Fruits et légumes et os : défis et opportunités pour l’avenir

OSTÉOPOROSE ET ALIMENTATION PLAIDOYER POUR UNE NUTRITION PRÉVENTIVE GLOBALE

Des réalités physiologiques, aux discours réducteurs…

Quel paradoxe ! C’est dans la plupart des pays occidentaux, où règne une très grande abondance alimentaire – en particulier de produits laitiers, qu’existe la prévalence la plus élevée d’ostéoporose. A tel point que dans ces pays confrontés au vieillissement de leurs populations, le risque d’ostéoporose est devenu un problème majeur de santé publique. Comme les arguments nutritionnels sont devenus essentiels dans un univers de concurrence alimentaire, le lobby laitier s’est résolument « emparé » du discours de prévention de l’ostéoporose par le calcium, au point d’en faire un des socles des recommandations diététiques les plus répandues et les plus admises sur le terrain. Comme quoi, il est plus facile d’adhérer à un discours réducteur qu’à une réalité physiologique pourtant bien plus complexe…

La disponibilité en calcium ne suffit pas !

Dans la première partie de la vie (jusqu’à l’âge de 25 ans) les nutritionnistes s’accordent à dire qu’il est important d’acquérir un maximum de masse osseuse pour disposer d’un capital suffisant pour le restant de la vie afin de subvenir aux pertes inéluctables dues au vieillissement. D’où les recommandations concernant les apports de calcium, de vitamine D, l’ensoleille-ment, l’exercice physique. En réalité, la santé osseuse est tributaire – comme tous les autres organes – d’un ensemble de facteurs nutritionnels : bonne couverture des apports en protéines, minéraux, vitamines ou acides gras essentiels mais aussi forte disponibilité en micro-nutriments divers, des phytoestrogènes jusqu’aux antioxydants. Il est donc très difficile d’affirmer, et surtout de montrer, que la disponibilité en calcium est un facteur limitant pour l’acquisition du capital osseux. D’autant que la vitesse de croissance de l’homme est particulièrement lente et ne nécessite pas une fixation élevée de calcium par jour, de l’ordre de 140 mg avec des pointes proches de 250 mg chez l’adolescent en croissance rapide. Mais comme ces périodes de forte croissance osseuse (à l’instar des états de gestation et de lactation) sont accompagnées d’une bien meilleure efficacité de l’absorption intestinale du calcium, il est sans doute rare que la disponibilité en calcium soit limitante pour acquérir une bonne densité osseuse. Cependant, la consommation de produits laitiers reste une recommandation prudente pour la couverture des besoins en calcium du jeune en croissance. Pour prévenir l’ostéoporose, il est cependant étonnant que cette recommandation soit devenue le principal message, véhiculé tant pour le jeune que pour l’adulte, au point que le rôle de certains aliments comme les fruits et légumes soit passé sous silence.

L’importance des pertes urinaires en calcium

Approche la plus commune ? Apporter le maximum de calcium alimentaire à l’os pour qu’il en fixe le plus possible. Ainsi, c’est négliger le rôle clé des facteurs nutritionnels ou physiologiques qui entrent en jeu dans cette fixation mais c’est aussi ne pas tenir compte du déterminisme des pertes calciques, en particulier urinaires. A l’évidence, ceci conduit à un pilotage plus qu’imparfait de la prévention nutritionnelle de l’ostéoporose. Cette approche est pourtant relativement commune…

Comment sont caractérisés les régimes occidentaux ? Par leur richesse en matières grasses, en protéines animales, en sucres simples et en sel, avec un accompagnement modeste de glucides complexes et de fruits et légumes. Si la consommation de produits laitiers est des plus élevées, cependant la couverture des ANC en calcium est rarement parfaitement couverte.

Dans ce contexte d’abondance en calories vides, l’alimentation n’apporte pas nécessairement tous les micronutriments nécessaires à la santé osseuse, à l’instar de la vitamine D où d’autres micronutriments. Parfois la croissance osseuse est forcée par le développement de l’obésité, qui constitue une modification bien regrettable du phénotype. Dans une situation opposée, le développement de l’anorexie contribue à diminuer dangereusement la densité osseuse.

Le rôle alcalinisant des fruits et légumes

En dehors de ces situations extrêmes, les caractéristiques habituelles de l’alimentation occidentale favorisent les pertes urinaires de calcium par plusieurs mécanismes. D’abord par l’effet inhibiteur du sel sur la réabsorption rénale du calcium, ensuite par l’effet acidifiant des viandes qui augmentent l’excrétion rénale d’acides et de calcium, enfin, par la faible disponibilité en aliments alcalinisants. En effet, les aliments comme les fruits et légumes ou la pomme de terre sont très riches en acides organiques de potassium et magnésium, qui sont métabolisés dans l’organisme en équivalents bicarbonates.
Cette source d’agents alcalinisants permet de réduire la mobilisation du calcium osseux consécutive aux états d’acidose d’origine alimentaire, avec in fine une réduction des pertes urinaires de calcium. Ainsi, il semble bien peu utile de disposer d’une abondance de calcium alimentaire si les conditions nécessaires à sa fixation ne sont pas optimales et surtout si l’environnement nutritionnel accélère sa perte urinaire.

Connaître les bonnes associations alimentaires

Il est enfin temps de prendre en considération l’importance des facteurs nutritionnels extra-calciques dans la prévention de l’ostéoporose et de favoriser le développement d’une nutrition préventive globale. Certes, il peut être bénéfique de consommer des produits laitiers, à condition qu’ils ne soient pas des sources trop importantes de gras, de protéines, de sel, voire de sucres. Surtout, il est indispensable de les consommer en association avec des aliments alcalinisants complémentaires que sont les fruits et les légumes. Combien de temps faudra-t-il encore pour corriger les défauts les plus évidents des modes alimentaires occidentaux et les discours nutritionnels réducteurs qui les accompagnent ?

Christian Rémésy
Directeur de recherche - INRA - FRANCE
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