Fruits et légumes et os : défis et opportunités pour l’avenir

LES FRUITS ET LÉGUMES : des aliments délicats qui font des os solides

Une approche nutritionnelle orientée sur les aliments

L’étude des relations entre la nutrition et la santé osseuse s’est surtout focalisée sur des minéraux spécifiques comme le calcium, le phosphore ou le magnésium. Les recommandations visant à préserver la masse osseuse sont quasi exclusivement centrées sur les apports calciques. Cependant l’os est un tissu complexe dont l’intégrité dépend d’un large spectre de micronutriments. D’où l’intérêt d’une approche nutritionnelle globale, orientée sur les “aliments” plutôt que centrée sur certains “nutriments” (New 2003). Ainsi les fruits et légumes jouent un rôle important en matière d’ostéoporose.

Le squelette : un réservoir de substances alcalines

Le rôle des l’os dans le maintien du pH plasmatique et de l’équilibre acido basique est complexe (Barzel, 1995). C’est un gigantesque réservoir de substances alcalines, mobilisables en réponse à une acidose métabolique. Les situations d’acidose sont associées à une hyper-calciurie et une balance calcique négative. L’essentiel du calcium de l’organisme étant contenu dans l’os, le squelette contribue à cette élévation de l’excrétion urinaire de calcium (Buclin 2001). L’acidose diminue la réabsorption rénale du calcium et un excès d’H+ provoque une libération du calcium osseux. Même faible, une diminution du pH se traduit par une augmentation de la résorption osseuse (Bushinski 1996). Ainsi l’ostéoporose pourrait être la conséquence de l’utilisation des capacités tampons du squelette, en réponse à une acidose chronique induite par l’alimentation.

Une alimentation “acidifiante” ?

L’alimentation occidentale, riche en produits animaux, est une source d’acides sulfuriques et phosphoriques issus du métabolisme des protéines (Patience, 1990). Plus elle est riche en précurseurs acides, plus le degré d’acidose systémique est important. Par rapport à celle des homos sapiens, notre alimentation est considérablement appauvrie en aliments alcalinisants, sources de bicarbonates (Sebastian, 2002). Elle génère environ 1 mEq d’H+ par jour. S’il faut 2 mEq de Ca/kg pour neutraliser 1 mEq d’H+/kg par jour, cela entraînerait une perte de 15% de masse osseuse sur 10 ans (New 2003). De plus, l’acidose alimentaire s’accentue avec le déclin de la fonction rénale lié, à l’âge (Frassetto 1996).

L’ingestion régulière d’aliments alcalinisants, comme les fruits et les légumes, est donc un facteur important de bonne santé osseuse. Une des explications réside dans leur richesse en potassium. L’alimentation actuelle, riche en aliments transformés, se caractérise par une discrète déplétion en potassium, associée à un relatif excès de sodium. Or, les fruits et légumes sont riches en sels organiques de potassium (citrate, malate) capables de générer des bicarbonates de potassium, neutralisant les anions sulfates, issus du catabolisme des acides aminés soufrés (Demigné 2004).

Les végétariens font ils de vieux os ?

Les études de populations végétariennes n’ont pas retrouvé de différence de densité osseuse avec les non végétariens. Or, de nombreux d’aliments prisés par les végétariens génèrent une grande quantité d’acide dans les urines (New 2004), reflétée par la charge potentielle rénale acide des aliments (PRAL : potential renal acid load (Remer 1994, 1995 ; Frassetto 1998)). Ainsi, un grand nombre de produits céréaliers et certains fromages ont une charge potentielle acide rénale élevée.

Les leçons des études de population

De nombreuses études d’observation ont montré un effet bénéfique des fruits et légumes sur la santé osseuse (New 2003).
• L’Aberdeen prospective osteoporosis study (5000 femmes écossaises âgées de 45 à 55 ans) (Macdonald 2004, 2005) montre que :

  • les femmes pré-ménopausées qui ont les plus faibles apports en potassium, magnésium, fibres, vitamine C et ß-carotène ont les densités osseuses les plus basses (rachis, fémur)(New S.A 1997).
  • il existe une corrélation négative entre les marqueurs de résorption osseuse (pyridinoline, déoxypyridinoline) et les apports en potassium magnésium, ß-carotène, fibres et vitamine C. La résorption osseuse est la plus faible dans les niveaux de consommation les plus élevés en K, Mg, ß-carotène, vitamine C.
  • les femmes avec une consommation de fruits élevée dans l’enfance ont une densité fémorale osseuse plus élevée (New S.A. 2000).
  • les quartiles de NEAP (production acide nette endogène de l’alimentation) les plus bas sont associés aux densités osseuses les plus élevées (fémur, rachis, avant bras) et aux taux de marqueurs de résorption osseuse les plus bas (New SA, Macdonald 2001).

• Les adolescentes qui consomment au moins 3 fruits et légumes par jour ont une surface et un contenu minéral osseux plus importants que celles qui en consomment moins de 3 par jour (Tylavsky, 2004).

• La Framingham Osteoporosis study (1988-89), réalisée chez 1164 sujets de 75 ans en moyenne, révèle qu’un profil alimentaire riche en fruits, légumes et céréales, s’associe à la densité minérale osseuse la plus élevée pour tous les sites (Tucker et al, 1999, 2002).

Et les études d’intervention ?

Une intervention réalisée chez 15 femmes jeunes a montré que la consommation de pommes fraîches et transformées entraîne une réduction de l’excrétion nette d’acide et une moindre élévation de la calciurie, par rapport à une alimentation riche en protéines (Bell J.A. 2004).

Dans l’étude DASH, l’augmentation de la consommation de fruits et légumes de 3,6 à 9,5 portions par jour réduit l’excrétion urinaire de calcium. Dans l’étude DASH Sodium, le régime DASH a été associé à une réduction du turn over osseux en faveur de la formation (Lin 2003). Cette nouvelle approche nutritionnelle, centrée sur les aliments plus que sur les nutriments, apporte des arguments nouveaux en matière de prévention de l’ostéoporose. Les arguments en faveur du rôle bénéfique sur la santé osseuse des aliments alcalinisants, comme les fruits et légumes, s’accumulent. Il est important d’entreprendre des études d’intervention à long terme pour évaluer leur impact réel, en particulier sur le risque de fractures.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
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