OBÉSITÉ DE L’ENFANT : REGARDS ET PERSPECTIVES

LE SUCRÉ : Du bon goût à l’excès…

Les déviations alimentaires autour du goût sucré sont emblématiques d’une société de consommation trop déconnectée
des besoins naturels de l’homme et d’une mauvaise gestion du plaisir de manger.

Un goût inné chez l’homme

Dès la naissance, le bébé apprécie le goût sucré et manifeste une réaction de plaisir lorsqu’on dépose une goutte de sirop sur sa langue. En comparaison, le goût du lait maternel apparaît bien fade ! Compte tenu de nos origines de chasseur-cueilleur, il n’est pas étonnant que le goût sucré soit inné chez l’homme. Dans un univers naturel pas nécessairement favorable à la survie de nos ancêtres, cette sensibilité au sucre était indispensable à la recherche des produits végétaux riches en sucres assimilables.

La prédilection des enfants pour le goût sucré a été à l’origine de bien des dérives : “gâteries affectives” sous forme de bonbons ou de confiseries, usage immodéré de boissons sucrées, manipulation du goût des aliments de base comme les produits céréaliers et aujourd’hui les produits laitiers… Cette “manipulation” du goût des enfants a progressivement entraîné une infantilisation du goût des adultes qui se sont toujours plus tournés vers la consommation de produits laitiers sucrés, de glaces, de jus de fruits ou de sodas…

L’utilisation florissante des sirops de fructose et de glucose

A l’origine, le sucre était une denrée rare et chère. Les glucides simples tels le saccharose ou le fructose occupaient alors une place bien modeste dans la couverture des besoins énergétiques de l’homme. La situation alimentaire a changé : le kilo de pain est devenu plus cher que le kilo de sucre, d’autant que l’utilisation de cet ingrédient dans une multitude d’aliments et de boissons est très avantageuse sur le plan économique. Ainsi, l’utilisation du sucre de table a diminué mais la consommation de sucres simples n’a cessé d’augmenter. Si celle du saccharose s’est stabilisée, elle a été relayée par l’utilisation florissante de sirops de fructose et de glucose, produits à partir d’amidon des céréales. Résultat : aux 35 kg de saccharose consommés par an et par personne, il faut ajouter une dizaine de kg de fructose et sans doute autant de glucose. Si cette évolution se poursuit nous finirons par consommer plus de sucres simples que de pain, sans même nous en rendre compte !

Une complexité nutritionnelle favorable à l’organisme

En quoi cette évolution est-elle dangereuse ? D’abord parce qu’elle affecte la bonne couverture de nos besoins en minéraux, vitamines et autres micronutriments. Les sucres simples ajoutés représentent des “calories vides” qui diminuent d’autant la densité nutritionnelle de l’alimentation. Dans un fruit sucré, parvenu à maturité, les sucres simples sont accompagnés de fibres, de minéraux, d’antioxydants, d’acides organiques de potassium (dotés de propriétés alcalinisantes), de divers micronutriments protecteurs… Dans ce cas, le “bon” goût sucré ne nous trompe pas, il est garant d’une bonne complexité nutritionnelle favorable à l’organisme. En revanche, dans les aliments industriels, la situation est toute autre : ces aliments, trop chargés en sucre, en matières grasses ou en amidon purifié, posent un problème récurrent de densité nutritionnelle. Paradoxalement, l’abondance alimentaire de nos supermarchés ne nous donne pas l’assurance d’être bien nourris.

Des déviations du comportement alimentaire

A côté de ces conséquences nutritionnelles négatives directes, la recherche du goût sucré joue un rôle déterminant dans les déviations du comportement alimentaire qui peuvent conduire au développement de l’obésité, en particulier chez l’enfant. En effet, il existe une offre foisonnante de produits sucrés que nos jeunes consommateurs additionnent sans que cela contribue à régulariser leurs prises alimentaires lors des repas suivants. Pire, l’offre d’un repas bien équilibré ne permet pas d’éviter que des enfants ou des adolescents réclament, en supplément, le maximum de sources sucrées (boissons, biscuits, glaces, barres…). Parfois, ce sont même des adultes qui ont un tel comportement. Qu’une attirance si naturelle vers le sucre contribue à déstructurer si fortement le comportement alimentaire aurait dû attirer plus tôt l’attention des Pouvoirs Publics et des professionnels de l’agroalimentaire pour prévenir l’épidémie mondiale d’obésité qui touche, paradoxalement, également les populations les plus démunies.

Ainsi, la consommation excessive de sucres simples contribue à la prise excessive de calories. Si les glucides sont moins efficaces que les matières grasses pour aboutir à la conversion directe de l’énergie excédentaire en graisses corporelles, il y a suffisamment de graisses cachées dans les aliments industriels qui ne demandent qu’à être stockées. La synergie métabolique des glucides stimule la lipogenèse par leurs effets sur l’insulinosécrétion. Il est donc inutile que les deux lobbies des sucres et des graisses se renvoient la responsabilité de la montée actuelle de l’obésité… ils en sont tous les deux responsables !

Alors, quelles réponses apporter ?

Au lieu de s’engager vers la voie, plus sûre, de réduction du goût sucré des aliments et des boissons, l’industrie a de plus en plus recours aux édulcorants. Cela ne résout pas pour autant les déviations du comportement alimentaire ou l’infantilisation du goût.

En outre, utiliser le fructose comme sucre diététique à la place du saccharose n’a aucun fondement scientifique. Bien que le fructose soit un sucre naturel apporté par les fruits ou le miel, consommé en excès, il a des effets pro-oxydants et d’autres effets délétères sur la glycation des protéines. Le glucose est donc mieux toléré par l’organisme que le fructose.

La consommation de sucres simples devrait toujours être très modérée. Les fruits et le miel devraient être les principales sources de ces sucres. Ils auraient l’avantage de fournir à l’organisme les antioxydants capables d’inhiber les effets pro-oxydants du fructose et d’autres facteurs de protection. Quant aux sucres utilisés dans la confection des aliments, il n’y a aucune raison de les purifier entièrement et de les débarrasser de toute trace de minéraux et micronutriments.
En somme, on voit que la recherche du goût sucré peut être compatible avec une bonne gestion du plaisir et des relations entre alimentation et santé.

Christian Rémésy
Directeur de recherche - INRA - FRANCE

C. Demigné, Y. Rayssiguier, C. Rémésy, A. Mazur : Fructose intrinsèque (fruits, miel) et fructose rajouté, des effets différents ? Médecine et Nutrition, 2006, vol. 42, n°1.

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