelle (IMC) (Bromley et al., 2005) et une augmentation exponentielle de l’obésité infantile.
Identifier les étapes de la vie à l’origine du surpoids et de l’obésité permettrait de définir la cible des campagnes de prévention. Dietz a identifié trois étapes critiques durant l’enfance où une prise excessive de poids est la plus probable: la période foetale et la petite enfance, le rebond adipeux entre 5 et 7 ans et l’adolescence.

La période post-natale est cruciale pour l’acquisition d’habitudes alimentaires qui peuvent, certes faciliter une croissance optimale, mais également instaurer des comportements prédisposant à la prise excessive de poids. La petite enfance est l’occasion de modifier les pratiques nutritionnelles, d’influencer la régulation de l’appétit et de façonner les habitudes alimentaires précoces. C’est également une étape clé pour la prévention.

L’importance de la vitesse de prise de poids

Plusieurs études (Ong et al., 2000; Reilly et al., 2005; Stettler et al., 2003, 2005) ont montré l’importance de la vitesse de la prise pondérale comme facteur de risque pour le développement ultérieur de surpoids et d’obésité.

Les enfants qui prennent rapidement du poids durant leurs premiers mois sont plus susceptibles de devenir obèses durant l’enfance que ceux dont la croissance est normale (Stettler et al., 2005). Chez 90 enfants islandais, suivis de l’âge d’un à six ans, Gunnarsdottir et Thorsdottir (2003) ont observé une forte corrélation entre la prise de poids au cours des 12 premiers mois et l’IMC à 6 ans, pour les filles et les garçons. Plusieurs variables contribuent à cette croissance rapide, comme la croissance de “rattrapage” chez les bébés de faible poids de naissance (Ibanez et al., 2006). Soit ils réclament plus pour “rattraper” leur sous-alimentation durant la grossesse, soit les mères réagissent en les nourrissant plus à cause de leur faible poids.

Allaitement maternel : un rôle protecteur

Il a été suggéré que l’allaitement maternel protège contre la prise de poids rapide et réduit le risque d’excès pondéral. Dans une revue de 61 études sur la question, Owen et al. (2005) concluent que l’allaitement maternel protège contre l’obésité. Mécanisme probable ? Une meilleure correspondance entre les besoins énergétiques de l’enfant et la composition du lait maternel par rapport aux formules industrielles. Les mères qui donnent le sein ou le biberon ont des comportements différents envers leurs bébés (Wright, 1988).

L’allaitement à la demande permet à l’enfant de moduler la fréquence et la structure des repas et favorise le développement précoce du système de l’appétit en réponse à des signaux internes (faim et satiété). En outre, les attitudes, croyances et inquiétudes de la mère influencent les comportements alimentaires. Burdette et al. (2006) ont retrouvé une plus forte adiposité chez les enfants de 5 ans dont la mère avait une forte inquiétude au sujet de la suralimentation que chez ceux dont la mère s’inquiétait moins. L’inquiétude maternelle était plus élevée chez les mères obèses. Ainsi, le profil de poids maternel conditionne l’environnement biologique et comportemental (méthode et horaires d’alimentation) de l’enfant.

Attention au sevrage précoce !

Les enfants sevrés précocement (à 4 mois ou avant) semblent avoir un plus grand risque de surpoids et d’obésité durant l’enfance. A partir des données d‘ALSPAC (Avon Longitudinal Study of Parents and Children – Etude longitudinale Avon chez les parents et les enfants), Ong et al. (2006) ont examiné la relation entre la consommation alimentaire à 4 mois et la prise de poids durant les 5 premières années, ainsi que le poids à 5 ans. Les enfants sevrés précocement (1 à 2 mois) avaient un apport énergétique global significativement plus élevé que ceux sevrés plus tard (3 à 4 mois ou plus). Un apport énergétique élevé à 4 mois était associé à un plus fort gain de poids entre la naissance et l’âge de 1, 2 et 3 ans et à des poids corporels plus élevés à 1 et 5 ans. Cette corrélation n’a pas été retrouvée chez les enfants allaités. Cette étude montre l’impact négatif du sevrage précoce sur la rapidité de la prise de poids et l’IMC durant la petite enfance.

Quand bébé est “affamé”

Des entretiens avec les mères (Alder et al., 2004; Anderson et al., 2001) suggèrent que l’introduction précoce d’aliments solides est associée à un faible niveau socio-économique, à la perception par la mère des besoins de l’enfant ( bébé “affamé”), aux échantillons alimentaires offerts par les fabricants et à la pression de l’entourage pour ne pas prolonger l’alimentation au sein ou au biberon. On peut se demander comment les mères identifient leur bébé comme étant “affamé” ? Des enfants pourraient réclamer beaucoup, en rapport avec une croissance de “rattrapage” s’ils avaient un faible poids à la naissance. Dans une étude prospective comptant 923 enfants, Wright et al. (2004) ont noté que l’âge moyen d’introduction d’aliments solides était de 3,5 mois (21% des cas avant 3 mois). Facteurs prédictifs du sevrage précoce: une prise de poids rapide de la naissance à 6 semaines, un faible niveau socio-économique, une perception parentale de bébé affamé et le mode d’alimentation. Une prise de poids rapide peut être associée au sevrage précoce parce que l’enfant est perçu comme “affamé” et que les aliments solides sont nécessaires pour satisfaire ses besoins.

Rien n‘est très clair… Est-ce que les mères répondent aux bébés affamés qui veulent “se rattraper” en les nourrissant plus et en les sevrant précocement ? Est-ce que les mères perçoivent la détresse de l’enfant comme de la “faim” et y répondent en le nourrissant afin de le réconforter ? En tout cas, l’introduction précoce d’aliments très énergétiques faciliterait la prise de poids et pourrait contribuer à l’adiposité et, au final, à l’obésité.

L’influence de la corpulence

La perception maternelle des besoins de l’enfant peut être associée à sa propre corpulence. Des recherches menées auprès des mères Afro-américaines ont montré que la perception d’une petite corpulence chez les bébés augmentait la probabilité d’introduire de façon précoce des aliments solides non-laitiers (Boyington et Johnson, 2004). La perception d’une corpulence “acceptable” varie en fonction de la classe sociale. Les mères Afro-américaines acceptent mieux un bébé de forte corpulence et peu y voient un risque potentiel pour la santé (Young-Hyman et al., 2000), certaines pensant même qu’un bébé “joufflu” est un bébé “en bonne santé”.

Kramer et al. (1983) ont développé un outil pour explorer les préférences maternelles pour différentes corpulences, utilisant 4 dessins d’un bébé de 9 mois, allant d’assez fin à très rond. Ils l’ont testé chez 50 mères dans les 48 heures suivant l’accouchement. Résultat : les mères plus âgées et de classe socio-économique plus élevée préfèrent des enfants plus fins. Les mères qui allaitent rapportent une préférence pour un bébé plus fin que celles qui donnent le biberon.

Ainsi, la perception maternelle que son bébé est petit, la croyance qu’un plus gros bébé est en meilleure santé, l’inquiétude d’avoir un bébé “affamé”, contribuent probablement au sevrage précoce, à la suralimentation et au choix entre l’allaitement au sein ou au biberon.

6 clés pour prévenir l’obésité infantile

Il apparaît que les habitudes alimentaires du nourrisson conditionnent le risque de surpoids et d’obésité ultérieurs. A mesure que les enfants grandissent, différents facteurs interagissent et contribuent à moduler ce risque : la pratique d’une activité physique, le temps passé à regarder la télévision, le choix d’une alimentation saine, l’apport énergétique total par rapport aux besoins…

Six stratégies clés ont été recommandées pour prévenir le surpoids chez les enfants (Sherry, 2005) :

  • la promotion de l’allaitement maternel,
  • la participation accrue à des activités physiques,
  • la réduction du temps passé à regarder la télévision,
  • la réduction de la consommation de boissons sucrées,
  • la diminution de la taille des portions,
  • l’augmentation de la consommation de fruits et légumes.

    Cependant des études sont nécessaires afin de mieux comprendre les facteurs qui contribuent à accroître le risque d’obésité et de définir des interventions appropriées pour endiguer la prise de poids. On ne sait pas à quel point ces interventions devraient être individualisées, en intégrant les différences de susceptibilité aux environnements “obésogènes”, ou comment les inscrire dans une stratégie de santé publique. Evidemment, l’idéal, étant donné la pandémie actuelle chez les enfants, serait de prévenir l’obésité à la fois par une alimentation personnalisée et une politique efficace de santé publique…

Marion M. Hetherington
Institut de Sciences Psychologiques, Université de Leeds, ROYAUME-UNI
  • Alder EM et al. (2004). Br J Nutr; 92(3):527-31.
  • Anderson AS et al. (2001). Health Educ Res. 16(4):471-9.
  • Boyington JA & Johnson AA (2004). J Natl Med Assoc; 96(3):351-62.
  • Bromley C et al. (2005). The Scottish Health Survey 2003 (4 Vols). Edinburgh, The Stationary Office.
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  • Dietz WH (1994). Am J Clin Nutr 59: 955-959.
  • Gunnarsdottir I & Thorsdottir I (2003). Int J Obes Relat Metab Disord, 27(12):1523-7.
  • Ibanez L et al. (2006). J Clin Endocrinol Metab, 91(6):2153-8.
  • Kramer MS et al. (1983). J Chronic Dis; 36(4):329-35.
  • Ong KK et al. (2006). Pediatrics; 117(3):e503-8.
  • Owen CG et al. (2005). Pediatrics, 115: 1367-1377.
  • Reilly JJ et al. (2005). BMJ; 330(7504):1357
  • Sherry B (2005). Int J Obes, 29, S116-S126.
  • Stettler, N et al. (2003). Am J Clin Nutr, 77:1374-8.
  • Stettler N et al. (2005). Circulation;111(15):1897-903.
  • Wright CM et al. (2004). Arch Dis Child; 89(9):813-6.
  • Wright P (1988). J Psychosom Res, 32(6):613-9.
  • Young-Hyman D et al. (2000). Obes Res; 8(3):241-8.
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