Sécurité alimentaire, santé humaine et durabilité : la nécessité d’une approche intégrée

Assurer la sécurité alimentaire en préservant la biodiversité : l’exemple du régime méditerranéen

Face à l’augmentation constante de la population mondiale, il est nécessaire de garantir la disponibilité d’aliments nutritifs et variés tout en préservant les ressources naturelles et la biodiversité. Si de nombreux modèles alimentaires émergent, le régime méditerranéen est aujourd’hui reconnu comme modèle de référence en matière d’alimentation saine et durable. Pour la première fois, une étude a analysé et comparé la biodiversité végétale – espèces, sous-espèces et variétés – des régimes méditerranéen et occidental. Les résultats montrent une plus grande diversité de plantes comestibles dans le régime méditerranéen. D’après ce travail, adhérer à un régime alimentaire diversifié permettrait de préserver la biodiversité et par conséquent, la sécurité nutritionnelle.

D’ici 2050, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards de personnes contre 7,7 en 2019 (Serra-Majem et al., 2020 ; Adam et al., 2021). D’après la FAO, répondre aux besoins des consommateurs et satisfaire la demande croissante – notamment de viande et de produits carnés – nécessiterait d’augmenter la production du secteur agroalimentaire de près de 50% (FAO, 2017). Or, il est aujourd’hui bien établi que la surexploitation des terres et l’agriculture intensive pèsent sur les ressources naturelles et constituent ainsi une véritable menace pour la biodiversité et le développement durable (Crenna et al., 2019 ; Henry et al., 2019 ; Maja et al., 2021).

Face à ce constat, il est nécessaire d’aborder la santé, la nutrition et l’environnement dans une approche intégrée afin de garantir à tous une alimentation saine et durable. De nombreux travaux ont notamment montré que l’adhésion à des régimes à base de plantes associée à une faible consommation d’aliments d’origine animale contribuait au maintien de la santé et à la préservation de la biodiversité (Serra-Majem et al., 2020). Récemment, une étude (Mattas et al., 2023) financée par le projet européen BioValue (voir encadré) a examiné et comparé la diversité des plantes comestibles et de l’alimentation entre les régimes méditerranéen et occidental.

Une diversité végétale plus importante dans les pays adhérant au régime méditerranéen

Au total, 12 pays ont été inclus dans ce travail :

  • 6 pays présentant une adhésion élevée au régime méditerranéen : Grèce, Italie, Malte, Maroc, Algérie, Liban ;
  • 6 pays suivant un régime occidental : Belgique, Suisse, Allemagne, Autriche, Danemark, Suède.

Le nombre de plantes comestibles cultivées et sauvages est ici considéré comme un indicateur de la diversité végétale des régimes alimentaires. D’après ce travail, les pays méditerranéens disposent d’une plus grande diversité de plantes comestibles cultivées et sauvages que les pays suivant un régime occidental (voir figure 1).

Figure 1 : Nombre de plantes comestibles cultivées et sauvages selon les pays des groupes méditerranéen et occidental (d’après Mattas et al., 2023)

Parmi les pays méditerranéens, l’Italie possède l’alimentation la plus diversifiée en termes de plantes comestibles par rapport aux autres pays de l’échantillon. L’Algérie et la Grèce affichent une diversité de plantes cultivées inférieure à la moyenne des pays de ce groupe. Concernant les plantes sauvages, ce sont l’Algérie, le Liban et Malte qui présentent une diversité inférieure à la moyenne. Au sein des pays occidentaux, la Belgique, le Danemark et la Suède présentent la plus faible biodiversité de plantes cultivées. Le Danemark est également le pays disposant de la plus faible diversité de plantes sauvages.

Aucune différence statistique n’a été rapportée dans les moyennes du nombre de plantes sauvages entre les pays méditerranéens et occidentaux. Cette observation suggère que la plus grande diversité de plantes comestibles dans les pays méditerranéens est davantage liée à l’utilisation des terres plutôt qu’à la disponibilité des espèces végétales.

L’adoption d’un modèle alimentaire plus diversifié permettrait de préserver les ressources végétales

Bien que la biodiversité permette aux systèmes agricoles d’évoluer, la diversification génétique des cultures vivrières ne cesse de diminuer. En effet, seuls 10% des plantes anciennement cultivées sont encore exploitées dans les systèmes agricoles, de nombreuses variétés locales ayant été remplacées par des plantes issues de la sélection variétale (Millstone et al., 2008).

Alors que les systèmes alimentaires actuels sont soumis à de fortes pressions pour répondre aux besoins nutritionnels d’une population croissante, les auteurs soulignent l’importance d’assurer une diversité de l’alimentation au même titre que sa quantité. En effet, bien que les systèmes actuels (monocultures) aient permis d’augmenter la production alimentaire et, ainsi, les apports énergétiques de la population, la dépendance à l’égard de certaines grandes cultures peut déboucher sur une diversité insuffisante des régimes alimentaires et des carences en micronutriments chez les populations les plus fragiles (Jones et al., 2017). Les auteurs soulignent ainsi que la diversification de l’alimentation est nécessaire pour garantir une efficacité nutritionnelle aux consommateurs et prévenir les déficits en micronutriments qui pourraient découler d’un régime alimentaire peu diversifié (Nkonde et al., 2021).

Face à la demande croissante d’aliments sains et durables et à l’adoption du régime méditerranéen par les nouvelles générations et sa diffusion à d’autres régions géographiques, il devient crucial de gérer durablement les ressources phytogénétiques. L’introduction d’espèces végétales négligées et sous-utilisées dans les systèmes agroalimentaires profiterait à la fois aux consommateurs et aux producteurs et contribuerait également à la préservation de la biodiversité (Libiad et al., 2021).

Biodiversité, santé humaine et environnementale : la nécessité d’une approche intégrée

En raison des liens établis entre le système agroalimentaire et les habitudes alimentaires actuelles, les auteurs soulignent la nécessité d’aborder la nutrition et les régimes alimentaires dans une approche plus large et plus intégrée. L’adoption d’un modèle alimentaire plus diversifié dans la société actuelle pourrait favoriser la création d’un environnement rural riche en biodiversité et atténuer les effets néfastes du changement climatique à long terme.

La biodiversité étant étroitement liée à la santé humaine et environnementale, les auteurs soulignent que les interventions nutritionnelles, les stratégies de préservation de l’environnement et les mesures de protection de la santé publique devraient impliquer un partenariat multipartite afin de d’assurer la durabilité des systèmes alimentaires tout au long de la chaîne alimentaire et protéger l’ensemble des écosystèmes.

Enfin, ils soulignent que l’amélioration des pratiques agricoles conformément aux pratiques agroécologiques garantit le droit universel d’avoir accès à une alimentation saine, adéquate et abordable, tout en vivant dans des environnements sains et sûrs.

Basé sur : Mattas K, et al. Assessing the Interlinkage between Biodiversity and Diet through the Mediterranean Diet Case. Adv Nutr. 2023 May;14(3):570-582.

Le projet Biovalue

Financé par l’Union Européenne dans le cadre d’Horizon 2020, le projet Biovalue vise à améliorer l’agrobiodiversité tout au long de la chaîne alimentaire en Europe en adoptant une approche basée sur la démarche de la « fourche à la fourchette ». Impliquant 17 partenaires, ce projet travaille sur l’élaboration d’un outil de simulation permettant d’analyser le lien entre la biodiversité, la chaîne de valeur agroalimentaire, l’environnement, les préférences des consommateurs et la santé. A travers cet outil, le projet Biovalue cherche à promouvoir l’exploitation de culture sous-utilisées, génétiquement diversifiées dans la chaîne de valeur agroalimentaire en Europe.

Méthodologie
Messages clés
  • Une plus grande biodiversité agricole a été mise en évidence dans la région méditerranéenne par rapport à la région occidentale.
  • Cette plus diversité accrue de plantes comestibles dans le régime méditerranéen semble être davantage associée à l’utilisation des terres plutôt qu’à la disponibilité des cultures.
  • La biodiversité pourrait constituer une composante essentielle de la diversité alimentaire et par conséquent de la sécurité nutritionnelle.
  • Les choix alimentaires sont déterminants non seulement pour notre santé, mais également pour celle de nos écosystèmes.
Références
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