Sécurité alimentaire, santé humaine et durabilité : la nécessité d’une approche intégrée

Afrique subsaharienne : les légumes traditionnels, une piste pour lutter contre l’insécurité alimentaire

food insecurity in sub-Saharan Africa-GFVN-September 2023

Alors que la sécurité alimentaire au sens large continue de se dégrader sur le continent africain – en particulier en Afrique subsaharienne – concevoir des systèmes alimentaires garantissant l’accès à une alimentation adéquate et de qualité est plus que jamais nécessaire. Une étude récente a ainsi évalué l’impact d’interventions de sensibilisation concernant les légumes traditionnels africains sur la sécurité nutritionnelle chez des exploitants agricoles de l’ouest du Kenya. D’après ce travail, les interventions associant des actions concernant nutrition, cuisine et production permettraient d’améliorer la qualité et la diversité du régime alimentaire et présenteraient un effet protecteur contre les fluctuations saisonnières de disponibilité et d’accessibilité des légumes traditionnels.

Après une période d’amélioration au début du 21e siècle, l’insécurité alimentaire et la faim dans le monde ont de nouveau augmenté de manière notable depuis 2019, notamment suite à la pandémie de Covid-19 (voir l’avis d’expert de ce numéro). Cette situation touche de manière inégale les régions du monde et l’Afrique est particulièrement impactée (FAO, 2023). Le nombre de personnes souffrant de la faim y a ainsi augmenté de 46 millions entre 2019 et 2021. Plus largement, la sécurité alimentaire continue elle aussi, de se dégrader sur le continent africain augmentant le risque de carences en micronutriments et de maladies infectieuses (FAO, FIDA, UNICEF, DCE, 2021). Au Kenya par exemple, la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou sévère est passée de 53 % en 2014-2016 à 68,5 % en 2018-2020 (FAO, FIDA, UNICEF, DCE, 2021).

Afin de palier à cette situation, diverses initiatives cherchent à appuyer la conception et le développement de système alimentaire durables et résilients adaptés au contexte local. Les légumes traditionnels africains – tels que la morelle noire de Guinée ou le choux africain – font partie des pistes explorées. Ces aliments présentent en effet de nombreux avantages pour contribuer à la santé économique et humaine en Afrique subsaharienne. Ils font partie de la culture alimentaire, sont nutritionnellement denses et sont adaptées à l’environnement et aux conditions de production locales (tolérance aux températures et aux précipitations extrêmes) (Kamga et al.,2013 ; Chivenge et al, 2015 ; Muhanji et al, 2011). Malgré cela, le potentiel des légumes traditionnels africains n’est pas encore exploité notamment du fait d’une disponibilité saisonnière limitée, d’un accès difficile au marché et des prix élevés, entravant la production locale et la consommation des ménages.

Partant de ces constats, une étude (Merchant et al, 2023) portant sur 500 familles de l’ouest du Kenya a évalué l’efficacité d’interventions de sensibilisation à la consommation de légumes traditionnels africains sur la sécurité nutritionnelle, la qualité et la diversité de l’alimentation.

La sensibilisation à la nutrition améliore la qualité et la diversité du régime alimentaire

Au cours de la période d’observation, la population a été divisée en 4 groupes :

  • Un groupe contrôle,
  • Un groupe d’intervention sur la production des légumes traditionnels,
  • Un groupe d’intervention nutritionnelle et culinaire,
  • Un groupe d’intervention nutritionnelle/culinaire et sur la production.

Deux indicateurs (voir encadré) ont été utilisés afin d’évaluer l’état nutritionnel ainsi que la qualité et la diversité de l’alimentation :

  • L’indice domestique de la faim (HHS) ;
  • Le score de diversité alimentaires des femmes (WDD).

À la fin de l’étude, une diminution significative de la mortalité infantile pour l’ensemble de la population a été observée. L’échantillon ayant bénéficié d’une intervention combinant la nutrition et la production a obtenu un meilleur score de diversité alimentaire que le groupe contrôle, cette différence n’étant toutefois pas significative.
Une différence significative dans les habitudes de consommation de légumes traditionnels entre les groupes étudiés a été observée. Les groupes ayant bénéficié d’une intervention sur la nutrition ont notamment déclaré consommer davantage de légumes traditionnels et présentaient une plus grande diversité du régime alimentaire que le groupe contrôle.
Globalement, les personnes interrogées rapportent une amélioration de la qualité de leur alimentation. La sensibilisation au régime alimentaire est notamment l’une des raisons citées, ainsi que le revenu et l’intervention sur la production.

La nécessité d’assurer la disponibilité et l’accessibilité des légumes traditionnels au sein de la chaîne de valeur locale

Un changement significatif dans les lieux d’approvisionnement ainsi qu’une diminution de l’approvisionnement alimentaire ont été observés entre le début et la fin de l’étude. Néanmoins, les personnes interrogées rapportent une augmentation globale de l’approvisionnement en légumes traditionnels, en particulier les ménages ayant bénéficié d‘une intervention sur la production. Cette observation peut s’expliquer par la résistance accrue des légumes traditionnels africains aux chocs et variations environnementales. Ces produits constituent ainsi une denrée robuste, l’enjeu étant d’assurer leur disponibilité tout au long de l’année (Altieri et al., 2012).

Les petits exploitants agricoles approvisionnent souvent les marchés locaux des villages car il leur est impossible d’accéder à une chaîne de valeur plus importante (Ngugi et al., 2007). La proximité avec le domicile, les commerces de détail et les points de vente à la ferme sont les principaux déterminants des choix d’approvisionnement alimentaire (Gido et al., 2017). D’après cette étude, l’augmentation de l’approvisionnement en produits provenant des marchés urbains témoigne de la disponibilité et de l’accessibilité limitées des légumes traditionnels au sein de chaîne de valeur locale.

Les interventions combinant nutrition, cuisine et production constituent des stratégies efficaces pour faire face aux variations saisonnières

L’influence des interventions sur la sécurité nutritionnelle des petits exploitants agricoles de l’ouest du Kenya a été évaluée. Les résultats montrent que les interventions combinant nutrition, cuisine et production sont les plus efficaces pour augmenter la diversité alimentaire et pourraient ainsi exercer un effet protecteur contre les fluctuations saisonnières de la disponibilité et de l’accessibilité des légumes traditionnels.

Si le contexte n’a pas permis de transposer de manière significative les effets des différentes interventions sur les paramètres étudiés – en particulier la diversité alimentaire des femmes – les résultats de cette étude restent prometteurs. En conclusion de ce travail, les auteurs recommandent aux acteurs politiques de se concentrer sur la promotion de la disponibilité, de l’accessibilité, de l’acceptabilité et du coût des bonnes pratiques agricoles. La formation agricole et les activités associées devraient comprendre des interventions nutritionnelles et culinaires afin de souligner l’importance pour les agriculteurs de donner la priorité aux récoltes destinées à la consommation de leur ménage.

Basé sur : Merchant E. and al., an evaluation of nutrition, culinary, and production interventions using African indigenous vegetables on nutrition security among small farmers in Western Kenya, 2023.

L’inL’indice domestique de la faim et le score de diversité alimentaire des femmes : 2 indicateurs de l’état nutritionnel des populations

L’indice domestique de la faim (HHS) est un nouvel indicateur élaboré par la Food and Nutrition Technical Assistance (FANTA), une organisation soutenue par l’Agence Américaine pour le développement international. Cet indicateur permet de mesurer la faim des ménages dans les régions touchées par l’insécurité alimentaire. Il fournit des résultats fiables et comparables d’une culture et d’un contexte à l’autre, pour que l’état des différents groupes de population puisse être décrit de manière significative. A l’aide de cet outil, il est possible de déterminer les domaines dans lesquels des interventions sont nécessaires et de concevoir et évaluer des politiques publiques.

Développé par la FAO, le score de diversité alimentaire des femmes (WDD) évalue le nombre de groupes d’aliments (prédéterminés) consommés par une femme le jour ou la nuit précédente. Cet indicateur permet de refléter les variations dans les teneurs en micronutriments, une dimension importante de la qualité de l’alimentation. Cet indice est sensible aux variations saisonnières.

Méthodologie
Messages clés
  • Sensibiliser les populations aux légumes traditionnels africains peut améliorer le régime alimentaire des petits agriculteurs/producteurs.
  • Les interventions associant l’éducation nutritionnelle et la production donnent les meilleurs résultats pour l’indicateur de diversité de l’alimentation des femmes.
  • L’accessibilité des légumes africains/locaux pourrait représenter un obstacle sur le long terme.
Références
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