Habitudes alimentaires et diabète

QUAND PAUVRETÉ RIME AVEC OBÉSITÉ

De nombreuses études ont montré que, dans les pays industrialisés, les populations économiquement défavorisées présentaient un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires, de cancers, de diabète de type 2, d’hypertension artérielle, d’ostéoporose… Illustration de la persistance de cette inégalité sociale face à la santé : encore aujourd’hui, un ouvrier français court trois fois plus de risques qu’un cadre de mourir prématurément(1). Toutes les maladies citées ci-dessus ont en commun d’être des pathologies chroniques liées à l’alimentation… à l’image de l’obésité. Cette dernière est, elle aussi, d’autant plus fréquente que le statut socio-économique des personnes est faible.

D’après la dernière enquête OBEPI (2006), l’obésité affectait 18,8 % des membres des foyers gagnant moins de 900 ? nets par mois contre seulement 5,4 % des personnes dont le revenu dépassait 5 300 ?.

Une question de volonté ? Non : d’environnement

Ce constat ne signifie pas que les plus pauvres seraient, par faiblesse ou paresse, par ignorance ou indifférence, incapables de “gérer leur capital santé”. Incapables de résister à l’attrait spontané pour les aliments gras et sucrés ainsi qu’aux sirènes de la publicité alimentaire, de consentir les efforts nécessaires pour s’informer, acheter régulièrement des fruits, cuisiner des légumes et du poisson, pratiquer une activité sportive… On voit bien l’erreur, et surtout le danger, de telles interprétations moralisatrices, où la maladie serait perçue comme la sanction (méritée) de mauvais comportements adoptés par des individus considérés comme étant entièrement responsables de leur état de santé ! Rappelons le ici avec force : l’inégalité sociale face aux pathologies liées à l’alimentation est d’abord une question d’environnement (économique, social, culturel, informatif, etc.) et non une simple affaire de volonté personnelle.

La vision des économistes

Pour certains économistes, la principale explication de ces disparités sociales réside dans le faible prix relatif des aliments les plus denses en calories. Des travaux ont montré qu’une alimentation favorable à la santé coûte plus cher qu’une alimentation constituée de produits énergétiques, très riches en lipides et en sucres (mais dépourvus de fibres et de micronutriments protecteurs).

En 2005, le rapport de la Commission des familles avait évalué le coût minimal d’une alimentation équilibrée entre 4 et 5 ? par jour, alors que les ménages vivant sous le seuil de pauvreté ne disposaient que de 3,70 ? par jour pour leurs dépenses d’alimentation (contre 6,30 ? par Français en moyenne).
De son côté, Nicole DARMON a établi à 3,5 ? par jour pour un adulte le prix minimal à payer pour respecter les recommandations nutritionnelles. Toutefois, l’auteur reconnaît que ce minimum est théorique : dans la vie réelle, il est quasiment impossible d’obtenir une alimentation équilibrée avec un budget aussi réduit(2).
Cherchant avant tout à “ne pas avoir faim”, les personnes les plus pauvres auraient donc tendance à privilégier les aliments très gras et très sucrés : c’est en effet ce type de produits qui constitue aujourd’hui la source de calories la moins chère(3, 4).

Si les pauvres consomment moins d’aliments favorables à leur santé que les riches (moins de fruits, de légumes, de produits laitiers, de poisson, de produits frais en général), ce n’est pas nécessairement parce qu’ils n’ont pas d’argent pour acheter ces “bons” aliments. Des études récentes ont montré que les ménages les plus pauvres n’achèteraient pas davantage de légumes et de fruits si le prix de ces aliments baissait !
Cela montre l’existence d’autres facteurs. Ainsi, par exemple, le fait de ne pas posséder de voiture constitue un frein lorsque les points de vente proposant fruits et légumes frais à des prix abordables sont trop éloignés. De même, l’impossibilité financière d’acquérir des équipements de cuisine adaptés peut faire obstacle à la préparation des légumes frais et orienter les achats vers des produits transformés beaucoup plus pratiques à transporter, à préparer et à stocker.

Sans oublier le culturel et le psychologique…

Mais la contrainte économique – prix relatifs trop élevés et/ou revenu insuffisant – n’est pas seule en cause. Etre pauvre, ce n’est pas seulement “ne pas avoir d’argent”… Un autre facteur explicatif important est le niveau d’études. Il détermine le regard que l’individu porte sur son corps ainsi que l’attention qu’il accorde à sa santé.

Il conditionne aussi la réceptivité vis-à-vis de l’information médicale et nutritionnelle :
les populations faiblement éduquées ont une consommation élevée d’aliments prêts à manger gras et salés (chips, feuilletés, frites, friands, panés, pizzas, etc) ou gras et sucrés (croissants, brioches, biscuits, barres chocolatées…) ; a contrario, elles consomment moins de fruits et de légumes, de produits laitiers et de poisson(5).
De même, il ne faudrait pas sous-estimer l’impact des facteurs psychologiques. Certains comportements, tels que manger en quantité excessive ou grignoter sans arrêt, peuvent aussi s’expliquer par la recherche d’un réconfort, d’une compensation psychique face aux souffrances mentales, à la dépression, à l’ennui ou à la solitude, aux multiples difficultés, soucis et stress de la vie quotidienne. Or, ces situations ou facteurs touchent fortement les populations défavorisées.

Dans le même ordre d’idées, on peut aussi se demander si le fait de manger, plus que de raison et tout au long de la journée, des produits transformés (perçus comme “modernes”) n’est pas aussi, chez certaines personnes, une forme de revanche face à leur sentiment d’exclusion, l’expression inconsciente de leur volonté de participer comme tout le monde à la société de consommation.

Eric Birlouez
Sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, Paris, FRANCE
  1. INSERM-SC8. – Une inégalité inacceptable devant le risque de maladie et la mortalité. www. social. gouv. fr/htm/actu/couv_univ/9. htm, 2006.
  2. Darmon N.et al – Impact of a cost constraint on nutritionally adequate food choices for French women: an analysis by linear programming. J. Nutr Educ. Behav. 2006; 38 : 82-90.
  3. Darmon N., et al – Energy-dense diets are associated with lower diet costs: A community study of French adults. Publ. Health Nutr. 2004: 7 : 21-27.
  4. Andrieu E., Darmon N., Drewnowski A. – Low-cost diets: more energy, fewer nutrients. Eur. J. Clin. Nutr., 2006, 60, 434-436.
  5. Obésité : comprendre, aider, prévenir. Rapport de l’OPEPS – Etude INSERM – octobre 2005
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