OBÉSITÉ DE L’ENFANT : REGARDS ET PERSPECTIVES

LES STRATÉGIES DES INDUSTRIELS DE L’ALIMENTATION FACE À L’ÉPIDÉMIE D’OBÉSITÉ

La forte expansion de l’obésité dans la période récente a contraint les leaders mondiaux du secteur alimentaire à réagir rapidement. Industriels, distributeurs et groupes de restauration ont perçu cette évolution comme une menace pour leur activité : la prise de conscience de cette “épidémie” s’est en effet accompagnée d’une mise en cause de la responsabilité des géants de l’alimentation (cf le documentaire “Super Size Me” qui mettait en scène les méfaits sur la santé de “l’alimentation Mc Donald’s “).

UN NOUVEAU PHÉNOMÈNE : LES “PROCÈS GRAS”

D’abord aux Etats-Unis (Kellogg’s, Kraft foods, Mc Donald’s), puis aujourd’hui en Europe, des procès – les “fat suits” ou “procès gras” – ont été intentés à l’encontre de groupes accusés de faire le lit du surpoids et de l’obésité. En France, en décembre 2005, l’Union Fédérale des Consommateurs a obtenu la condamnation par un tribunal du fabricant de “Vittel, goût pêche, enrichi en calcium” pour publicité et présentation trompeuses (dissimulation du taux de sucre, packaging et positionnement dans les linéaires conduisant à assimiler cette boisson à une eau minérale).

Aux accusations lancées par les consommateurs se sont ajoutées celles émanant de médecins, de scientifiques, des médias et des pouvoirs publics : dans plusieurs pays, la publicité télévisée pour des produits alimentaires destinés aux jeunes enfants a été strictement réglementée ; en France, les distributeurs automatiques de friandises et de boissons sucrées n’ont plus droit de cité dans les établissements scolaires.

DU DÉNI À L’ÉVOLUTION DE L’OFFRE DES PRODUITS

Face à ces mises en cause, les réponses des entreprises ont été variées. Dans un premier temps, certaines ont pratiqué le déni de responsabilité. Leurs dirigeants ont souligné le fait que leurs produits ne pouvaient en aucun cas être incriminés, le (seul) vrai coupable de l’obésité étant le manque d’exercice physique (Mac Donald’s s’est alors mis à offrir un podomètre avec ses Happy Meals tandis que d’autres sociétés sponsorisaient des activités sportives).

De nombreux industriels se sont également engagés dans une évolution de leur offre produits : proposition de salades “fraîcheur” et de coupes de fruits en morceaux (Mc Donald’s), lancement de nouveaux produits allégés en sucres et/ou en matières grasses, création de marques spécifiques (Taillefine, Sveltesse, Fitness, etc) ou déclinaison des produits phares en version light pour capitaliser sur la notoriété de la marque, modification des recettes existantes afin de diminuer la densité énergétique, réduction de la taille des portions (mais sans toujours réduire le prix de vente !), rachat d’entreprises fabriquant des produits à image santé, création d’aliments fonctionnels “santé + minceur”, etc. Parallèlement, des investissements importants ont été consentis dans le domaine de la communication publicitaire et institutionnelle : informations nutritionnelles sur les packagings, pratiques marketing “éthiques” (engagements à ne pas diffuser de publicités trompeuses, par exemple), financement d’études scientifiques sur la nutrition, attribution de “prix nutrition – santé”, création de sites internet et de numéros d’appels gratuits délivrant des conseils diététiques, promotion des activités physiques…

DES INTERVENTIONS EFFICACES EN TERME DE SANTÉ PUBLIQUE ?

Toutes ces stratégies se sont-elles traduites par des changements significatifs en matière d’offre produits et/ou de communication, c’est-à-dire des changements susceptibles de freiner l’essor de l’obésité et des autres pathologies liées à l’alimentation ?

Pour apporter des éléments de réponse à cette question clé, des chercheurs de la City University de Londres ont présenté, en avril 2006, les conclusions d’une étude réalisée auprès des 25 leaders mondiaux du secteur alimentaire. Le panel comportait les dix premiers fabricants d’aliments (Coca-Cola, Nestlé, Kraft, Cadbury-Schweppes, Unilever, Danone…), les dix premiers distributeurs (Carrefour, Tesco…) et les cinq premiers restaurateurs (parmi lesquels trois chaînes de fast-food dont McDonald’s et deux entreprises de restauration collective dont le français Sodexho). L’objectif de la recherche était de vérifier si ces 25 géants de l’alimentation avaient réellement intégré dans leur stratégie et leurs produits les recommandations nutritionnelles publiées en mai 2004 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Avec l’aide d’analystes financiers, ces scientifiques anglais ont épluché rapports annuels, sites internet et documents internes décrivant les politiques, actions et engagements de chaque firme sur les aspects relatifs à la santé. Ils se sont intéressés aux budgets, aux activités de recherche-développement, au marketing, à la publicité et au sponsoring. Ils ont évalué la qualité nutritionnelle des produits, examiné les informations portées sur les étiquettes…

UNE TROP FAIBLE IMPLICATION DES ENTREPRISES

Parmi les résultats de ce travail, on retiendra que…

  • seulement 4 sociétés sur 25 (dont Kraft et PepsiCo…) ont réduit de façon significative les matières grasses dans leurs produits (et pas seulement dans un nombre limité de ces derniers) ;
  • 5 groupes (parmi lesquels Kraft, PepsiCo et Unilever) ont fait de réels efforts pour réduire le sucre ;
  • 10 ont agi sur la teneur en sel (dont Cadbury Schweppes, Kraft, Nestlé, PepsiCo, Unilever et Carrefour) ;
  • 2 entreprises ont diminué la taille des portions (Kraft et McDonald’s) ;
  • 8 ont pris des mesures pour réduire les “mauvaises” graisses (acides gras trans) : Cadbury-Schweppes, Danone, Kraft, Nestlé, PepsiCo, Unilever…

    Pour les experts de la City University, “le tableau d’ensemble est assez pauvre, avec trop d’entreprises non impliquées” dans une évolution de leur stratégie et de leurs produits favorable à la santé. Les chercheurs notent également que “le manque de ressources financières ne peut être utilisé comme excuse : la plus petite entreprise enquêtée a un chiffre d’affaires cinq fois supérieur au budget annuel de l’OMS”.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
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